Grand entretien avec François-Yves Jolibois, Réseau-Jade : « Parler sécurité revient à parler productivité et vérité »

Son ambition : être l'expert des travaux en hauteur. François-Yves Jolibois, issu du monde sportif (judo, escalade, alpinisme), a créé Réseau-Jade en 1998, avec pour référence la Comex (Compagnie maritime d'expertises) et ses plongeurs spécialisés dans les travaux sous-marins. 2021 a été l'année du projet « L'Arc de Triomphe, Wrapped ». il évoque aujourd'hui l'approche de la prévention des risques qui impacte l'ensemble de ses activités.

Sur quelles valeurs, l'entreprise Réseau-Jade s'est-elle créée ?

L'activité de travaux avec accès difficile, que ce soit à la corde ou pas, suppose toujours des opérations hors norme. Faire du « mouton à cinq pattes » nous permet de dégager de la valeur ajoutée. Je viens du monde du sport très associé à la recherche de la performance. Notre façon de fonctionner est d'ailleurs plus proche d'un club de sport que de celle d'une entreprise. C'est l'équipe qui compte. L'individu se met au service du collectif qui, à certains moments, se met au service de l'individu. Ce principe a été maintenu depuis l'origine. Comme en escalade ou en plongée, nos équipes travaillent en binôme, voire en trinôme avec une personne au sol qui approvisionne et assure la vigie. C'est le fameux body-check, qui signifie avoir un regard sur l'autre, partager la vigilance. En clair, on ne se regarde pas le nombril, on considère l'environnement de travail dans sa totalité pour avancer ensemble.

Comment cet esprit d'équipe se structure-t-il sur le terrain ?

Essentiellement sous la forme de briefings et de débriefings, qui sont pour Jade des outils d'amélioration continue sur le principe du référentiel Mase*. Quel que soit son niveau de compétence, ce qui compte c'est d'être meilleur le lendemain. Sur de grands comme de petits chantiers, le document unique est notre base de travail. Et la réflexion commence tôt. Pas besoin d'attendre le début du chantier pour se poser des questions sur la sécurité. Pour le projet de l'Arc de Triomphe, nous avons démarré deux ans plus tôt. Nous avons même été rémunérés par notre client pour nous entraîner spécifiquement à l'intervention programmée.

* Mase : (Manuel d'amélioration sécurité entreprise) est un référentiel de système de management de la santé et la sécurité au travail

Vous entretenez une relation particulière avec vos clients… ?

Nous raisonnons en termes de partenariat. Pour une bonne prise en compte des risques exportés et importés, il est essentiel de bien expliquer au donneur d'ordre comment nous allons intervenir. Plus encore en coactivité. Cela prend la forme d'un récit, on raconte le déroulement du chantier avant même qu'il ne commence. À chaque étape, trois solutions sont prévues, ce qui permet, le moment venu, d'être agile et productif. Le chantier de l'Arc de Triomphe, qui comportait vingt-quatre phases, ne s'est pas déroulé exactement comme prévu, mais toutes les solutions avaient été envisagées. Pour reboucler avec votre question, le partenariat va même, parfois, jusqu'à concevoir un système d'accès et à former nos clients pour qu'ils interviennent sans nous. Nous travaillons avec eux sur une vision longue.

Comment gérez-vous le recrutement et l'accueil des nouveaux arrivants ?

Jade ne recrute que des personnes qui, avant d'être cordistes, ont un savoir-faire : des soudeurs, des maçons, des peintres, des électriciens… Ensuite, tout le monde est formé par nos soins de façon à travailler à l'identique et pouvoir parler de sécurité sur des bases communes. Ce qui revient pour moi à parler productivité et vérité. Même nos commerciaux ont un diplôme de cordiste. Pour maintenir un esprit d'équipe, il faut aussi une grande proximité entre l'encadrement et les compagnons. Les responsables d'agence sont eux-mêmes des spécialistes de la corde.

Vous évoquiez l'agilité de vos salariés. Comment les faites-vous progresser ?

