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L'obligation de sécurité de l'employeur

L’employeur est le premier acteur de la mise en place de la démarche de prévention au sein d’une entreprise. Il est tenu d’une obligation de sécurité qui lui impose de prendre toutes les mesures pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale de ses salariés. Nous faisons le point sur les contours et l’évolution de cette notion d’origine jurisprudentielle au fil des années.

Rédigé le 13/06/2024

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Qu’est-ce que l’obligation de sécurité ?

L’obligation de sécurité de l’employeur s’articule autour de 3 axes :

  1. Obligation d’assurer la sécurité et de protéger la santé physique et mentale des travailleurs (article L4121-1 du Code du travail)​ : l’employeur doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale de ses salariés. Ces mesures comprennent notamment :
    - des actions de prévention des risques professionnels (physiques et mentaux), telles que des mesures de prévention du risque de chute de hauteur, du risque chimique, des risques psycho-sociaux, etc.) ;
    - des actions d'information et de formation, notamment à destination de tous les salariés mais aussi particulièrement des nouveaux embauchés et des travailleurs temporaires ;
    - la mise en place d'une organisation et de moyens adaptés.
    L’employeur doit mettre en œuvre ces mesures de prévention en respectant les 9 principes généraux prévus à l’article L4121-2 du Code du travail.
  2. Obligation d’évaluer les risques professionnels auxquels sont exposés les salariés (article L4121-3 du Code du travail)​: l'employeur doit évaluer les risques pour la santé et la sécurité des travailleurs, y compris dans le choix des procédés de fabrication, des équipements de travail, des substances ou préparations chimiques, dans l'aménagement ou le réaménagement des lieux de travail ou des installations et dans la définition des postes de travail. A la suite de cette évaluation, il doit mettre en œuvre les actions de prévention ainsi que les méthodes de travail et de production garantissant un meilleur niveau de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs.
  3. Obligation d’établir le document unique d’évaluation des risques professionnels (DUERP) (article R4121-1 du Code du travail) : après avoir réalisé l’évaluation des risques mentionnée ci-dessus, l'employeur doit transcrire et mettre à jour les résultats de cette évaluation dans le DUERP.

Manquements à l’obligation de sécurité

Ce sont les juges qui, à l’occasion d’arrêts rendus dans des situations réelles de travail, définissent les pratiques qui constituent des manquements à l’obligation de sécurité des employeurs. En pratique, la Cour de cassation a notamment reconnu le manquement de l’employeur à son obligation de sécurité dans les situations suivantes :

  • chute d’un salarié ayant travaillé sur une échelle à 3 mètres de haut et absence d’évaluation préalable du risque de chute sur le chantier sur lequel le salarié travaillait (Cass, 2e Civ, 18 mars 2021, n° 19-24.284) ;
  • absence de document unique, dès lors que cette absence cause un préjudice au salarié (Cass, Soc, 25 septembre 2019, n° 17-22.224) ;
  • absence de formation renforcée à la sécurité d’un travailleur affecté à un poste à risques (Cass, 2e Civ, 31 mai 2012, n° 11-18.857) ;
  • absence de dispositif de protection d’une machine, et absence de formation du salarié à l’utilisation de ladite machine (Cass, Crim, 20 mars 2007, n° 06-80.976) ;
  • absence de mise à disposition de chaussures de sécurité (Cass, Crim, 7 mars 2017, n° 16-81.346) ;
  • non-remboursement d’un équipement de protection individuelle alors que le salarié produisait la facture d’achat auprès de son employeur (Cass, Soc, 9 février 2022, n° 20-19461) ;
  • absence de mesure et absence d’enquête interne après qu’un salarié ait dénoncé des agissements de harcèlement moral (Cass, Soc, 27 novembre 2019, n° 18-10.551) ;
  • absence de visite médicale de reprise (Cass, Soc, 13 janvier 2016, n° 14-20.856 ; Cass, Soc, 6 octobre 2010, n° 09-66.140 ; Cass, Soc, 22 septembre 2011, n° 10-13.568) ;
  • non-respect des préconisations des prescriptions du médecin du travail (Cass, Soc, 27 septembre 2017, n° 15-28.605) ;
  • absence d’entretien annuel permettant d’évaluer la charge de travail des salariés (Cass, Soc, 13 avril 2023, n° 21-20.043).

