Absence d’échafaudage : reconnaissance de la responsabilité pénale de l’employeur
Sur un chantier, en l'absence d'un échafaudage destiné à prévenir le risque de chute de hauteur, un accident mortel est survenu. L’employeur est tenu responsable pénalement d'homicide involontaire. Même s'il n'est pas l'auteur direct du dommage, l’employeur a, par cette omission, violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de sécurité.
Date du texte : 5 nov. 2024
Arrêt de la Chambre criminelle de la Cour de cassation, 5 novembre 2024,23-86.418
Un salarié du BTP a perdu la vie à la suite d'une chute d’au moins quatre mètres alors qu'il effectuait des travaux sur un toit. Au moment de sa chute, il ne portait pas son harnais de sécurité, alors même que son employeur avait rappelé à l’ensemble des salariés le matin de la survenance de l'accident la nécessité de le porter.
L’employeur a été poursuivi devant le juge pénal pour le délit d’homicide involontaire par la violation manifestement délibérée d’une obligation de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement, et l’infraction de mise à disposition pour des travaux temporaires en hauteur d’équipements de travail ne préservant pas la sécurité du salarié.
La chambre correctionnelle de la cour d’appel de Rouen a condamné l’employeur à une amende pour la mise à disposition d'équipements de travail ne garantissant pas la sécurité des salariés pour le travail en hauteur. En effet, elle a relevé que l'absence sur le chantier d'un échafaudage conforme, apte à prévenir le risque de chute de hauteur, était en lien direct avec la chute au sol de la victime.
Cependant, la cour d'appel n’a pas reconnu l’existence d’un délit d'homicide involontaire à l’encontre de l’employeur, soulignant que les constatations des procès-verbaux ne permettaient pas de retenir une violation manifestement délibérée d'une obligation de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement. Elle a relevé que l'employeur, présent sur le site, avait rappelé aux salariés la nécessité de porter leur harnais de sécurité et, malgré ce rappel, la victime n’a pas porté cet équipement.
Les parties civiles ont formé un pourvoi, et soutiennent que la responsabilité de l'employeur aurait dû être retenue pour ne pas avoir fourni un échafaudage conforme et adapté aux risques encourus.
La Cour de cassation accueille leur demande et casse l’arrêt de la cour d’appel afin que la question portant sur la responsabilité de l’employeur au titre du chef d’homicide involontaire soit réévaluée devant une autre cour d’appel.
La Cour rappelle qu’en cas de délit « non intentionnel », comme l’homicide involontaire, les personnes qui n'ont pas causé directement le dommage, mais qui ont créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage, ou qui n'ont pas pris les mesures permettant de l'éviter, sont responsables pénalement s'il est établi qu'elles ont :
– soit violé, de façon manifestement délibérée, une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement,
– soit commis une faute caractériséeet qui exposait autrui à un risque d'une particulière gravité qu'elles ne pouvaient ignorer.
La Cour de cassation a considéré que la cour d'appel n'avait pas suffisamment justifié sa décision d’écarter la reconnaissance du délit d'homicide involontaire causé par l’employeur. Bien que l'employeur ait rappelé à ses salariés l'obligation de porter un harnais de sécurité, la Cour a souligné que l'absence d'un échafaudage conforme sur le chantier était directement liée à l'accident. La Cour de cassation a considéré que la cour d’appel ne pouvait pas d’un côté condamner l’employeur pour mise à disposition d’équipements de travail ne préservant pas la sécurité du salarié, et d’un autre côté le relaxer du délit d’homicide involontaire. Ainsi, elle a cassé la décision de la cour d’appel sur ce point.
Cette décision démontre, encore une fois, à quel point il est plus efficace, en matière de prévention des risques de chute de hauteur, de mettre à disposition des salariés des équipements de protection collective, tels que les échafaudages, plutôt que des équipements de protection individuelle, tels que les harnais.
Cet arrêt souligne également que la faute de la victime (comme le non-port du harnais) ne peut exonérer l'employeur de sa responsabilité si d'autres manquements (comme la violation manifestement délibérée d'une obligation de sécurité, par l’absence d’échafaudage conforme) ont joué un rôle dans l'accident.