Réforme de la santé au travail : les TPE au cœur du dispositif
Les 11es Rencontres pour la santé au travail, qui se sont tenues le 2 mars 2021 à Paris, sont revenues sur les dispositions de la proposition de loi pour le renforcement de la prévention en santé au travail, récemment adoptée à l’Assemblée nationale. La question des TPE et des auto-entrepreneurs était au cœur des échanges.
Date de mise à jour : 16 mars 2021
Auteur : Cendrine Barruyer
« Comment faire de la France la championne de la santé au travail ? ». C'est l'une des thématiques sur laquelle les intervenants des 11es Rencontres pour la santé au travail (1), se sont penchés à l’occasion de l’adoption en première lecture à l’Assemblée nationale de la proposition de loi pour le renforcement de la prévention en santé au travail, portée par les députées Charlotte Parmentier-Lecocq et Carole Grandjean.
Le système actuel est perfectible
En matière de santé au travail, le système actuel a permis de diminuer de manière importante la sinistralité mais il est perfectible, et surtout il repose sur une logique de réparation, a constaté David Mahé, président du cabinet Stimulus, spécialisé dans le bien-être et la santé au travail. Ce système montre ses limites notamment dans le domaine de la prévention de la désinsertion professionnelle des personnes vulnérables, handicapées ou de la prise en charge des personnes atteintes de maladies chroniques.
Faire entrer la culture de prévention dans les TPE
Parmi les points de blocage relevés : la difficulté à faire entrer la culture de la prévention dans les TPE (2) et plus encore chez les indépendants ou dans les entreprises n’ayant qu’un seul salarié. David Mahé observe que les progrès ont été majeurs au sein des grandes entreprises, des ETI et des PME dynamiques. « Le défi aujourd’hui est de focaliser les efforts vers ceux qui en ont le plus besoin : les indépendants, les TPE, ces millions de travailleurs qui ont peu accès à la santé au travail. » Il préconise de reproduire dans ce domaine ce qui a été appliqué précédemment aux formations : orienter des budgets spécifiques vers ces cibles.
Rôle clé des services de santé au travail
L’avis est partagé par Stéphane Pimbert, directeur général de l’INRS, qui souligne le rôle clé des services de santé au travail (SST) comme courroie de transmission pour tout ce qui relève de la prévention. Même si d’autres interlocuteurs, comme les Carsat, ont également un rôle à jouer, ces dernières n’ont pas la même proximité avec les entreprises et les salariés. Les SST sont souvent le seul interlocuteur des chefs d’entreprise et des salariés, les seuls qui connaissent vraiment la situation de l’entreprise, sur le terrain. « La proposition de loi est en grande partie axée vers les STT et c’est une bonne chose », constate Stéphane Pimbert.
Le DUERP, socle de la prévention
Dans la proposition de loi, le DUERP voit son rôle majoré, afin notamment de favoriser la traçabilité des expositions. Il est le socle de la prévention. Mais, même s’il existe depuis vingt ans, seules 50 % des entreprises en ont rédigé un à ce jour, a rappelé Pascale Gruny, sénatrice et co-auteur d’un rapport sur la santé au travail en 2019 (3). Les SST – qui dans la proposition de loi deviennent des services de prévention et de santé au travail (SPST) – ont un rôle important à jouer pour aider les TPE à écrire leur DUERP. Souvent, ces dernières perçoivent ce document comme une contrainte administrative et non comme une opportunité d’améliorer la performance de leur structure. Elles ont besoin d’être accompagnées : « Le chef d’entreprise est happé par la multiplicité des tâches, il n’a pas le temps de s’occuper de lui, de sa santé, ni de celles de ses collaborateurs », a ajouté Pascale Gruny. « Il faut de vrais spécialistes pour accompagner les entreprises dans la rédaction, a insisté Philippe Maillard, directeur général d’Apave. L’analyse des risques est quelque chose qui ne s’invente pas. »
Vigilance sur les décrets
Le Pr Paul Frimat, professeur des universités, praticien hospitalier au CHRU de Lille et spécialiste de la santé au travail, est revenu sur le constat selon lequel la réalité quotidienne du BTP, ce sont les TPE… Il a salué l’investissement de l’OPPBTP, une des seules branches professionnelles qui a développé des actions spécifiques pendant la crise, permettant aux entreprises de toutes tailles de poursuivre leur activité. Il s’est également dit favorable à ce que la médecine du travail s’applique aux indépendants et aux auto-entrepreneurs et rappelé que l’Institut de santé au travail du Nord de la France (ISTNF) avait, par le passé, mené des actions en ce sens avec la Capeb.
Le texte qui sera discuté en avril au Sénat devrait être voté définitivement d’ici à la fin de l’année. « Nous serons très vigilants sur les décrets et sur la manière dont les acteurs vont se saisir de tout cela », a conclu Charlotte Lecocq. L’objectif : que les décrets soient en accord avec la réalité de terrain.
(1) Ces Rencontres se sont tenues le 2 mars 2021, en 100% digital.
(2) Les entreprises de moins de 20 salariés représentent 98 % des entreprises du secteur du BTP, 64 % du chiffre d’affaires, 59 % des salariés. Source Capeb, 2019.
(3) « Pour un service universel de santé au travail » : rapport d'information de Stéphane Artano et Pascale Gruny, fait au nom de la commission des affaires sociales du Sénat, 2 octobre 2019.