Femmes dans le BTP : un nécessaire changement de paradigme
Les initiatives pour ouvrir davantage les métiers de la construction aux femmes se multiplient. Mais les entreprises ne sont pas encore toujours prêtes à s'adapter à leurs besoins en matière de sécurité, d'hygiène et d'organisation du travail.
Date de mise à jour : 7 mars 2024
Auteur : Chloé Devis
©GettyImages
La part des effectifs féminins dans le secteur du bâtiment en 2022 atteignait 12,9 % (11,5 % dans les travaux publics) selon la FFB, contre 8,6 % en 2000. Derrière cette évolution, les disparités restent marquées, puisque les femmes ne représentent que 1,8 % des ouvriers, contre 46,3 % des employés et techniciens et 21 % des cadres, catégorie qui croît le plus fortement. C’est encore dans les bureaux plutôt que sur le terrain que l’on a le plus de chances de croiser des salariées du BTP.
Toutefois, dans ce bastion masculin, « le regard porté sur les femmes a changé », estime Cécile Beaudonnat, vice-présidente de l’OPPBTP, présidente de la commission nationale des femmes de l'artisanat à la Capeb, et gestionnaire d'une entreprise artisanale de charpente couverture : « Elles sont aujourd’hui mieux traitées et leur professionnalisme davantage reconnu. »
De fait, un certain nombre d’acteurs mettent en avant les bénéfices d’une féminisation du secteur. « La présence des femmes suscite réflexion et évolution des pratiques des entreprises », souligne la FFB, qui note aussi un impact en termes d’image. Certaines entreprises interrogées dans le cadre d’une étude, sortie en janvier 2024, sur la féminisation des métiers du BTP, portée par l’Observatoire des métiers du BTP en Île-de-France, vantent des « effets positifs sur l’organisation, la performance, le climat social », pointe Hervé Dagand, responsable de l’équipe technique de l'Observatoire. Les tensions en matière d’embauche dans le secteur jouent aussi en faveur d’une ouverture aux profils féminins.
Contraintes physiques et sécurité : des spécificités pas toujours prises en compte
Las, les entreprises indiquent recevoir peu de candidatures de femmes, note Hervé Dagand. D’un autre côté, parmi les structures qui citent comme priorité des conditions de travail plus attractives pour les inciter à postuler, seule une minorité a mis en place des mesures en ce sens. Une ambivalence à l’image de ce que recouvre le sujet concernant les femmes : à la fois des préjugés, et des problématiques concrètes, associées à leur taille, leurs spécificités physiologiques ou leur rôle familial.
La plupart des entreprises qui ne prennent pas d’initiative en faveur de la mixité le justifient par la nature physique de l’activité. « Il existe encore des entreprises et des CFA réticents à accueillir des femmes sous prétexte qu’elles ne tiendront pas, notamment dans les métiers de techniciennes, note pour sa part Julie Tubia, ingénieure architecte et membre du collectif Les SouterReines, qui œuvre en faveur de la mixité dans le BTP. Lorsque nous présentons ces métiers à des publics féminins, nous sommes confrontées à des questionnements autour de la pénibilité. » Hervé Dagand rappelle toutefois que « ces difficultés physiques peuvent concerner hommes et femmes, certaines d’entre elles pouvant aussi apprécier cette dimension. » De plus, « la prise en compte de l’usure professionnelle a abouti à des mesures pour améliorer le confort de travail, comme la limitation du poids des sacs de matériaux, un progrès aussi pour les hommes », argue Cécile Beaudonnat, qui travaille sur le dossier de la féminisation des métiers du bâtiment depuis de nombreuses années au sein de la commission nationale des femmes de l'artisanat à la Capeb.
Reste un point noir : les EPI. « Il y a encore peu de fournisseurs qui proposent des équipements spécifiques pour les femmes, et le coût de ces derniers est assez élevé », souligne la vice-présidente de l'OPPBTP. Or, au-delà de la praticité, c’est un enjeu de sécurité.
Sur notre site, vous pouvez retrouver plusieurs EPI spécialement conçus pour les femmes. Exemples :
- un nouveau modèle de chaussures de sécurité tige basse, Badria, lancé ce mois-ci par Parade Protection, qui a étudié les morphologies des pieds féminins pour développer une gamme dédiée aux professionnelles, Brazilia.
- un polo haute visibilité et anti-UV pour femme proposé par Chatard.
