Actu Maçons fumistes étude Journées SST Marseille 2023

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    Comment encourager les médecins du travail à se lancer dans la biométrologie ? C’était l’un des souhaits des organisateurs des 36es Journées nationales de la Santé au travail dans le BTP *. Pour illustrer cette intention, une étude sur l’exposition professionnelle aux hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) des maçons fumistes (spécialistes des cheminées et des revêtements réfractaires) a été dévoilée. Cette étude a été particulièrement complexe à mettre en place : métier méconnu, profils de salariés très variés, coactivité, sous-traitance, horaires de nuit, multi-expositions…. « Nous nous sommes mis dans les pires conditions, et nous y sommes arrivés », se réjouit le Dr Sophie Dumas (APSTBTP13), auteur principal de l’étude. La démonstration a été faite que la protocolisation mise en place pouvait être déclinée à d’autres thématiques et à d’autres chantiers.

    Des mesures biologiques pour suivre des polyexpositions

    L’étude visait également à mieux évaluer les niveaux d’exposition en HAP des maçons fumistes. « Cette cible a été choisie pour la méconnaissance du métier de monteur en thermique industrielle, particulièrement exposant à des agents chimiques dangereux (ACD) et pour sa pénibilité présumée. »

    Seize HAP ont été définis comme prioritaires par l’agence américaine de l’environnement (EPA). Quinze d’entre eux ont été ciblés dans l’étude ainsi que deux autres qui sont des traceurs de certains types d’émissions. Certains HAP sont irritants pour la peau et les voies respiratoires. Les effets phototoxiques des HAP sont également bien documentés. Enfin, trois types de cancers sont reliés à ces polluants : les cancers broncho-pulmonaires, cutanés, et ceux de la vessie. Ils sont décrits dans les tableaux 16 bis et 36 bis du régime général. Pour d’autres tumeurs -notamment digestives- le niveau de preuve est plus faible. Les HAP sont également soupçonnés d’augmenter certains risques cardiovasculaires.

    Les HAP sont produits lors des combustions incomplètes de matière organique (fumées de bitume, gaz d’échappement, combustion des dérivés de la houille, cigarette, barbecue…). Par définition « il s’agit donc de poly-expositions avec un mélange de plusieurs dizaines de molécules, voire plus », ajoute Sophie Dumas. Les HAP étant lipophiles, ils ont une bonne absorption cutanée. Cette pénétration cutanée a orienté les investigateurs vers la biométrologie. Les HAP les plus légers (HAP volatils comportant moins de cycles) sont éliminés principalement par les voies urinaires tandis que les plus lourds sont éliminés par voie digestive toutefois, avec une technique de purification et d’analyse très sensible, on peut les détecter dans les urines. 

    Cohérence entre les mesures biologiques et les résultats atmosphériques

    Les prélèvements, réalisés par l’APSTBTP13 et BTP Santé au travail, ont porté sur 71 salariés travaillant dans des aciéries, cimenteries, usines de production d’alumine, vapocraquage, déchèterie… « Ils interviennent sur des matériaux réfractaires qui résistent à des chaleurs extrêmes (supérieures à 1000 °C) », explique Manon Terris, infirmière de santé au travail à l’APSTBTP13. Les activités de ces salariés concernaient aussi bien la démolition, le nettoyage et l’évacuation de gravats, que la reconstruction. Les contraintes auxquelles étaient exposés les compagnons sont nombreuses : ambiance thermique chaude (les fours sont refroidis mais la température demeure aux environs de 35 à 40 °C), luminosité réduite, postures contraignantes, vibrations très intenses au niveau des membres supérieurs, manutention, exposition accidentelle à l’amiante ou à des fibres céramiques… S’y ajoutent des poussières de démolition de béton exposant à la silice, des gaz d’échappement (engins et outillage), un risque d’anoxie (travail en milieu confiné). 

    Une faible exposition aux HAP

    Des prélèvements atmosphériques ont été réalisés ainsi que des prélèvements urinaires à différentes phases des chantiers (démolition, reconstruction). Les concentrations atmosphériques des HAP sont globalement faibles (quelques dizaines de ng/m3) et peu différentes en fonction des chantiers. S’agissant du BaP cancérogène, les résultats sont largement inférieurs à 150 ng /m3 (valeur maximale recommandée par la Cnam) quel que soit le secteur d’activité.

    Pour le métabolite du Pyrene, tous les résultats sont inférieurs à la valeur maximale recommandée en milieu professionnel (VBI**) que ce soit au début du chantier, à la fin chantier, pendant les phases de démolition ou celles de reconstruction. Y compris pour les salariés fumeurs. « Mais pour trois salariés, la concentration se situe entre la valeur biologique de référence (VBR***) de la population générale et la VBI. On se pose la question d’une éventuelle co-exposition avec les engins diesel utilisés à proximité du chantier », note le Dr Renaud Persoons, toxicologue au CHU de Grenoble et co-auteur de l’étude. Pour le Tetrao/BaP (biomarqueur qui reflète spécifiquement la voie métabolique toxique du benzo(a)pyrène cancérogène), les valeurs sont inférieures aux valeurs populationnelles (VBR) sauf pour trois salariés fumeurs et quatre salariés non-fumeurs. Là encore se pose la question de la co-exposition mais également l’éventualité d’une exposition lors des chantiers antérieurs.

    De manière générale les concentrations urinaires ont mis en évidence une très faible exposition professionnelle aux HAP chez les maçons fumistes suivis. Par ailleurs, les résultats sont en cohérence avec les prélèvements atmosphériques et avec la disparition, progressive de l’utilisation de liants de briques réfractaires contenant ces polluants. 

    Des recommandations pour réduire les expositions

    En conclusion, les investigateurs ont proposé une série de recommandations :

    • automatisation des tâches ou travail à distance (mais étant donnée la taille très exiguë des fours, c’est souvent peu réalisable)
    • recours à un outillage manuel, moins émissif (mais également plus pénible)
    • diminution de l’empoussièrement : confinement par dépression avec renouvellement d’air, filtration, aspiration directe des poussières, humidification ou brumisation … (mais certains revêtements réfractaires supportent mal l’eau)
    • rotation des tâches et information des salariés sur les risques inhérents aux HAP
    • port d’EPI adaptés (protection respiratoire équipée de filtre antipoussière et antigaz A2P3 combiné ; lunettes de protection étanches de type masque ; vêtement de protection à usage unique avec capuche, type 5 ; gants étanches à manchette ; chaussures de sécurité en cuir…). « L’objectif est que le moins de peau possible soit exposée à poussière », indique Manon Terris.
    • mesures d’hygiène (lavage des mains, douche en fin de poste, changement de tenue lorsque celle-ci est souillée…)
    • et bien entendu, contrôler les VLEP des HAP et poursuivre la surveillance biologique.

    *L’étude a été présentée le 2 juin 2023 à Marseille, dans le cadre des 36es journées de santé au travail dans le BTP, qui portaient sur la thématique « Biométrologie, traçabilité, prévention en milieu confiné ».

    **Dans le domaine de la santé au travail, on recourt à des valeurs biologiques d’interprétation (VBI), dont certaines sont réglementaires et d’autres recommandées par expertise.

    ***La VBR est la Valeur biologique de référence, autrement dit la valeur maximale (95° percentile) retrouvée dans la population générale.

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