« La prévention, compétence de base de nos métiers »
Le président du CCCA-BTP, Christophe Possémé, évoque les enjeux d’adaptation des formations en apprentissage aux évolutions des métiers du BTP. En y intégrant la prévention. Entretien.
Date de mise à jour : 4 déc. 2023 - Auteur : Virginie Leblanc
- Christophe Possémé observe que les jeunes générations ont adopté le port des EPI.
- Il plaide pour inscrire la prévention comme une compétence indissociable des métiers.
Interview parue dans PréventionBTP n°278-Novembre 2023-p. 34
©CCCA-BTP
Réfléchir aux besoins en compétences actuels et futurs des entreprises du BTP pour adapter les offres de formation initiale en apprentissage. Innover et inscrire la prévention comme partie intégrante des formations métiers, autant de sujets que le président du CCCA-BTP porte avec détermination.
Christophe Possémé a été élu président du CCCA-BTP en juillet 2022. Après un CQP de briqueteur et un bac pro Construction bâtiment gros œuvre, il a obtenu un diplôme de chef d’équipe gros œuvre puis un DUT de conducteur de travaux.
2000. Après plusieurs années passées dans diverses entreprises du bâtiment, il rejoint Le Bâtiment Associé en qualité de conducteur de travaux. Directeur de travaux de 2005 à 2009 puis directeur général adjoint de 2009 à 2010, il en est, depuis 2011, le président.
Depuis 2023. Vice-président de la FFB et président de la commission formation de la FFB.
Depuis la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel, qu’est-ce qui a changé pour le CCCA-BTP ?
C’est une date clé pour comprendre qui nous sommes aujourd’hui. Avant 2018, le CCCA-BTP animait un réseau de CFA du BTP à gouvernance paritaire. Depuis la réforme, notre champ d’action s’est élargi. C’est désormais au profit de l’ensemble des organismes de formation en apprentissage aux métiers du BTP que nous agissons. Notre rôle est de les accompagner dans l’optimisation de leur performance, soutenir leurs projets innovants et garantir une haute qualité pédagogique sur l’ensemble des territoires. Ceci pour répondre aux besoins en compétences des entreprises et aux besoins des nouvelles générations.
Comment agissez-vous pour atteindre cet objectif ?
Nous menons une importante activité de veille pour anticiper, identifier et répondre aux besoins des branches du bâtiment et des travaux publics. L’observatoire des métiers du BTP nous fournit de nombreuses données et nous réalisons nous-mêmes des études. Nous menons des campagnes de communication sur les métiers du BTP auprès des jeunes, pour susciter des vocations et des actions plus ciblées sur des métiers en tension, comme la maçonnerie. Avec le projet Rénoboost que nous menons, nous allons cartographier les besoins de formations axées sur la rénovation énergétique dans chaque région, ce qui est étroitement connecté avec le plan 800 000 réhabilitations annuelles du Gouvernement. Une plate-forme recensera ainsi tous les besoins de formations futures et permettra d’identifier quelles sont les mutations nécessaires dans certains métiers. Plus largement, nous organisons d’importantes actions de communication auprès des jeunes et de leur famille, comme la campagne « La Construction » (laconstruction.fr). La promotion des métiers du BTP se traduit également dans notre soutien à la compétition WorldSkills. J’attache aussi une grande importance à notre proximité avec les territoires pour comprendre et être en parfaite adéquation avec les besoins en compétences et assurer la même qualité de formation partout en France.
La formation et la prévention des risques professionnels sont des enjeux majeurs pour le secteur de la construction. Quel regard portez-vous sur les progrès accomplis et le chemin qui reste à parcourir ?
Le CCCA-BTP et l’OPPBTP sont partenaires depuis longtemps. Nos deux organisations sont convaincues que la prévention des risques professionnels est porteuse d’innovation et de performance globale des entreprises, et qu'elle est une composante indissociable et essentielle de la compétence professionnelle. La prévention doit être pleinement intégrée aux axes de développement de tous les organismes de formation aux métiers du BTP, dans leur ingénierie de formation et dans leurs modalités pédagogiques d’apprentissage. En formation initiale, on a souvent dissocié deux champs : former à un geste métier et ensuite apprendre ce qu’est une protection collective et individuelle. Un exemple : comment peut-on former un charpentier sans lui donner un CACES® nacelle… Il faut aussi assurer la montée en compétences permanente des formateurs. L’OPPBTP est d’ailleurs présent aux Journées de l’innovation pédagogique que nous organisons chaque année, aux côtés de start-up, qui proposent de nouveaux équipements, matériels ou logiciels à intégrer dans la formation. Ce qui contribuera à réduire d’autant les taux de fréquence et de gravité des accidents du travail.
Les jeunes sont un public particulièrement touché par les accidents du travail justement…
Nous sommes conscients que nos métiers peuvent être plus accidentogènes que d’autres. Le Pasi (passeport sécurité intérim) existe pour les intérimaires, autre public exposé aux risques professionnels, on pourrait créer un dispositif similaire pour les apprentis. L’accueil chantier relève de la responsabilité de l’entreprise, mais cela ne suffit pas. Il faut avoir les compétences de base pour savoir ce qu’est une situation à risque de chute de hauteur, de plain-pied, ce que recouvre le risque chimique, ce que sont les TMS… La culture prévention est une œuvre au long cours, qui doit être une priorité.
La prévention des risques professionnels est porteuse d’innovation et de performance globale des entreprises.
