Paul Duphil, secrétaire général de l'OPPBTP : « Covid-19 : une profession mobilisée face au risque »
Le secrétaire général de l’OPPBTP revient sur la mobilisation des entreprises du BTP pour assurer une reprise de leurs chantiers dans les meilleures conditions de sécurité pour leurs salariés, en cette période d'épidémie de Covid-19. Il souligne leur engagement exceptionnel et rappelle le rôle joué par l’OPPBTP à leurs côtés. Des enseignements positifs pour la prévention pourraient émerger pour l’après-crise.
Date de mise à jour : 20 mai 2020
Auteur : Virginie Leblanc
Deux mois après la publication de la première version du guide de préconisations sanitaires de l’OPPBTP, quelle appréciation portez-vous sur son appropriation par les entreprises ?
Collectivement, le BTP a assumé une position plutôt maximaliste, car il n’était pas question de prendre le moindre risque pour la santé des salariés. Il faut saluer le travail remarquable et la créativité d’un grand nombre d’entreprises pour mettre en œuvre, de façon effective, les mesures de protection recommandées mais aussi des « trucs et astuces » pour faciliter leur appropriation sur le terrain.
Les salariés sont souvent épatés par toutes les solutions mises en place, et ils y participent. Le guide paru le 2 avril, prenant appui sur des préconisations médicales, est le résultat d’un compromis entre la protection maximale des salariés et de tous les intervenants du chantier et la nécessité de continuer à vivre en présence de l’épidémie.
Quelles ont été les conditions indispensables à la reprise ?
La question de la relation contractuelle s’est imposée comme un point clé. Pour la reprise, nous avions besoin de tous les acteurs, maîtrise d’ouvrage, maîtrise d’œuvre… toute la chaîne de construction était perturbée. Beaucoup d’initiatives ont été prises, comme les « chartes de bonnes pratiques pour la gestion des chantiers », dont la première a été signée dans les Hauts-de-France, pour choisir les critères de priorisation des chantiers à redémarrer ou définir des clés équitables de répartition des surcoûts des arrêts de chantier et des mesures de protection.
Bien que décrié par certains, le rôle de référent Covid-19 désigné par le maître d’ouvrage a trouvé sa place, à la satisfaction des acteurs. De leur côté, les CSPS, accompagnés par l’OPPBTP, ont reprécisé les contours de leur mission en regard de la gestion du risque Covid (lire p. 6, NDLR). Les fabricants de matériels et de matériaux et les loueurs se sont aussi organisés pour accueillir les professionnels dans les meilleures conditions.
Le BTP a lui aussi été confronté à la pénurie de masques. Comment a-t-il fait face ?
Il faut souligner tout d’abord la générosité du secteur du BTP envers le secteur hospitalier qui a été remarquable, avec non seulement des dons de masques en nombre mais également de combinaisons jetables, de surbottes, de gants, et de lunettes de protection. Certaines entreprises ont gardé le minimum pour leurs travaux urgents. Mais très vite, elles ont été confrontées aux difficultés de fourniture en gel hydroalcoolique et en masques. Ce qui empêchait une reprise dans des conditions satisfaisantes, les compagnons ayant plébiscité le port du masque parmi les mesures sanitaires à mettre en œuvre.
Quelles sont les difficultés qui perdurent au regard de l’application des consignes de sécurité sanitaire sur les chantiers ?
La règle de distanciation sociale va à l’encontre de ce qu’est le BTP : un métier de main-d’œuvre, de contacts, d’échanges. Il est difficile de changer ses habitudes. C’est pourquoi l’OPPBTP a proposé la nomination d’un référent Covid-19, à la fois pour faire respecter les nouvelles consignes, dans un esprit de vigilance bienveillante, mais également pour faire remonter des retours d’expérience. La distance physique, le port du masque, la désinfection des outils… tous ces nouveaux réflexes sont encore à acquérir. Mais il ne faut pas pour autant oublier les risques « classiques ». Les métiers du BTP demeurent accidentogènes et ils paient un lourd tribut aux risques traditionnels.
