Covid-19 : comment les entreprises travaillent avec l'épidémie
L’épidémie de Covid-19 s’est installée dans le quotidien des entreprises du BTP. Malgré les difficultés, elles relèvent le défi de la protection maximale de leurs salariés sur les chantiers, accompagnées par le guide de l’OPPBTP. Elles imaginent de nouvelles organisations du travail mieux adaptées aux règles de distanciation physique et dotent leurs équipes des équipements nécessaires pour travailler
en sécurité. Témoignages dans ce dossier.
Date de mise à jour : 1 juin 2020
Auteur : Virginie Leblanc Loïc Féron Laurent Duguet Rozenn Le Saint Chloé Devis Thierry Beaurepère
©OPPBTP
- Le Covid-19 a bouleversé le fonctionnement de toute l’économie et des entreprises du BTP. Le respect de la distanciation sociale n’est pas aisé dans le secteur, mais les entreprises se sont mobilisées avec leurs partenaires pour imaginer les meilleures solutions pour y parvenir.
- L’hygiène sur les chantiers est devenue un sujet central de préoccupation et les entreprises ont déployé les moyens nécessaires au respect des exigences sanitaires. Un acquis probable de cette crise.
- L’association des salariés à l’élaboration des nouvelles règles de vie ensemble sur un chantier est un élément essentiel de leur appropriation et du succès de la phase de reprise d’activité.
Référent Covid-19, Kit Covid, gestes barrières, masques alternatifs, distanciation sociale, gel hydroalcoolique, tout ce vocabulaire a envahi les chantiers depuis trois mois. Après une phase de sidération et l’arrêt brutal des chantiers à l’annonce du confinement le 17 mars, très vite, les professionnels du BTP se sont mobilisés pour définir les conditions de la reprise en sécurité. L’OPPBTP a publié son guide le 2 avril, sur lequel les entreprises se sont appuyées pour organiser concrètement les mesures nécessaires à la protection de leurs salariés face à l’épidémie. Depuis, l’Organisme le met à jour pour accompagner les entreprises en fonction de l’évolution de la situation sanitaire, et en accord avec les recommandations des pouvoirs publics.
Selon une enquête flash de la FNTP, menée entre le 28 avril et le 4 mai auprès de ses adhérents, un redémarrage effectif avait eu lieu pour 83 % d’entre eux. De son côté, la FFB signalait que 64 % des entreprises qu’elle avait interrogées avaient pu relancer, au moins en partie, leurs chantiers au 27 avril.
Aujourd’hui, l’accumulation de semaines de travail « en mode Covid-19 » a déjà produit des retours d’expérience, que le magazine partage tant sur le site PréventionBTP que dans les pages suivantes.
L’installation de l’épidémie dans la durée change la donne sur les chantiers. L’ensemble des gestes barrières y sont transposés : interdiction de se serrer la main, distance minimale d’un mètre entre deux personnes, limitation du nombre de personnes présentes au même endroit et au même moment, lavage fréquent des mains… De nouvelles habitudes et de nouveaux réflexes s’installent, que nous passons ici en revue, sans souci d’exhaustivité, mais en reprenant les points clés des préconisations du guide de l’OPPBTP, illustrées de témoignages de terrain.
L’accord préalable des clients
Sans l’accord préalable des clients, pas de reprise du travail dans les entreprises du BTP. La discussion avec la maîtrise d’ouvrage et les coordonnateurs SPS autour de conditions satisfaisantes de reprise en toute sécurité a été une étape indispensable de la reprise pour Rabot-Dutilleul Construction*, comme l’explique Xavier Huou, directeur général adjoint de l’entreprise.
S’agissant des plus petites entreprises intervenant chez les particuliers, de nouvelles pratiques s’instaurent, les entreprises s’assurent qu’ils acceptent les conditions générales d’intervention, et en particulier les conditions d’hygiène et les règles sanitaires : respect des gestes barrières, distance minimale d’un mètre avec toute personne, accès aux installations d’hygiène et à un point d’eau pour le lavage des mains.
Quand l’entreprise de couverture plomberie chauffage GTB intervient, le client doit s’éloigner d’1,50 m, tout en montrant la pièce où le compagnon – muni d’un masque et de gants – doit intervenir seul. GTB demande ensuite au client de laisser un point d’eau disponible afin que le salarié puisse s’y laver les mains avec son propre savon et son papier essuie-mains.