- deux modèles de lunettes de protection de la marque Bollé Safety qui s’adaptent à la vue et à toutes les morphologies de visage, notamment celles des femmes.
- le seul modèle de harnais conçu pour les femmes, une conception brevetée de Tractel.
La sécurité des femmes est justement au cœur d’une étude de l’Anact, qui montre que le nombre d’accidents du travail touchant les salariées du BTP a augmenté de 42,8 % entre 2001 et 2019, une hausse qui concerne aussi les accidents de trajet et les maladies professionnelles. Pourtant, « lors de nos échanges avec des femmes, ce n’est pas une préoccupation qui ressort », constate Julie Tubia.
Femmes dans le BTP : des attentes fortes en matière d’hygiène sur les chantiers et d’équilibre de vie
Un autre sujet, plus inscrit dans le quotidien, est prégnant : celui des installations d’hygiène. « On prévoit des salles de réunion distinctes pour le chantier et pour les cadres, mais les femmes, encore trop souvent, ne disposent pas de sanitaires et de vestiaires réservés », déplore Julie Tubia. Les grands groupes ont une longueur d’avance sur les plus petites structures, ce qui tient aussi à leurs ressources plus importantes. Même s’il existe des aides pour l’aménagement des locaux de base vie, rappelle Cécile Beaudonnat.
En termes d’organisation du travail, cette fois, la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle est aussi perçue comme une priorité féminine par les entreprises interrogées par l’Observatoire des métiers du BTP. Or « cet équilibre est plus difficile à trouver dans les métiers de la production, synonymes de fréquents déplacements et d’horaires atypiques, que dans les fonctions support », souligne Hervé Dagand. Sur ce plan-là, « les petites structures offrent parfois davantage de flexibilité que les grands groupes », remarque Cécile Beaudonnat.
Enfin, comme dans d’autres environnements professionnels très masculins, les femmes sont encore exposées à des attitudes sexistes et remarques déplacées, « ce qui reste un frein à leur entrée dans le métier… voire les pousse à en changer », regrette Julie Tubia.
De plus en plus d'actions et d'outils pour mettre en œuvre la mixité
C’est l’une des raisons d’être des démarches, toujours plus nombreuses, visant à lutter contre les stéréotypes du côté des employeurs, mais aussi de leurs recrues potentielles, tout en valorisant une perspective féminine sur les métiers du BTP. Les SouterReines organisent ainsi des visites de chantier pour les collégiens et nouent des partenariats avec des entreprises soucieuses de progresser.
De son côté, le réseau de professionnelles du second œuvre BatiFemmes promeut la filière auprès des jeunes filles et femmes en reconversion et propose des ateliers d’échauffement à ses membres…
Le réseau BatiFemmes propose des ateliers d’échauffement à ses membres.
Les organismes professionnels se mobilisent aussi, via des outils pratiques comme le guide « Mixité » d'EGF BTP (Entreprises générales de France BTP), les opérations de communication et de formation des Groupes Femmes de la FFB, jusqu’à l'engagement du CCCA BTP et de certains CFA afin de consolider les bases d’une vraie féminisation des chantiers.
Amandine Durantou, artisane peintre en bâtiment, membre de BatiFemmes.
« À 43 ans, je suis installée à mon compte comme peintre artisane depuis août 2023. J’ai suivi une formation en alternance au BTP CFA de Blanquefort dans le cadre d’une reconversion professionnelle. Dans ma promotion, nous étions cinq femmes sur huit stagiaires. J’ai pu constater que les femmes dans le bâtiment sont très appréciées pour les travaux de finition, et ma clientèle est elle-même majoritairement féminine. Protéger ma santé est une priorité et je n’ai pas hésité à investir d’emblée dans tous les équipements nécessaires : casque, masque antipoussières, gants, chaussures de sécurité, harnais pour la girafe, diable… Même si, s’agissant des EPI, j’ai encore du mal à en trouver qui soient adaptés à ma taille et à ma morphologie. L’évolution du matériel facilitant le travail (port de charge lourde, travail en hauteur…) n’est pas encore prioritaire pour certaines structures, mais la nouvelle génération formée est plus sensible à ces sujets. Si mon activité se développe comme prévu, j’envisage de recruter à mon tour un contrat en alternance et je privilégierai une femme, car le métier leur reste plus difficile d’accès. »