Véronique Ikène ose « tout » pour la santé de ses salariés peintres
Véronique Ikène, dirigeante de l’entreprise de peinture Tiriault à Rennes, parie sur l’innovation pour fidéliser ses salariés. Peintures aux algues et dispositifs d’assistances physiques (exosquelettes) font partie des actions mises en place pour travailler dans les meilleures conditions possibles. Des solutions toujours testées en amont par les équipes avant d’être approuvées à l’usage…
Date de mise à jour : 25 juil. 2024
Auteur : Fabienne Leroy
©OPPBTP
Véronique Ikène, 55 ans, a repris l’entreprise de peinture familiale il y a vingt-cinq ans. Composée de vingt salariés en 2000, la SARL Tiriault en compte quarante-six aujourd’hui. « À l’époque, mon père était fatigué et très soucieux, et je lui ai dit que je voulais l’aider », confie la dirigeante. De fait, père et fille ont échangé « leurs bébés ». « J’ai repris son entreprise et lui, m’a aidée à m’occuper de mes enfants en bas âge à ce moment », reprend-elle en souriant.
Cette transmission, qui a un peu surpris l’entourage professionnel, s’est en effet transformée en mission pour la dirigeante. « Quand on reprend une entreprise familiale, on porte quelque chose », insiste-t-elle. De fait, Véronique Ikène a un objectif : former ses salariés pour les garder avant tout, et ainsi préparer l’avenir. Âgée en moyenne de 40 ans, l’équipe se compose de salariés peintres et soliers, jeunes et moins jeunes, dont cinq femmes sur les chantiers, qui « restent et se développent dans l’entreprise. »
- Date de création : 1973.
- Nombre de salariés : 46.
- Activité : peinture, revêtements de sols souples et conseil en décoration.
- Chiffre d'affaires : 4 millions d’euros.
- Répartition du CA : 40 % marchés privés, 60 % marchés publics.
- Site internet de l'entreprise.
Peintures aux algues : approuvées par les salariés et même par les anciens !
La présence de femmes dans l’entreprise a notamment contribué à innover sur les chantiers, avec de nouveaux produits, dont des peintures aux algues. Depuis une dizaine d’années, les salariés testent et utilisent ces peintures à base d’algues et de résine biosourcée à 98 %. En effet, le taux d’émissivité (composés organiques volatils) est dix fois inférieur aux normes les plus strictes, selon les fiches du fabricant Algo.
« Nos anciens ont connu les peintures à base d’amiante, celles à base de plomb, puis les glycéro et nous, on utilise les acryliques aujourd’hui. Les peintures aux algues sont moins émissives, et faciles à utiliser. Elles sont désormais approuvées par 100 % de nos salariés, même par les anciens ! », reprend la dirigeante, qui indique un taux d’utilisation de 30 % de ces nouveaux produits au sein de l’entreprise.
Pour ce faire, Véronique Ikène s’est appuyée sur les compétences de ses peintres dont les retours ont permis d’améliorer les formulations du produit. « Non seulement, aujourd’hui, cette peinture sent bon, mais elle bénéficie aussi d’un bon pouvoir couvrant et assure une belle finition, et tout ça, sans nocivité », conclut enthousiaste la dirigeante. Les clients particuliers (40 % du chiffre d'affaires) ont été les premiers convaincus, notamment ceux dont la fibre écolo était particulièrement présente.
Véronique Ikène, dirigeante de l'entreprise Tiriault, a participé avec son équipe à l'amélioration des formulations des peintures aux algues.
Une fiche de poste pour les femmes peintres enceintes
La médecine du travail a d’ailleurs réalisé une étude comparative entre une formule classique de peinture et une autre à base d’algues, ce qui a abouti à la création de la première fiche de poste pour les femmes enceintes exerçant le métier de peintre.
Celles-ci peuvent en effet désormais poursuivre leur activité de peintre, jusqu’à leur congé maternité, grâce à l’absence de nocivité reconnue du produit. Ce qui n’était pas le cas auparavant, obligeant ainsi l’employeur à leur imposer un arrêt de travail. Désormais, les jeunes femmes peintres enceintes ont le choix de pouvoir continuer à travailler ou s’arrêter.
Véronique Ikène s’est lancée dans un projet photos pour montrer que ses salariés « sont beaux au travail ». Un projet qui lui tenait à cœur et qui l’a amenée à recruter une jeune photographe, Eléa Bergere, en alternance en 2023, qui a d’ailleurs décroché un titre de MAF (meilleur apprenti de France).
Chaque salarié a pu récupérer un album photos
vie pro-vie perso offert par l'entreprise.
