Amiante : anxiété, sous-traitance et plan de prévention
Dans un arrêt du 8 février 2023, les juges de la Cour de cassation élargissent le bénéfice de la réparation du préjudice d’anxiété aux salariés sous-traitants. Les sous-traitants ayant exercé leur activité au sein d’une entreprise utilisatrice peuvent demander réparation du préjudice d’anxiété à cette entreprise, bien qu’elle ne soit pas leur employeur.
Date du texte : 8 févr. 2023
Cour de cassation, Chambre sociale, 8 février 2023, n°20-23.312
Pendant plus de trente ans, un salarié manutentionnaire a travaillé pour le compte de différents employeurs sur divers sites d’une entreprise, en exécution d’un marché de sous-traitance.
Lorsque cette entreprise a mis fin au marché de sous-traitance, la médecine du travail a remis au salarié une attestation d’exposition à l’amiante.
Des années plus tard, le salarié a été licencié pour motif économique. Il demande alors le versement de dommages-intérêts à son ancien employeur et à l’entreprise utilisatrice, au titre de son préjudice d’anxiété.
Les juges de la cour d’appel écartent la responsabilité de l’ancien employeur du salarié et condamnent l’entreprise utilisatrice à indemniser son préjudice d’anxiété. Cette dernière forme alors un pourvoi en cassation.
Les juges de la Cour de cassation approuvent la décision de la cour d’appel de condamner l’entreprise utilisatrice à indemniser le préjudice d’anxiété subi par l’employé de la société sous-traitante au motif que l’entreprise utilisatrice n’a pas respecté son obligation générale de coordination des mesures de prévention. Selon les juges, cette négligence est bien à l’origine du préjudice subi par le salarié.
Dans cet arrêt la Cour de cassation reconnaît le droit pour les salariés de demander des dommages-intérêts en réparation de leur préjudice d’anxiété à l’entreprise utilisatrice, bien que celle-ci ne soit pas leur employeur.
Or en principe, l’employeur est le seul responsable de la santé et de la sécurité de ses salariés.
Cependant, comme les juges de la Cour de cassation le rappellent dans cet arrêt, le Code du travail impose à l’entreprise utilisatrice d’assurer la coordination générale des mesures de prévention qu’elle prend avec celles mises en place par l’entreprise sous-traitante qui intervient dans son établissement (article R 4511-5).
Au titre de cette coordination générale, l’entreprise utilisatrice se devait en l’espèce :
- D’informer l’entreprise sous-traitante des risques d'affections professionnelles auxquelles pouvaient être exposés les salariés pour que des mesures de protection appropriées puissent être prises en conséquence ;
- De réaliser une inspection commune des lieux avec désignation des zones de danger ;
- D’établir un plan de prévention décrivant les mesures de protection et équipements qui auraient dû être fournis aux salariés sous-traitants, compte tenu du risque d'interaction entre les activités des deux sociétés ;
- D’avoir vérifié que les salariés sous-traitants intervenant sur son site aient reçu une information sur la nocivité de l'amiante et sur les équipements de protection individuelle (EPI) adaptés.
Or, dans cette affaire, l’entreprise utilisatrice n’avait pas respecté son obligation générale de coordination des mesures de prévention.
En l’absence de lien contractuel entre le salarié sous-traitant et l’entreprise utilisatrice, le salarié ne peut engager la responsabilité de l’entreprise utilisatrice en invoquant le manquement à l’obligation légale de sécurité puisque cette obligation pèse uniquement sur l’employeur.
En revanche, le salarié peut engager la responsabilité de l’entreprise utilisatrice au titre de sa responsabilité civile délictuelle dès lors qu’il est établi que celle-ci a commis des fautes ou négligences dans l'exécution des obligations légales et réglementaires mises à sa charge, et que ces fautes ou négligences ont été la cause du dommage invoqué par le salarié, ce qui a bien été le cas en l’espèce.
Jusqu’en 2019, en matière de sous-traitance, la Cour de cassation accordait la réparation du préjudice d'anxiété aux salariés exposés à l'amiante uniquement si leur employeur était inscrit sur la liste des établissements susceptibles d’ouvrir droit à l’allocation de cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante (ACAATA). Les salariés mis à disposition par leur employeur dont l’établissement ne figurait pas sur la liste ACATAA pour intervenir dans un établissement inscrit sur la liste se voyaient ainsi privés de la réparation de leur préjudice d’anxiété (Soc., 22 juin 2016, n°14-28.175).
Puis en 2019, les juges ont opéré un revirement de jurisprudence en reconnaissant le droit pour les salariés d'obtenir auprès de leur employeur, lorsqu’ils ont été exposés à un risque élevé de développer une pathologie grave à la suite d'une exposition à l'amiante, la réparation de leur préjudice d'anxiété, quand bien même ils n'auraient pas travaillé dans un établissement éligible à l'ACAATA (Ass. plén., 5 avril 2019, n°18-17.442).
Dans la continuité de cette décision, la Cour de cassation avait permis à un salarié sous-traitant de pouvoir agir contre son employeur, entreprise non inscrite sur la liste ouvrant droit à l'ACAATA, pour manquement à son obligation de sécurité (Cass, chambre sociale, 30 septembre 2020, n°19-10.352).
Par sa décision du 8 février 2023, les juges de la Cour de cassation vont, cette fois-ci, encore plus loin, en permettant aux salariés sous-traitants de pouvoir solliciter la réparation de leur préjudice d’anxiété auprès d’une entreprise utilisatrice au sein de laquelle ils ont été exposés à l’amiante au cours de l’exercice de leur activité, bien que cette entreprise ne soit pas leur employeur.
Selon le communiqué de la Cour de cassation, « cette décision est de nature à assurer la protection des travailleurs intervenant sous des statuts divers dans les locaux d’entreprises utilisatrices. Seules celles-ci connaissent l’historique industriel de leur propre site et la présence éventuelle de substances dangereuses ».