Des marges de manœuvre pour travailler dans de meilleures conditions
Les marges de manœuvre, ou espaces de liberté, peuvent aider les professionnels du BTP à faire mieux face à certains dangers et à améliorer leurs conditions de travail. Laurence Montcharmont Pousset, sociologue, explique ce qu’elle a observé sur le terrain.
Date de mise à jour : 12 déc. 2022
Auteur : Virginie Leblanc
Laurence Montcharmont Pousset est sociologue au Laboratoire lorrain de sciences sociales 2L2S. Elle travaille sur les liens entre le travail et la santé, les conditions de travail et la gestion des risques professionnels par les salariés du BTP. Plus particulièrement, elle a exploré leurs relations avec l'autonomie, en fonction de leur expérience, de leur contrat de travail et de la taille des entreprises dans lesquels ils interviennent*.
Vous avez observé comment les ouvriers du BTP font face aux risques rencontrés dans l’exercice de leurs tâches sur les chantiers. En quoi la question des marges de manœuvre, des espaces de liberté dont ils disposent, est un élément pour faire face à certains dangers ou se préserver ?
Les marges de manœuvre, ou espaces de liberté, sont un élément pour faire face aux dangers ou se préserver car elles permettent de choisir les gestes adéquats, de changer l’ordre des tâches d’une manière plus appropriée pour certains chantiers. Ces espaces de liberté permettent aussi aux ouvriers de s’organiser au mieux pour travailler dans de meilleures conditions. Par ailleurs lors d’un entretien, nous avons rencontré Cyril, couvreur qui se dit « être libre ». Selon ses propos, « personne me dit ce que j’ai à faire. Je fais mon taf dans la journée. »
Vous soulignez que ces marges de manœuvre peuvent paradoxalement déboucher sur des risques. Que faire dans ces circonstances ?
Pour que cela n’arrive pas, les ouvriers comme les intérimaires, souvent jeunes, doivent rester prudents et ne pas faire un excès de zèle pour montrer qu’ils sont à la hauteur des tâches demandées. Les travailleurs expérimentés comme les anciens doivent accepter les protections collectives et individuelles. Or certains les refusent car ils ont été habitués à travailler d’une certaine façon et sont réticents à se protéger. C’est surtout le cas des personnes qui n’ont jamais eu d’accidents et qui pensent que cela ne leur arrivera pas.
Quelles différences observez-vous en fonction de l’ancienneté des ouvriers du BTP ? En fonction de leur contrat de travail (CDI, CDD, intérim) ? Et quelle est votre interprétation ?
Les ouvriers ayant une certaine ancienneté et ceux possédant un CDI ont généralement plus de marges de manœuvre car ils ont acquis des savoir-faire leur permettant de se protéger. Cela est moins le cas pour les contrats courts comme l’intérim. En effet, hormis les intérimaires dont les missions sont renouvelées régulièrement, ces salariés doivent sans cesse changer de poste et n’ont pas le temps d’acquérir les gestes adéquats pour préserver leur santé.
La taille des entreprises semble également avoir un impact sur les marges de manœuvre face à un risque ? Comment l’expliquer ?
La taille des entreprises a un impact sur les marges de manœuvre. Dans les grandes entreprises, les marges de manœuvre sont moins importantes car la gestion de ces dernières nécessite des procédures très encadrées par des protocoles rigoureux. À l’opposé, les marges de manœuvre sont plus importantes dans les petites entreprises qui ne disposent pas des mêmes moyens et équipements.
Que faudrait-il pour que ces marges de liberté puissent être bénéfiques à la prévention des risques ?
Pour que les marges de liberté laissées aux ouvriers puissent être bénéfiques à la prévention des risques, elles ne doivent pas être trop importantes. Il est difficile de trouver un juste milieu. En tout cas, un encadrement est nécessaire afin d’éviter les accidents. Selon Régis, chef d’équipe, des réunions quart d’heure sécurité ont lieu certains jours pour expliquer les risques en début de chantier. Un dispositif similaire a été mis en place dans l’entreprise de Philippe, chef de chantier désamiantage : une personne du service sécurité vient de temps en temps contrôler tous les chantiers et voir si tout se passe bien. Des formations sont également mises en place. Mehmet, chef de chantier, cite le permis CACES® renouvelé tous les ans. Selon Philippe, « tous les trois ans, on a une formation “recyclage amiante” pour apprendre ou vérifier qu’on sait bien mettre notre combinaison. Il y en a toujours qui se trompent ou qui prennent une mauvaise habitude. Il y a une certaine façon de l’enlever, il faut l’enrouler. »
*Les travaux et entretiens évoqués par Laurence Montcharmont Pousset se situent autour des années 2016-2017-2018.