Un des côtés positifs de la crise sanitaire réside dans le fait que la prévention est présente dans tous les esprits. De plus, on a remis en avant la notion de risque et en particulier de risque invisible, comme le risque chimique, souvent mal appréhendé dans le BTP.
- 17 mars : début du confinement et arrêt de la plupart des chantiers.
- 18 mars : des groupes de travail réunissent des experts de l’OPPBTP, ses médecins conseils, et des représentants d’entreprise pour préparer les préconisations spécifiques au BTP pour les activités urgentes.
- 21 mars : le gouvernement et les professionnels du BTP actent des difficultés de reprise de la chaîne du BTP et un guide de bonnes pratiques réalisé par l'OPPBTP est annoncé.
- 23-24 mars : association des partenaires sociaux, organisations patronales et syndicales, à la réalisation du guide. Transmission aux services de l’Etat
- 25 mars : réunion du conseil supérieur de la construction et de l’efficacité énergétique avec les organisations de la maîtrise d’ouvrage et maîtrise d’œuvre et les représentants du secteur du bâtiment.
- 27 mars : nouvelle version transmise aux partenaires sociaux.
- 29 mars au 2 avril : validation du guide par quatre ministères. La version comprend des demandes de toute la chaîne de construction, et associe les premières fiches et outils pour faciliter la mise en œuvre des préconisations.
Au 2 juin, près de 400 000 téléchargements du guide ont été enregistrés, y compris la troisième mise à jour du 27 mai dernier.
Et on dénombre 1,5 million de téléchargements de documents liés au Covid-19.
Quels peuvent être les autres bénéfices de la crise ?
La réactivité, l’agilité et la résilience dont notre pays, les organisations, les entreprises, et les individus ont su faire preuve. Nous avons su innover et réinventer des circuits de fabrication et de décision en un temps record. Nous avons fait un remarquable apprentissage du travail à distance et de nombreux professionnels du BTP espèrent en garder les bénéfices pour l’avenir. L’hygiène, point focal de la crise et souvent déficient dans le BTP – particulièrement sur les petits chantiers où elle relève souvent du système D – est devenue l’objet de toutes les attentions. Le risque de tous les jours a envahi le monde du travail. Et par conséquent, la crise sanitaire a fait voler en éclats la différence entre santé au travail et santé tout court. Les entreprises doivent se saisir de ce changement.
Le coût des mesures liées à la prévention du Covid-19 a un impact sur la productivité des entreprises. Quelles sont les solutions imaginées pour concilier protection et productivité ?
Des solutions de mécanisation pour se substituer à un port de charges par deux ou trois personnes sont aujourd’hui regardées de façon différente. De même, les procédés de préfabrication suscitent l’intérêt puisqu’ils limitent les temps d’intervention sur les chantiers où l’environnement est plus complexe. L’utilisation des outils digitaux et du BIM, déjà en fort développement, devrait aussi sortir renforcée de la crise. Ce qui est le gage d’une meilleure organisation globale du travail. Prévenir, c’est organiser et optimiser : un chantier bien mené en prévention est un chantier bien mené en production.
Après la crise, le rôle de l’OPPBTP pourrait-il évoluer ?
L’OPPBTP a été au contact direct de toutes les organisations représentatives de la maîtrise d’ouvrage et de la maîtrise d’œuvre, qui ont reconnu notre savoir-faire et la nécessité de se préoccuper de la santé-sécurité. Cela peut nous donner les moyens d’une meilleure interaction avec elles. Ces circonstances exceptionnelles ont également rappelé aux branches et aux entreprises que nous sommes présents pour les accompagner. Les conseillers de l’OPPBTP ont assisté à de nombreux CSE dédiés au Covid-19 et apporté leur soutien et leur expertise. Pendant le confinement, nous avons organisé plus de 500 réunions virtuelles en à peine trois semaines, rassemblant environ 7 000 participants. Nous expérimentons aussi la formation à distance. De même, nous souhaitons organiser de façon plus large des REX, métier par métier, afin de partager des solutions de prévention. Les outils digitaux, créés il y a deux ans pour faciliter la réalisation du document unique et le service Prévention En direct, ont montré toute leur efficacité en cette période de crise. Nous allons continuer à renforcer ces capacités digitales au service de la promotion et de l’animation de la prévention.