En vallée de la Maurienne, des engins pilotés à distance pour supprimer le risque d’accident
À la suite d'un éboulement spectaculaire en vallée de la Maurienne en août 2023, l’entreprise Bianco est intervenue pour déblayer la zone en utilisant des engins pilotés à distance. Un chantier mené durant deux mois, entre mi-décembre et mi-février avec, en fil rouge, la suppression du risque d’écrasement pour les chauffeurs.
Date de mise à jour : 28 mars 2024
Auteur : Goulven Connan
Fin août 2023, un spectaculaire éboulement de roches se déversait de la falaise de la Praz sur la voie SNCF et la route départementale, à quelques mètres de l’autoroute A43 située en contrebas et à 5 kilomètres de Modane (Savoie). Avec l’autoroute accédant au tunnel de Fréjus coupée pour des raisons de sécurité pendant près de deux semaines, cet éboulement avait mis en lumière la vulnérabilité de cette zone, pourtant stratégique pour les échanges commerciaux entre la France et l’Italie.
25 000 m3 de roche se sont effondrés sur une partie de la galerie SNCF, endommageant également la voie, les caténaires et interrompant le trafic SNCF.
« Nous avons commencé des discussions avec la SNCF en octobre, situe Jérémie Bulloz, chef de secteur réseaux et terrassement au sein de l’entreprise Bianco, basée à Marthod (Savoie). La galerie SNCF, sous l’effet de l’éboulement de 25 000 m3 de roche, a commencé à bouger et à s’affaisser après les intempéries de l’automne et il fallait intervenir rapidement. Nous avons signé un marché avec la SNCF début novembre pour déblayer la galerie. » Les travaux ont été réalisés en deux mois, entre mi-décembre 2023 et mi-février 2024.
La route départementale située en contrebas de la voie ferrée a été coupée jusqu’en janvier 2024. Sur l’autoroute A43 située juste au-dessus, des containers contreventés ont été placés pour protéger les voies en cas de nouvel éboulement.
Éviter le risque
Compte tenu du risque important de chutes de blocs de cette falaise de 400 mètres de haut, l’entreprise Bianco a rapidement proposé de mettre en place un système inédit de pilotage déporté des engins de terrassement.
« Cela nous permettait de supprimer l’exposition au danger d’éboulement pour les chauffeurs de nos pelles hydrauliques et tombereaux », précise le chef de secteur. Faute de pouvoir respecter les délais via des solutions existantes sur le marché, Bianco s’est lancée dans le développement de sa propre alternative. Une fois cette décision prise, guidée par le premier principe de prévention (éviter les risques), l’entreprise a entamé une véritable course contre la montre : en seulement un mois, elle a dû mener une réflexion globale sur l’ensemble du cahier des charges pour la modification des engins, trouver la bonne solution technique, équiper trois pelles de 30 à 50 tonnes et deux tombereaux à chenilles de 12 tonnes (lire l’encadré ci-dessous), mettre en place les bungalows pour le pilotage à distance et former la vingtaine de chauffeurs expérimentés appelés à se relayer sur le chantier.
Les engins pilotés depuis les bungalows situés en contrebas de la falaise sont intervenus durant deux mois pour déblayer la zone et réaliser un enrochement de protection.
« Piloter à distance n’est pas du tout naturel donc ça n’a pas été simple au début pour les chauffeurs. Nous avons choisi les plus expérimentés plutôt que les adeptes de jeux vidéo, mais la question s’est posée, livre-t-il. Évacuer des blocs de pierre de plusieurs tonnes à plus de 150 mètres de l’engin, sans ressentir de sensations dans le poste de pilotage, c’est perturbant. Mais, bien aidés par un système de télécommande radio type joystick performant, ils ont rapidement pris le coup de main. » Les chauffeurs ont été impliqués dès le départ pour s’assurer que le matériel choisi était bien adapté et permettait de travailler dans de bonnes conditions de visibilité, sans risquer également de retourner les machines.
Devant leur écran et avec une vue directe sur la zone, les chauffeurs pilotent les pelles et tombereaux grâce à leurs télécommandes.
Un mode de conduite appelé à se développer ?
Ces engins téléopérés pourraient être utilisés dès qu’il existe un risque pour les chauffeurs. « Et il existe souvent, abonde Jérémie Bulloz. Nous connaissons depuis quelques années dans les travaux publics et parmi les donneurs d’ordre une évolution dans la façon d’aborder le risque pour l’homme. Si nous pouvons collectivement éviter de placer un salarié face à un danger, nous devons le faire. D’autant plus que, une fois les chauffeurs rodés à l’exercice, nous n’avons pas eu de perte de cadence par rapport à une conduite classique. » Un argument économique qui peut peser.
Avec un parc de cinq engins désormais équipés, Bianco a pour objectif, dans un futur proche, de développer cette activité : création de merlons de protection de falaises sur des zones à fort risque de chutes de blocs ; interventions en site pollué pour éviter l’exposition à des matériaux dangereux (amiante…) ou sur des zones concernées par d’éventuels glissements de terrain qui pourraient emporter hommes et machines… « Nous avons vécu une belle aventure alliant l’informatique, la vidéo et la mécanique au service de la sécurité de l’homme et du matériel. Nous espérons maintenant obtenir de nouveaux marchés, car c’est une méthode pertinente dans de nombreux cas de figure », conclut le chef de secteur.
L’entreprise Bianco a utilisé sur ce chantier six engins commandés à distance, dont cinq ont été totalement modifiés en interne : trois pelles d’une capacité de 30 à 50 tonnes et deux tombereaux à chenilles de 12 tonnes. Pour les pelles, le principe consiste à connecter un boîtier électronique sur le système de commande des fonctions de base : translation, rotation et mouvement de l'équipement. Même technique pour le tombereau avec, la translation et la commande de la benne. « Ce sont les fonctions basiques qui permettent l’usage de l’engin, le reste était superflu », note Jérémie Bulloz. Une fois connecté à ces fonctions principales, le boîtier est relié par ondes radio à la télécommande afin de prendre la main sur les engins. En parallèle, l’objectif est de voir ce que l’on fait : Bianco a donc installé des caméras sur les véhicules avec un système de retransmission Wi-Fi sur des écrans, à l’intérieur des bungalows, pour que les chauffeurs soient en mesure de voir la scène de travail du mieux possible. « Cette partie a été réalisée par notre partenaire Jager BT. Nous avons utilisé un drone en appui, qui volait en permanence pour la conduite de la pelle, avec ce même système de retransmission vidéo afin d’aider à se repérer et avoir une vue d’ensemble de la zone. Les postes de conduite ont été recréés dans nos bungalows, équipés de larges surfaces vitrées pour voir le chantier et mettre les chauffeurs dans les meilleures conditions. Enfin, nous avons installé des protections métalliques sur les pelles pour les protéger en cas de chute de pierres. Nous nous sommes entourés de trois prestataires pour la partie vidéo, commande radio et pour la modification des parties mécaniques et hydrauliques des engins. L’installation de tous ces équipements a été réalisée en interne par nos mécaniciens et nos soudeurs », conclut Jérémy Bulloz.
Les modifications des engins ont été réalisées par les mécaniciens et soudeurs Bianco.