Vous identifiez toutefois des évolutions positives…
Oui ! Il y a vingt-cinq ans, il pouvait être difficile de faire porter le casque, les chaussures de sécurité et les gants. Les nouvelles générations portent facilement leurs EPI, car ils ont été formés au CFA. Cela montre que lorsque l’on prend le sujet à la base, dix ans plus tard, cela porte ses fruits. Autre élément majeur de progrès : des formations à la sécurité sont intégrées dans les référentiels de formation métier, et plus on développera cette pratique, plus la prévention sera une compétence de base dans l’apprentissage à nos métiers.
Quelles sont les attentes des jeunes que vous rencontrez au regard des conditions de travail ?
Les conditions de travail, qui recoupent l’hygiène et la sécurité, doivent être à la hauteur de nos métiers. Pourquoi dans les bureaux on aurait droit à des locaux chauffés, à des vestiaires dignes et sur les chantiers, on aurait juste le droit d’avoir sa camionnette ? À cet égard, la campagne actuelle sur l’hygiène menée par l’OPPBTP voit juste. Dans les CFA, les jeunes discutent entre eux et sont plus exigeants que ceux de ma génération. Ils ne craignent pas de dire les choses et sont capables de quitter l’entreprise s’ils n’obtiennent pas satisfaction. On se doit d’avoir du matériel propre et entretenu, un matériel qui génère moins de vibrations, moins de ports de charges, des EPI adaptés… Aujourd’hui, des vêtements techniques avec des lignes modernes existent et on a désormais des modèles pour les femmes ! Tout cela contribue à l’image de nos métiers et de nos chantiers.
Aujourd’hui, dans les formations, on parle du BIM, de l’intégration des protections collectives dès la maquette numérique.
L’intégration du numérique et de la réalité virtuelle dans les pratiques pédagogiques se développe. Quelle est votre vision sur cette pédagogie ?
Le CCCA-BTP a créé l’accélérateur pédagogique du BTP, qui vise à expérimenter et déployer des innovations pédagogiques. De plus, il est à l’origine de WinLab’, un incubateur qui imagine les formations aux métiers du BTP de demain. Aujourd’hui, dans les formations, on parle du BIM, de l’intégration des protections collectives dès la maquette numérique. On doit aussi former nos dessinateurs, nos ingénieurs en bureaux d’études à les intégrer dès la conception des ouvrages. Au sein de mon entreprise, par exemple, je rappelle toujours qu’il ne faut pas attendre le moment du levage pour se demander comment fixer les garde-corps sur les murs à ossature bois ! C’est une approche qui doit être diffusée dès la formation des jeunes, mais aussi dans les formations des formateurs et dans les entreprises formatrices d’apprentis.
Le CCCA-BTP mène le projet « DEFFINUM métiers du bâtiment ». En quoi consiste-t-il ?
Le projet « DEFFINUM métiers du bâtiment » a été sélectionné dans le cadre d’un appel à manifestation d’intérêt de l’État, au sein du programme « France 2030 », qui a pour objectif de faire évoluer les modalités de formation aux métiers du bâtiment vers un usage numérique, avec l’intégration, par exemple, de modalités de formation immersive. C’est un projet de 15 millions d’euros, dont 10,5 millions d’euros de subvention de l’État et 4,5 millions d’euros de la branche du bâtiment à travers le CCCA-BTP. Il se déroule sur trois ans et vise à créer 700 ressources, dont 83 modules en réalité virtuelle et réalité augmentée. 350 personnels pédagogiques de CFA sont mobilisés et 5 000 apprentis seront associés pour les concevoir et les expérimenter. Ces ressources seront ensuite diffusées auprès de l’ensemble des établissements de formation aux métiers du BTP. Ce projet permettra aussi de repenser les espaces de formation et de contribuer notamment à réduire les coûts en matériels et matériaux qui évoluent rapidement. Cela concourt à la sobriété énergétique et à éviter le gaspillage. Toutefois, cela ne vise pas à dispenser 100 % de nos formations en réalité virtuelle ou augmentée, car il faut toujours travailler la matière. Au regard de ces expériences, nous améliorons en permanence la qualité de la formation et adaptons les référentiels pour qu’ils soient en phase avec l’acte de construire d’aujourd’hui et de demain.
Le CCCA-BTP (Comité de concertation et de coordination de l’apprentissage du bâtiment et des travaux publics), qui existe depuis plus de 80 ans, est une association nationale à gouvernance paritaire des branches du bâtiment et des travaux publics. Il est chargé de mettre en œuvre la politique de formation professionnelle initiale aux métiers de la construction par l’apprentissage, définie par les partenaires sociaux du BTP. Expert de la pédagogie de l’alternance, le CCCA-BTP conçoit des ressources et outils pédagogiques adaptés à la montée en compétences des apprentis, aux nouvelles formes d’apprentissage (réalité virtuelle et augmentée, formation à distance…) et aux besoins des entreprises. Il est un interlocuteur privilégié des organismes de formation aux métiers du BTP, grâce à une offre de services qui leur est dédiée.
Votre mot préféré ? Excellence.
Le mot que vous détestez ? Se plaindre.
Le métier que vous auriez aimé exercer en dehors du vôtre ? Chef d’entreprise (car mon métier… c’est maçon).
Le métier que vous n’auriez pas aimé faire ? Cariste.
Votre bâtiment préféré ? La Sagrada Familia.
Le son, le bruit que vous aimez ? Celui de la clarinette basse.
Le son, le bruit que vous détestez ? La roulette du dentiste.
Le livre que vous emporteriez sur une île déserte ? L’encyclopédie des métiers.
Une personnalité pour illustrer un nouveau billet de banque ? Antoine Dupont.