Evolutions de l’obligation de sécurité de l’employeur

Jusqu’en 2002, la Cour de cassation considérait en France que l’employeur était tenu d’une obligation de sécurité de moyen, c’est-à-dire qu’il devait mettre en œuvre des moyens permettant d’assurer la sécurité des salariés.

A l’occasion des arrêts dits « amiante » du 29 février 2002 (Cass, Soc, 28 février 2002, 00-11.793 ; n° 00-10.051 ; n° 99-21.255), l’obligation de sécurité de l’employeur a pris la forme d’une obligation de sécurité de résultat.

Le seul constat de l’atteinte à la santé ou à la sécurité du salarié suffisait alors à qualifier le manquement de l’employeur à son obligation, quelles que soient les mesures de prévention prises par l’employeur. Cette définition jurisprudentielle entraînait une reconnaissance quasiment systématique de la responsabilité de l’employeur.

Il a par exemple été jugé que l’exposition à un risque, cumulée à l’insuffisance de mesures de prévention, était suffisante pour retenir le non-respect de l’obligation de sécurité de l’employeur, même si aucun accident du travail ou maladie professionnelle n’avait été préalablement reconnu (Cass. Soc., 30 novembre 2010, n° 08-70.390).

Il a également été reconnu que l’employeur manquait à son obligation de sécurité dès lors qu’un salarié était victime sur le lieu de travail d’agissements de harcèlement moral ou sexuel exercés par un autre de ses salariés, quand bien même l’employeur aurait pris des mesures en vue de faire cesser ces agissements (Cass. Soc, 3 février 2010, n° 08-44.019).

En pratique, l’employeur ne réussissait à s’exonérer de sa responsabilité en cas d’atteinte à la sécurité du salarié qu’en démontrant l’existence d’un cas de force majeure (Cass, Soc, 4 avril 2012, n° 11-10.570).

Puis l’évolution de la jurisprudence, initiée par un arrêt du 25 novembre 2015 (Cass, Soc, n°14-24.444), dit arrêt « Air France », a conduit les juges à davantage tenir compte des mesures de prévention mises en place par l’employeur pour apprécier le respect de son obligation de sécurité. La Cour de Cassation soumet désormais l’employeur, non plus à une obligation de sécurité de résultat, mais à une obligation de sécurité de moyens dite « renforcée ».

Les décisions rendues postérieurement à cet arrêt ont permis de confirmer que l’employeur n’est plus tenu d’une obligation de sécurité de résultat engageant de plein droit sa responsabilité. Il peut démontrer qu’il a respecté son obligation de sécurité dès lors qu’il apporte la preuve qu’il a mis en œuvre toutes les mesures de prévention nécessaires pour préserver la santé et la sécurité des salariés. La charge de la preuve du respect de l’obligation de sécurité repose donc sur l’employeur (Cass, Soc, 28 février 2024, n° 22-15.624). C’est à ce dernier d’apporter la preuve de ce qu’il a mis en œuvre.

Désormais les juges réalisent un contrôle plein et entier sur la qualification de manquement à l’obligation de sécurité de l’employeur en analysant chaque mesure de prévention prise par l’employeur.

En matière de harcèlement moral ou sexuel au travail, les mesures immédiates prises par l’employeur pour faire cesser une situation seront également prises en compte par les juges pour apprécier le respect de son obligation de sécurité (Cass, Soc, 7 décembre 2022, n° 21-18.114).

