Grand entretien avec François Dutilleul : "La performance ne peut être que globale"
François Dutilleul, président de Rabot Dutilleul, explique comment l’entreprise innove et s’engage sur l’amélioration des conditions de travail et la culture de sécurité. Interview.
Date de mise à jour : 1 juil. 2021
Auteur : Virginie Leblanc
©Jean-Baptiste Vetter
À la tête de Rabot Dutilleul depuis 2013, François Dutilleul affirme les valeurs humaines de l’entreprise familiale. Valeurs qui servent la prévention et l’esprit d’initiative des équipes pour innover et allier performance et sécurité.
● L’entreprise mise sur différents leviers pour améliorer les conditions de travail.
● Le Lean construction est un atout pour la prévention.
Article paru dans le magazine PréventionBTP N°252 de juin 2021, page 34.
Plus d’un an après le début de la crise sanitaire, comment se porte votre entreprise ?
Notre entreprise est en pleine activité et nos chantiers avaient en grande partie repris pendant le premier confinement, dès le 20 avril 2020. Nous sommes une entreprise générale de construction, avec des contrats sur un temps long : un à deux ans, voire plus… Notre vigilance porte donc sur le renouvellement de notre carnet de commandes alors que certains acteurs, publics ou privés, peuvent ralentir leurs investissements.
Quels changements majeurs a produit cette crise ?
Depuis le début, la crise sanitaire a resserré les rapports humains. Nous n’avons jamais autant été préoccupés de la santé de nos collaborateurs et de nos parties prenantes. Nous sommes plus aguerris avec les outils digitaux et le télétravail. On a avancé de plusieurs années de ce côté. Je note également que les réunions en visioconférence démarrent à l’heure ! Les équipes de Rabot Dutilleul ont aussi eu la fierté de redémarrer le chantier de l’hôpital Henri Mondor à Créteil, en urgence, dès la fin mars 2020. Elles ont su inventer des méthodes de travail adaptées au contexte. Et, grâce également aux protections fournies par l'APHP, elles ont assuré la livraison rapide et anticipée d’un bâtiment abritant des lits de réanimation, fin avril 2020. S’agissant de la prévention en période de Covid, le guide de l’OPPBTP a fourni un cadre qui nous a fait gagner un temps fou. Il a permis d’avoir une réaction uniforme du secteur du BTP face à l’épidémie. Les mesures partagées avec les pouvoirs publics, d’autres entreprises et les clients ont été importantes pour que les salariés et les représentants du personnel adhèrent. Plus largement, cette crise a fait prendre conscience de l’importance de la santé et de l’hygiène sur les chantiers. Et c’est bénéfique. Traditionnellement, nous sommes focalisés sur la sécurité, car le risque est plus immédiat et visible. Mais il faut faire attention à la dispersion et remobiliser sur les risques traditionnels.
Justement, quels sont vos principaux enjeux aujourd’hui en matière de santé-sécurité ?
Comme beaucoup d’entreprises du BTP, nous visons le zéro accident avec arrêt sur les chantiers. Nous priorisons nos actions de prévention autour de l’amélioration générale des conditions de travail, ce qui recoupe la santé-sécurité, les innovations techniques et organisationnelles, et les nouvelles façons de travailler dans le BTP. En 2021, nous poursuivons notre veille technique sur l’outillage. Un exemple avec les cisailles électriques pour nos ferrailleurs. Elles ont trois vertus : la préservation de la santé des collaborateurs, car elles limitent les vibrations, sources de TMS ; la diminution des risques de sécurité directe, comme le risque de projection dans l’œil ; et un bon niveau d’efficacité. Nous sollicitons également des ergonomes de la médecine du travail pour étudier les postes de travail et les améliorer. Nous travaillons sur les risques liés à la manutention manuelle et aux chutes de plain-pied et l’usage du Lean construction nous permet d’améliorer la circulation et les flux sur les chantiers. C’est un outil participatif de recherche de solutions, qui crée de la valeur. Enfin, nous avons noué un partenariat avec l’OPPBTP et l’Icsi sur la culture de sécurité.
Quel est son objectif ?
L’entrée dans cette démarche est une décision stratégique forte de la direction de l’entreprise prise fin 2018 et qui mobilise tous les collaborateurs. Elle est pilotée par Olivier Stienne, notre directeur Prévention et Lean management. Elle va nous aider à passer un cap et à aborder le sujet de la prévention de manière différente. Elle se distingue par l’attention portée aux facteurs organisationnels et humains et à la notion de collectif de travail. L’humain est au cœur de l’acte de construire : ce type de démarche participative qui émane du terrain convient forcément au BTP et à notre façon de travailler en mode collaboratif. La phase de diagnostic a été un succès avec de nombreux questionnaires de perception de la culture sécurité qui ont été remplis, y compris par les intérimaires. Nos quatre axes d’action sont définis aujourd’hui : prendre conscience des risques les plus importants afin d’éradiquer les situations pouvant conduire à des accidents graves et mortels ; affirmer nos lignes rouges infranchissables ; partager et échanger sans tabou sur nos succès comme sur nos échecs pour progresser ensemble ; et, enfin, promouvoir l’exemplarité et l’implication de tous, durablement, en disposant de règles incontournables, claires et appliquées partout. Les chantiers tests pour expérimenter ces lignes rouges démarreront en septembre.