Tout notre travail repose sur l'autonomie. Plutôt que de mettre nos collaborateurs dans une case, nous essayons de créer autour d'eux une bulle dans laquelle ils peuvent évoluer sans contrainte et en sécurité. En termes de matériels, on achète ce qu'il y a de mieux, en privilégiant l'utilisateur final. Nous progressons aussi au contact de nos clients et des autres entreprises. En partenariat avec Alisa Dépollution, Réseau-Jade a, par exemple, mené un gros chantier de désamiantage avec une montée en compétences mutuelle, eux en travaux en hauteur et nous en travaux amiantés en sous-section 3.

Comment avez-vous fait évoluer votre approche de la prévention ?

À l'origine, le management était encore très descendant. La démarche de progrès menée avec l'OPPBTP sur les savoir-faire nous a fait passer à une phase active de remontées d'informations depuis le terrain, qui constituent la majorité de notre plan d'action. Elle nous a conduits en 2007 à l'obtention de la certification Mase. Nous avions des accidents, pas des chutes de hauteur, mais des coupures, faute de porter des gants, et des risques de TMS. Ces derniers ont été traités par des échauffements, une réflexion sur l'ergonomie, par la surélévation des camions et l'introduction de chariots pour déplacer les matériaux. On a aussi appris à se garer en marche arrière, à faire un certificat Consuel au moment de l'installation de la base vie. Moralité : on est toujours plus intelligents à plusieurs que tout seul.

Comment la culture sécurité est-elle entretenue chez Jade ?

Tous les ans, la première semaine de l'année est consacrée à la prévention. Nous cessons toute activité pour ne parler que de sécurité avec l'accompagnement de l'OPPBTP. Le matériel est vérifié partout, au même moment, avec un partage d'expériences entre nos agences. Les événements de l'année, notamment ceux à hauts potentiels de situations à risques, sont analysés. Lors de causeries, nous évoquons les développements à venir, les nouvelles filières et les formations. Il existe déjà une appli pour faire remonter des informations. Nous développons aussi un registre sécurité et un logiciel sur les compétences. Pour arriver à une équipe optimale, il faut une culture d'entreprise commune et de l'innovation managériale.

Prévention et performance, qu'est-ce que cela vous évoque ?

Dans notre métier, le plus long est d'accéder au poste de travail. D'où l'importance de bien faire la première fois pour ne pas avoir à y retourner. La phase de conception est essentielle pour travailler ensuite plus rapidement et en sécurité. Si le poste de travail est bien adapté à l'homme, le travail s'effectue en sécurité avec une forte productivité. Il faut savoir que la corde, en tant que moyen d'accès, n'intervient que dans 30 % de notre chiffre d'affaires. Récemment, sur un chantier où l'accès à la corde ne comptait que pour 20 %, nous avons, avec le concours de la Carsat et de l'OPPBTP, modifié un panier de nacelle pour pouvoir y être assis. La sécurité ne fait pas perdre de l'argent, elle en fait au contraire gagner. Pour moi, sécurité et performance, c'est la même chose et on pourrait en dire autant de l'environnement.

Quel est votre rapport à l'innovation ? L'usage de drones, par exemple, est-il un moyen de réduire l'exposition au risque ?

Au-delà de la sécurisation des travaux en hauteur avec accès difficile, Jade propose une solution globale incluant la formation mais aussi la conception et la distribution de systèmes de sécurité antichute. Nous travaillons avec les fabricants pour créer de nouveaux produits, déposer des brevets européens. S'agissant des drones, nous avons, par exemple, conçu un modèle qui prend des photos vers le haut, sous les tabliers de ponts. Un autre est capable d'installer l'ancrage et la corde à notre place. Nous développons aussi des techniques de panier suspendu sous grue pour savoir si les systèmes antichute sont résistants et éventuellement les renforcer avant de les utiliser. À mon sens, mettre l'innovation au cœur du process et avoir des collaborateurs inventifs et autonomes, c'est aller dans le sens de la performance.