Bien qu’un danger ait pu se matérialiser, si l’employeur parvient à démontrer avoir accompli toutes les mesures générales de prévention prévues à l’article L4121-1 du Code du travail, dans le respect des principes généraux de prévention prévus à l’article L4121-2 du Code du travail, son obligation pourra être considérée comme respectée.

Nota : l’éventuelle faute d’imprudence commise par un salarié n’a pas d’incidence sur l’obligation de sécurité de l’employeur (Cass, Soc, 15 nov. 2023, 22-17.733).

Quelles conséquences en cas de manquement à l’obligation de sécurité ?

Le droit de retrait du salarié

Tout salarié qui estime que sa situation de travail présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé, ou qui constate une défectuosité dans les systèmes de protection, peut quitter son poste de travail ou refuser de s'y installer. C’est ce que l’on appelle le droit de retrait.

​Il a le droit d'arrêter son travail sans l'accord de son employeur et, si nécessaire, de quitter son lieu de travail pour se mettre en sécurité. Il n'est pas tenu de reprendre son activité tant que la situation de danger persiste.​​

L’exercice du droit de retrait est cependant encadré :

  • Il ne doit pas avoir pour effet de créer une nouvelle situation de danger grave et imminent pour autrui.
  • Le salarié doit informer par tout moyen son employeur ou son responsable de l’exercice de son droit de retrait.

Nota : Aucune sanction, ni aucune retenue de salaire ne peut être prise par l'employeur à l'encontre du travailleur ou du groupe de travailleurs qui a exercé son droit de retrait de manière légitime.​​

Rupture du contrat de travail et sanctions civiles et pénales​

Si un salarié estime que son employeur n’a pas respecté son obligation de sécurité en commettant des manquements graves, il peut prendre acte de la rupture de son contrat de travail aux torts de son employeur, ce qui est un mode de rupture du contrat de travail à l’initiative des salariés disposant d’un contrat de travail à durée indéterminée (CDI).

L’employeur d’un salarié victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle (AT/MP) s’expose également à devoir verser une réparation financière en cas de faute inexcusable. La reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur permet au salarié victime (ou à ses ayants droit en cas de décès) d’obtenir une indemnisation complémentaire (majoration de rente ou de capital, dommages et intérêts), en plus des prestations auxquelles il avait déjà droit en application du Code de la sécurité sociale. Cette reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur doit être demandée par le salarié victime ou ses ayants droit devant le pôle social du Tribunal judiciaire.

Pour que la faute inexcusable de l’employeur soit retenue, il reviendra au salarié de démontrer que la survenance de l’AT/MP résulte d’un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité, et que l’employeur avait ou aurait dû avoir connaissance du danger auquel il était exposé et qu’il n’a pas pris les mesures pour l’en préserver.

Le manquement à l’obligation de sécurité de l’employeur peut également éventuellement faire l'objet d'une condamnation pénale de l’employeur au tribunal correctionnel.

Celui-ci peut en effet voir sa responsabilité pénale engagée en cas d’accident du travail sur le fondement du Code pénal qui sanctionne le délit d’atteinte involontaire à la vie (article 221-6 du Code pénal) ou à l’intégrité physique (articles 222-19 et suivants du Code pénal).

Un employeur (ou son délégataire) peut également être poursuivi sur le fondement de l’article L4741-1 du Code du travail qui prévoit une amende de 10 000 € maximum en cas d’infraction aux règles d'hygiène et de sécurité au travail relatives aux sujet suivants :

  • droit d'alerte, droit de retrait ;
  • information et formation des travailleurs, y compris les travailleurs temporaires et à durée déterminée​ ;
  • obligations des employeurs dans l'utilisation des lieux de travail ;
  • obligations en matière de prévention de certains risques d'exposition ;
  • travaux réalisés dans un établissement par une entreprise extérieure ;
  • dispositions relatives au suivi en santé au travail.
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