Chez Rabot Dutilleul, « l’humain est au cœur de l’acte de construire. » ©Rabot Dutilleul
« La démarche sur la culture de sécurité se distingue par l’attention portée aux facteurs organisationnels et humains et à la notion de collectif de travail. »
Vous réfléchissez également à de nouveaux procédés constructifs.
Nous intervenons beaucoup en rénovation, avec des restructurations lourdes sur des bâtiments existants. On n’y travaille pas de la même manière qu’en terrain nu. Quand elle est adaptée, nous avons recours à la construction hors site et à l’assemblage sur chantiers d’éléments préfabriqués. Les impacts sur la sécurité sont favorables, pour les collaborateurs et pour les intervenants. Nous nous tournons aussi beaucoup vers l’amont, la conception-réalisation. À ce stade, nous avons plus de marges de manœuvre pour jouer sur la qualité finale et la sécurité pendant l’acte de construire.
Vous agissez également pour favoriser le maintien en emploi et la prévention de la désinsertion professionnelle. Comment ?
Nous sommes une entreprise familiale qui veille à son impact sur son territoire et les valeurs humaines sont très importantes. Les actionnaires de Rabot Dutilleul ont accompagné l’entreprise pour préserver son capital humain, les hommes et les femmes avec leurs compétences. Nous travaillons en continu sur l’amélioration des conditions de travail. Un ergonome nous a rejoints en stage pour cinq mois début avril, en renfort pour une étude de poste. Le Lean, déjà évoqué, par la réduction du gaspillage et des ports de charges inutiles, agit favorablement sur les conditions de travail. Et donc sur le maintien en emploi. Troisième exemple : nous animons des comités santé trimestriellement avec un médecin du travail et un assistant social. L’objectif est d’anticiper des problèmes physiques à venir, avant qu’il ne soit trop tard. Grâce à cela, un ancien chef de chantier a rejoint le service prévention, il donne ainsi une nouvelle impulsion à sa carrière et il apporte un enrichissement grâce à son expérience accumulée sur le terrain. Une manière de faire encore rimer prévention et performance.
François Dutilleul, président de Rabot Dutilleul ©Jean-Baptiste Vetter
- Votre mot préféré ? Équipe.
- Le mot que vous détestez ? Le principe de précaution.
- Le métier que vous auriez aimé exercer en dehors du vôtre ? Explorateur.
- Le métier que vous n’auriez pas aimé faire ? Un métier répétitif.
- Votre bâtiment préféré ? Shake à Euralille.
- Le son, le bruit que vous aimez ? Le « tchin » des moments de convivialité.
- Le son, le bruit que vous détestez ? Le son du râleur.
- Le livre que vous emporteriez sur une île déserte ? Le Guide du Routard de l’île.
- Une personnalité pour illustrer un nouveau billet de banque ? Albert Einstein.
Identité Ingénieur Civil de l’École des Mines de Paris, François Dutilleul a débuté sa carrière comme consultant junior pour Canarail, avant de devenir ingénieur chez Egis. Il a intégré Rabot Dutilleul en 1998, y a exercé plusieurs métiers, puis en a pris la présidence en 2013.
Parcours
- 1998. Ingénieur chez Rabot Dutilleul Construction.
- 2007. Directeur général chez Sedaf.
- 2009. Membre du directoire de Nacarat.
- 2013. Président du directoire de Rabot Dutilleul.
Il est membre du Comité Grand Lille, vice-président du Medef Lille Métropole, président de la commission Europe et International de la FFB.
Rabot Dutilleul Construction est une entreprise familiale indépendante créée en 1920 dans la métropole lilloise par Henri Rabot et Barthélémy Dutilleul (arrière-grand-père de François Dutilleul, de Pierre Craye et de Frédéric Sternheim). Son capital est détenu à 90 % par la famille Dutilleul et à 10 % par les collaborateurs du groupe. Présente en France et en Belgique, elle exerce son activité de construction en travaux neufs comme en réhabilitation, sur toutes typologies de bâtiment : bureaux, hôtels, établissements scolaires, immeubles résidentiels, bâtiments industriels, centres hospitaliers…
Elle intervient en entreprise générale, conception-réalisation, gros œuvre ou montage immobilier. Elle compte aujourd’hui 1 000 collaborateurs et prévoit un chiffre d’affaires de 350 millions d’euros pour 2021.