Durant un an complet, l’apprentie photographe a donc suivi les peintres et soliers sur les chantiers mais aussi chez eux, à leur convenance, pour saisir des moments de leur vie personnelle. Chaque membre de l’équipe a pu récupérer son album photo « vie pro-vie perso » offert par l’entreprise. Quant aux photos « vie pro », elles seront prochainement affichées à l'accueil dans les bureaux…
Un exosquelette pour éviter les névralgies liées aux opérations de ponçage
Autre innovation introduite récemment au sein de l’entreprise Tiriault : les dispositifs d’assistance physique, communément appelés exosquelettes. C’est à la demande de l’un de ses salariés, Benoît Lefoul, 36 ans, peintre-solier en poste depuis vingt ans, que l’entreprise a agi.
Après certaines opérations de ponçage au plafond, qui imposent de lever les yeux et basculer la tête en arrière, des migraines sévères obligent le jeune peintre à s’arrêter de travailler durant quelques jours. Véronique Ikène s’est donc informée auprès de son organisation professionnelle (FFB) pour trouver une solution. Elle a mené les recherches avec une autre entreprise voisine, intéressée par le sujet, Bernard Électricité.
Les recherches ont permis de contacter un fabricant, disposant d’un cabinet d’ergonomie, HMT France, qui a pu mettre au point deux dispositifs (sans motorisation), en novembre dernier : le premier pour soutenir la tête au niveau de la nuque, et le second, complémentaire, permettant de soulager les bras et épaules pendant la tâche.
Benoît, peintre-solier, utilise les deux dispositifs d'assistance physique (nuque et bras/épaules) pour poncer le plafond, et, ici, la partie supérieure d'un mur.
« Je conseille l’exosquelette à tous mes collègues »
Benoît a ainsi pu tester le dispositif et apprendre notamment à le régler, après une formation de quatre heures. « Ensuite, chaque mois, nous avons également échangé par téléphone, avec le fabricant », raconte le peintre.
Après six mois d’expérimentation, il se dit aujourd’hui satisfait des équipements, qui lui permettent de soulager sa nuque, ses épaules et ses bras. « C’est très léger, je ne les sens pas, il me faut une minute pour les mettre, et une minute pour les enlever. Je les conseille à tous mes collègues », ajoute-t-il.
Benoît porte ces équipements (les deux dispositifs complets, pour le ponçage au plafond, et seulement celui soulageant bras et épaules, pour le ponçage des murs, NDLR) environ deux fois par semaine, ce qui correspond à 20 % de son temps de travail.
Un coût encore élevé pour acquérir les dispositifs d'assistance physique
Certes, il a fallu débourser 350 euros HT pour le petit équipement dédié à la nuque, et 2 500 euros pour le second, ce qui représente un coût élevé pour une PME, de l’avis de Véronique Ikène. D’autant plus que l’achat d’un DAP n’est pas pris en charge par la Carsat aujourd’hui.
Présentés à tous les salariés de l’entreprise, à titre d’information, ces dispositifs ont séduit et même convaincu certains d’entre eux, notamment les plus jeunes. D’autres, plus âgés, y ont vu « une forme de robotisation » voire « une atteinte à leur capacité de travail ». Mais Véronique Ikène sait que le temps fera son œuvre.
En effet, la dirigeante estime qu’il faut un temps d’adaptation pour chaque nouveauté et innovation. « À partir du moment où les équipes comprennent que c’est pour travailler dans de meilleures conditions, il n’y a aucun doute qu’elles s’en empareront pour le bénéfice de tous, salariés et entreprise ! », conclut-elle.
Il faut une minute pour revêtir le dispositif d'assistance physique et une minute pour le retirer, selon Benoît, peintre, qui expérimente le DAP depuis six mois, dans l'entreprise Tiriault.
L’entreprise a recruté quatre jeunes apprentis afghans en CAP+. Cette formation spécifique, mise en place par le Bâtiment CFA Bretagne (quatre centres de formation concernés), se déroule en trois ans et permet à la fois d’accompagner l’entreprise et de faciliter l’intégration de jeunes réfugiés. En effet, la première année du CAP+ vise à faciliter la compréhension de la culture du pays d’accueil, la France en l’occurrence, par le jeune apprenti.
« Aujourd’hui, deux de nos jeunes poursuivent leurs formations en alternance en brevet professionnel et le troisième a été embauché en CDI. Enfin, nous avons un quatrième apprenti en 2e année de CAP+, indique la dirigeante. On sait que ces jeunes ont été capables de tout quitter pour se construire, donc on se demande toujours s’ils resteront ou pas dans l’entreprise. C’est notre réalité de chef d’entreprise, car on forme nos jeunes également pour les garder et préparer l’avenir, même si on sait qu’ils ont besoin de changements dans leurs carrières… ».