Transports, véhicules et engins
Ces préalables validés, la question du transport est fondamentale. Au quotidien, dans le cas où un véhicule est partagé, il est préférable de respecter la distance minimale d’un mètre entre les personnes. Il est possible de prévoir deux personnes au premier rang et par rang de trois sièges, avec port du masque obligatoire. Dès le début du mois d’avril, l’entreprise de charpente métallique Baudoux avait élaboré ses propres règles de déplacement : une personne par véhicule, sauf si ce dernier est équipé d’une double banquette, et les salariés utilisent leurs véhicules personnels pour se rendre sur les chantiers si les VUL ne sont pas équipés pour permettre l’éloignement nécessaire des personnes. À noter que l’emploi d’écrans étanches permet de créer une distanciation par cloisonnement.
Par ailleurs, quand NGE Fondations a réalisé, dès le début du confinement, des interventions urgentes nécessitant des grands déplacements, elle a pris soin de vérifier les conditions de logement et de repas de ses collaborateurs, alors qu’en temps normal, ils partagent des chambres d’hôtel. Hors de question en période d’épidémie, où la règle est une chambre par personne et la prise de repas isolé.
Désigner un référent Covid-19
Afin d’accompagner les équipes dans l’acquisition de nouveaux réflexes pour se protéger de l’épidémie, le guide de préconisations de l’OPPBTP propose de désigner un ou plusieurs référents Covid-19 pour l'entreprise et par chantier. Leur rôle ? Organiser, définir,
et coordonner les mesures à déployer et à faire respecter. Choisi pour ses compétences, il peut être par exemple, selon la typologie de l’entreprise, le chef d’entreprise lui-même, un représentant du personnel ou un collaborateur déjà impliqué en prévention, un membre de la direction, le conjoint du collaborateur, un encadrant.
Sur le chantier Eole, c’est Olivier Brzezinski, responsable prévention santé sécurité du chantier Eole lot GC-TUN et du groupement Bouygues Travaux publics-Eiffage Génie civil -Razel-Bec qui remplit cette mission. Il assure également la formation de seize référents Covid nommés par zone de travaux (lire p. 22). Chez Rabot Dutilleul Construction, Xavier Huou, directeur général adjoint, est le référent Covid de l’entreprise, tandis que plusieurs chargés de prévention Covid sont tout aussi bien des animateurs QSE, des conducteurs de travaux, des chefs d’équipe, à la condition qu’ils sachent encadrer et réguler.
La distance minimale d’un mètre
Car le respect de la distance minimale d’un mètre entre deux personnes est bien l’un des principaux gestes barrières. Ce qui impacte l’organisation du chantier à de nombreux égards. Tout d’abord, l’aménagement des bases vie et bungalows de chantier est entièrement revu par les entreprises. Ainsi, sur le chantier Eole, un décalage des horaires d’embauche a permis d’éviter un afflux de personnes trop important au même moment, l’ensemble des armoires de vestiaires ont été réallouées pour respecter la distanciation et un système de couleurs par équipes a été adopté.
Autre élément omniprésent désormais sur les chantiers : la matérialisation, par des marquages au sol, ou sur les tables de réunion et de réfectoires, de la distance à respecter. Afin de faciliter l’application de ce geste barrière, l’organisation des prises de postes de travail et la rotation des salariés sur les heures de repas pour éviter que trop de personnes ne soient présentes en même temps, font partie des solutions mises en place. Tout comme les systèmes de barriérage ou de circulation intérieure.
L’entreprise de charpente Darrieumerlou, dans son atelier, a ainsi créé des zones de travail avec du ruban de balisage pour chaque opérateur, le but étant d’organiser une protection collective en respectant les distances. Elle a également rationalisé ses flux grâce à sa démarche, existante avant la crise, de lean production, afin d’effectuer le moins de déplacements possible.
©Alesia Peinture
Hygiène et nettoyage
En lien avec la nouvelle organisation des bases vie, des dispositions spéciales sont prises pour assurer un nettoyage renforcé des espaces collectifs, lieux de réunion, surfaces de contact, poignées de porte… Des sociétés de nettoyage interviennent plus fréquemment.
©Darrieumerlou
Mais le renforcement des mesures d’hygiène et de nettoyage a aussi sa dimension individuelle. Points d’eau plus nombreux, gel hydroalcoolique et lingettes désinfectantes sont mis à disposition des salariés. Même en déplacement, le compagnon doit pouvoir se laver régulièrement les mains. L’entreprise de TP Nabaffa a ainsi imaginé un kit par véhicule comprenant eau, papier essuie-mains, gel hydroalcoolique, lingettes désinfectantes, sacs-poubelles, et masques.
