Victor Mendes, Razel-Bec : «Nous devons travailler davantage sur l’humain et sur ses motivations»
La diversité de ses métiers et de ses environnements d’intervention a conduit Razel-Bec à mettre en œuvre une politique exemplaire en matière de prévention. Elle s’appuie notamment sur dix règles d’or et une démarche continue de sensibilisation des collaborateurs dès leur intégration. Tour d'horizon avec Victor Mendes, qui a rejoint le groupe au printemps dernier comme directeur prévention sécurité santé.
Date de mise à jour : 6 janv. 2020
Auteur : Pierre Deschamps
©Nicolas Vercellino pour Razel-bec
Quelles sont vos priorités en matière de prévention des accidents?
Victor Mendes: Notre priorité numéro 1 est de travailler sur les accidents majeurs1 en affinant notre démarche sécurité. Pour parvenir à notre objectif du « zéro accident majeur », nous nous concentrons sur l’intégration et le renforcement de notre culture sécurité. Du directeur général au compagnon, en passant par le chef de chantier, la sécurité est l’affaire de tous. Chacun doit se sentir concerné, pour lui-même et pour les autres. Cette démarche passe par le déploiement d’outils sur le terrain : règles d’or, ateliers réguliers de sécurité, briefing de prise de poste… La première sensibilisation des collaborateurs s’effectue lors de leur intégration dans le groupe et sur leur poste de travail par le responsable hiérarchique.
Dix règles d’or ont été définies et seront mises en place d’ici à fin 2020.
Une centaine d’ateliers sécurité réunissant tous les niveaux hiérarchiques ont été organisés.
Un outil numérique pour la remontée en temps réel des informations sécurité et accidents a été déployé.
L’objectif est de ramener le taux de fréquence en dessous de dix.
Quelle est la situation du groupe en termes d’indicateurs de sécurité et santé au travail?
V. M. : Razel-Bec se situe plutôt bien par rapport à l’ensemble de la profession. Pour autant, nous ne nous satisfaisons pas de ces résultats. Alors que le taux de fréquence dans le BTP est de l’ordre de 40, nous affichons 12,8 pour notre activité en France, avec comme objectif de descendre en dessous de 10. Pour y parvenir, nous intensifions nos actions de formation, de sensibilisation, mais également de remontées d’informations. Plus de 1300 visites ont été menées et enregistrées sur notre outil numérique Stair. Des constats ont été réalisés et partagés, aussi bien pour mettre en avant des bonnes pratiques que pour faire état de points d’amélioration. Dans la foulée, plus d’une centaine d’ateliers réguliers de sécurité ont été organisés – y compris par notre directeur général – en France comme à l’international.
Razel-Bec
Entreprise fondée en 1880, Razel-Bec (5600 salariés, 750 millions d’euros de chiffre d’affaires), filiale du groupe Fayat, intervient dans tous les domaines des travaux publics (ouvrages d’art, infrastructures linéaires et terrassement, travaux souterrains, génie civil industriel et nucléaire, barrages…). Razel-Bec est présent dans vingt pays, dont treize sur le continent africain, avec une présence de plus de soixante-dix ans au Cameroun.
Comment expliquez-vous la difficulté à agir sur le taux de fréquence?
V. M.: D’abord par la spécificité de nos activités de travaux publics. Nous intervenons sur des chantiers en constante évolution qui imposent à nos équipes une grande faculté d’adaptation mais aussi d’anticipation. Notre métier se caractérise par une pénurie de main-d’œuvre qualifiée et un recours à l’intérim. Nous évoluons sur des zones de risques plus importantes. Nous le constatons aujourd’hui avec le chantier du Grand Paris, où nous devons concilier pression sur les délais et interventions techniques dans un environnement urbain dense.
Comment pouvez-vous résoudre cette équation?
V. M. : Nous avons mis en place des contrats-cadres avec les sociétés d’intérim qui prennent en compte la formation à la sécurité avec un suivi régulier. Par ailleurs, notre démarche d’intégration sur le poste de travail et de tutorat par des compagnons expérimentés joue aussi un rôle important. Enfin, nous adaptons le nombre de préventeurs en fonction du contexte du projet, afin de réaliser un meilleur accompagnement, de la sensibilisation, du suivi et du reporting sur les questions de SST.
