Capteurs musculaires : Eiffage Construction livre les résultats d’une expérience sur chantier
Eiffage Construction livre les résultats d’une démarche de prévention menée à partir d’une analyse de l’activité de cinq compagnons équipés de capteurs musculaires. Ce retour d’expérience se traduit par un plan d’action mis en œuvre en 2022 par l’entreprise.
Date de mise à jour : 19 avr. 2022
Auteur : Fabienne Leroy
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Eiffage Construction a initié une démarche de prévention originale en créant des groupes de travail sur différents thèmes, dont un relatif aux gestes et postures. « C’est utile de savoir comment ramasser des outils au sol, avec les bons gestes et les bonnes postures. Mais c’est très utile aussi de savoir comment faire pour éviter de les récupérer au sol », explique Tiphanie de Smedt, animatrice Prévention chez Eiffage Construction (11 000 collaborateurs).
L’entreprise a alors décidé de travailler avec un partenaire spécialisé dans l’ergonomie (Moten Technologies), en montant une expérimentation menée par un comité de pilotage regroupant différents acteurs du chantier : compagnons, chefs de chantier, direction et Eiffage Matériel.
Avantages du dispositif, selon Marie-Anne Grangeret, ergonome et directrice d’opération chez Moten : les retours rapides et directs du terrain grâce aux échanges avec les acteurs concernés, allant du chef d’équipe aux compagnons.
Cinq compagnons observés sur les chantiers gros œuvre d’Eiffage Construction
Concrètement, cinq compagnons issus de trois métiers représentatifs du gros œuvre chez Eiffage – maçon finisseur, bancheur et coffreur – ont été observés sur six chantiers. Ils ont été équipés chacun de six capteurs placés aux épaules, au bas du dos et aux cuisses, à raison de deux capteurs par zone étudiée. « Ce sont les zones les plus sollicitées lors des travaux », complète Marie-Anne Grangeret.
Le dispositif analyse les efforts musculaires et la fréquence cardiaque des compagnons (grâce à une montre dont ils sont équipés) afin d’aider à l’identification des situations les plus contraignantes.
Exemples de résultats de l’expérience : sur les 41 opérations réalisées par les deux bancheurs, 15 d’entre elles ont été identifiées comme générant le plus d’efforts. Et sur ces 15 opérations, 6 ont été jugées « évitables », selon le retour des compagnons. Éliminer ces tâches pourrait ainsi réduire l’exposition à des situations sollicitantes, et par conséquent libérer du temps pour en effectuer d’autres.
Six opérations « très contraignantes » évitables sur les chantiers
L’analyse de ces six opérations, considérées comme évitables par les compagnons, révèle qu’elles concernent soit du ramassage d’outil au sol (ex : un marteau piqueur) soit une opération de manutention pour transporter l’outil d’un point A à un point B. Alors qu’il s’agit de tâches simples, ces opérations génèrent de fortes contraintes au niveau du dos.
« L’étude a mis en évidence le lien entre l’organisation du chantier et la charge physique du travail », souligne Marie-Anne Grangeret. Dans ces opérations, en effet, ces tâches auraient pu être évitées par une meilleure information aux équipes pour organiser le déplacement et/ou le stockage temporaire des outils (soit avec l’appui d’un grutier soit avec un autre moyen). Des solutions ont alors été imaginées pour répondre à ce constat.
Un plan d’action pour 2022 avec douze solutions retenues
Fort de ces enseignements, Eiffage Construction a remonté les résultats aux équipes via l’animation de ses Points Prévention Production (PPP) et de deux groupes de travail. L’entreprise a décliné un plan d’action 2022 sur deux axes : technique et organisationnel. Certaines actions sont d’ores et déjà mises en œuvre : le renouvellement de la flotte de banches tiendra ainsi compte de modifications qui ont été préconisées.
Autre exemple d’action déployée par le groupe : la mise à disposition de supports à roulettes pour les paniers de stockage des étais. Les roulettes permettront aux compagnons de manipuler plus facilement ces paniers. Deux prototypes sont en phase de test sur les chantiers. « Un retour d’expérience chantier sera fait, et des améliorations pourront ainsi être apportées », conclut Tiphanie De Smedt.
Ergonome et responsable du domaine prévention de l’usure professionnelle de l’OPPBTP, Pascal Girardot a suivi le projet et en tire les conclusions suivantes :
- Le dispositif associe une expertise ergonomique à l’analyse de données chiffrées. Il en résulte une analyse qualitative et quantitative du travail réel. Le partenariat externe favorise une prise de recul enrichissante et évite l’effet « nez dans le guidon ».
- La dimension participative (incluant les compagnons et leur encadrement) est intéressante tant pour les remontées d’informations que la recherche de solutions.
- Cette approche de la prévention permet d’entrer par les situations à risque plutôt que par le risque, ce qui contribue au développement de la culture de prévention. En effet, elle installe la prévention dans la durée et facilite son appropriation individuelle. Elle contribue à renforcer la sécurité gérée (à l’initiative des équipes au quotidien) en complément de la sécurité réglée (établie par des règles).
L’OPPBTP a réalisé récemment deux études sur des métiers du gros œuvre (coffreurs bancheurs et maçons) proches des situations ciblées dans cette démarche et une troisième étude concernant les dallagistes vient de démarrer.
Pascal Girardot (OPPBTP) a mis en avant les progrès en matière de prévention dans ce secteur. « Ces progrès, réalisés grâce à des solutions techniques puis au déploiement de systèmes de management de la prévention, sont notables et doivent être poursuivis », a indiqué l’expert, qui a suivi l’expérience menée par Eiffage Construction. « Mais pour aller plus loin, il faut sans doute s’intéresser aussi aux facteurs organisationnels et humains » conclut-il.