Sur le chantier Eole, la multiplication de points d’eau est visible, afin de faciliter le lavage des mains tout au long de la journée et au plus près des postes de travail. Quant à l’outillage individuel, la tendance sur les chantiers est à l’utilisation personnelle avec un système de code couleur pour l’identifier. Mais lorsque l’outillage et a fortiori les engins sont partagés, la désinfection s’organise. Ainsi, chez Eurovia, c’est la personne qui s’apprête à l’utiliser qui le nettoie.
Une information et une communication de qualité avec les personnels
Et pour ce faire, la bonne application et l’acceptation des mesures spécifiques de prévention liées à l’épidémie de Covid-19 passe par une bonne information des salariés sur les nouvelles consignes. Le groupe Eri-Elsia a par exemple créé des moyens d’informations spécifiques pour ses salariés, des « flashs Covid-19 » élaborés par sa chargée de prévention, diffusés par courriel ainsi que sous forme de causeries et d’affichages sur les chantiers et dans les véhicules. Elle a aussi convoqué en sessions extraordinaires deux fois par semaine, le CSE-CSSCT, étroitement associé aux réflexions et décisions, tant relatives à la situation des salariés qu’à l’intégration du risque Covid-19 dans le DUER.
L’association des représentants des salariés aux décisions prises en amont de la reprise des chantiers est en effet essentielle pour rassurer les salariés et pour faire adhérer les salariés aux mesures de prévention adoptées.
Afin d’assurer la protection de tous, toute personne ayant des symptômes de la maladie doit rester chez elle et les personnels à risque élevé de santé peuvent bénéficier du dispositif d’activité partielle. Même si cette mesure n’est pas recommandée par le Haut Conseil de la santé publique, de nombreuses entreprises prévoient
la prise de température de leurs salariés à l’entrée des chantiers, par mesure de précaution. En revanche, la réalisation d’un autodiagnostic à utiliser par les personnels afin d’évaluer leur état de santé avant de se rendre au travail est recommandée. Mais il s’agit bien d’une auto-déclaration et en aucun cas, l’employeur ne doit enregistrer des données de santé des salariés. Le questionnaire peut être affiché à l’entrée d’un chantier ou des locaux de l’entreprise. Cette pratique est présente par exemple sur le chantier Eole, et chez Rabot Dutilleul Construction.
Coconstruire les règles de reprise
Afin de coconstruire ses règles de reprise, Eurovia a créé un groupe de travail rassemblant des représentants de l’instance de dialogue social supra légale – réunissant la direction de l’entreprise en France et les représentants nationaux de chaque organisation syndicale représentative – et la direction de la prévention (lire p. 30). Cette nécessité de dialogue, la petite entreprise Ancelot Lepolard l’a tout de suite identifiée, en créant ce qu’elle appelle son comité hygiène et sécurité dédié au Covid-19.
L’information des salariés redouble d’intensité en cette période d’épidémie et l’affichage des consignes est omniprésent dans les locaux des entreprises et sur les chantiers. Au-delà, l’organisation d’accueils spécifiques et de quarts d’heure sécurité dédiés s’avère indispensable tout comme la formalisation de formations. Ainsi, l’entreprise de TP Nabaffa, a, dès le début de la crise sanitaire, organisé une formation d’une heure et demie et fait signer les consignes.
Port d’un masque de protection respiratoire et de lunettes
Le port du masque et des lunettes est obligatoire en cas de travail à moins d’un mètre d’une autre personne, en cas d’intervention chez une personne malade ou à risque de santé. Il peut être associé à un écran facial lors de travaux à l’extérieur, pour protéger le masque de la pluie. Sur le chantier Eole, le port du masque est généralisé et permanent, les responsables étant partis du principe qu’il existe toujours des moments où les personnes se croisent sur le chantier et qu’il est parfois compliqué de respecter la distanciation physique.
De son côté, Eurovia fait dépendre le port du masque de la situation de travail. Si la distanciation sociale ne peut pas être respectée, alors le port du masque est exigé. Encore faut-il bien le porter. C’est pourquoi des formations doivent être dispensées aux personnels. Sur le chantier Eole, c’est une infirmière qui apprend aux compagnons à porter le masque chirurgical.
Le port du masque fait partie des habitudes nouvelles pas toujours faciles à prendre sur les chantiers, le masque générant de la buée sur les lunettes, de la chaleur et des difficultés à respirer. La vigilance bienveillante des référents Covid-19 et la vigilance partagée des salariés parviendront sans doute à lever ces contraintes. Et, point positif, l’attention portée à l’hygiène sur les chantiers devrait rester un acquis de cette crise sanitaire. Pour le bien-être de l’ensemble des salariés.