Comment gérez-vous toutes les informations sécurité qui remontent du terrain?
V. M. : Nous avons développé un outil numérique, Stair, implanté sur smartphones et tablettes qui permet une remontée d’informations à la fois quantitatives et qualitatives en temps réel sur notre portail dédié. Alors qu’il fallait plusieurs mois pour obtenir une consolidation globale des données, nous travaillons aujourd’hui en temps réel. Nous pouvons extraire des tendances, consolider ces informations par unités opérationnelles et mettre en place des actions. En octobre 2019, trois cent trente collaborateurs, chefs de chantiers notamment, en étaient équipés. Le déploiement total aura lieu début 2020. Le principe de la pyramide de Bird2 nous indique que pour six cents observations effectuées ayant entraîné des actions correctives ou un partage de bonnes pratiques, nous pouvons estimer qu’un accident grave aura été évité !
Razel-Bec a été le premier groupe national de BTP à signer un accord-cadre grande entreprise avec l’OPPBTP début 2013. Où en êtes-vous aujourd’hui?
V. M. : Nous sommes très satisfaits de ce partenariat avec l’OPPBTP, qui connaît bien notre environnement et nos métiers. Nous pouvons ainsi profiter de ses formations et de son travail sur les bonnes pratiques effectué à l’échelle de la profession, ce qui nous apporte une vision globale. Aujourd’hui, nous développons un nouveau module consacré au leadership sécurité. Cette démarche est complétée par le partenariat noué avec l’Icsi (Institut pour une culture de sécurité industrielle, NDLR) en 2017. Cependant, nous avons constaté que malgré la mise en œuvre d’actions sur l’organisation du travail, le matériel ou encore la formation, nos résultats stagnaient en matière de sécurité. D’où la nécessité de franchir une nouvelle étape avec nos partenaires : travailler davantage sur l’humain et ses motivations profondes.
Quelle forme va prendre ce travail sur l’humain?
V. M. : Nous avons lancé une démarche en cinq étapes qui doit nous conduire à installer une véritable culture prévention et sécurité partagée par l’ensemble des collaborateurs. Cette politique peut se résumer en cinq mots: diagnostic, vision, programme, parcours et ancrage. Nous nous sommes appuyés sur la restitution de trois groupes de travail, pilotés chacun par un membre du comité de direction, qui ont décliné des bonnes pratiques et défini nos dix règles d’or. Ces règles d’or sont les piliers de notre culture sécurité, à partir desquelles nous développons nos actions et notre communication.
Une adhésion de tous les collaborateurs est un pari difficile…
V. M. : Bien sûr, c’est un vrai défi. C’est pour cette raison que nous avons défini quelques principes de base: édicter des règles simples et opérationnelles, applicables et comprises par tous en définissant clairement les limites à ne pas dépasser, imposer une exemplarité à l’ensemble des niveaux hiérarchiques et installer ces comportements dans la durée. Nous ne sommes plus dans la négociation : un collaborateur qui ne respecte pas nos fondamentaux n’a rien à faire sur le chantier. Non seulement il se met en danger mais il met également en danger ses collègues. Ce combat est gagné avec les EPI de base, il faut maintenant le mener sur les EPI spécifiques au poste de travail.
Vous êtes présents à l’international, en Afrique notamment. Avez-vous déployé une politique spécifique en matière de QSE?
V. M. : Non, nous avons une seule et même politique en matière de sécurité et de santé au travail, en France comme à l’étranger. Le système de management est commun à l’ensemble du groupe. En revanche, il faut tenir compte des spécificités locales liées à la législation, au droit du travail ou au dialogue social de chaque pays.
1. La notion d’accident majeur couvre les accidents avec arrêt de travail supérieur à vingt jours ou avec fatalité (réelle ou potentielle).
2. La pyramide de Bird exprime le fait que la probabilité qu’un accident grave survienne augmente avec le nombre de presqu’accidents et d’incidents.