Évaluation du risque routier et travail de nuit
Deux salariées sont impliquées dans un accident de la route causé, notamment, par la fatigue due aux conditions de travail de la salariée conduisant le véhicule. L’absence de prise en compte du travail de nuit de la conductrice engage la responsabilité de l’employeur
Date du texte : 10 févr. 2025
Jugement correctionnel du tribunal judiciaire de Nantes, 21 novembre 2024
Deux salariées sont victimes d’un accident de la route, reconnu comme accident du travail, alors qu’elles se rendaient chez un client avec un véhicule de service. La salariée conduisant le véhicule s’était endormie au volant, sa collègue, assise côté passager, est décédée. Le véhicule ne contenait qu’un seul airbag côté conducteur.
Le tribunal judiciaire de Nantes a condamné l’employeur personne morale :
- pour homicide involontaire, à une amende de 25 000 euros ;
- pour mise à disposition d’équipement de travail ne permettant pas de préserver la sécurité, à une amende de 4 000 euros ;
- pour recours non autorisé au travail de nuit, emploi de travailleurs de nuit sans repos compensateur de durée conforme et dépassement de la durée maximale quotidienne de travail de nuit, au paiement de trois amendes de 1 500 euros.
L’employeur est également condamné à verser des dommages-intérêts aux parties civiles en réparation de leur préjudice moral.
Pour rendre leur décision, les juges se sont référés à l’enquête menée par les services de gendarmerie qui avait révélé :
- Que la salariée avait pour habitude de venir à pied ou à vélo à son travail (2 h 56 à pied et une demi-heure à vélo). Son employeur refusait qu’elle utilise un véhicule de l’entreprise pour son trajet domicile-travail ;
- Qu’il arrivait à la salariée conductrice de faire des journées de travail commençant à 2 h 00 du matin et finissant à 18 h 00 ou 19 h 00 ;
- Que les horaires des salariés de l’entreprise étaient aléatoires, variant d’une journée à l’autre.
Les juges se sont également appuyés sur un rapport établi par l’Inspection du travail à la suite de la survenance de l’accident, relevant les manquements suivants de l’employeur en matière de santé et de sécurité :
- Évaluation insuffisante du risque routier : les actions figurant au sein du document unique de l’entreprise se limitaient à donner des consignes aux salariés de prudence et de respect du Code de la route, à rappeler les consignes de conduite à adopter lors de charges lourdes, et à veiller au contrôle technique, révisions et entretien des véhicules.
Or, l’Inspection du travail souligne que, l’évaluation de ce risque implique également de mener une réflexion quant à l’organisation des déplacements et du travail, au temps de conduite et de travail, sur le choix et l’entretien des véhicules, sur la formation de tous les acteurs de l’entreprise.
Dans cette affaire, les journées de travail des salariés pouvaient être de 11 h 40. L’employeur avait alors indiqué avoir mis en place « des équipes de chauffeurs, l’un conduisant l’aller, l’autre conduisant le retour ». Selon l’Inspection du travail, cette organisation du travail prévoyant la constitution d’équipes et de covoiturage rendait indispensable que chacune des places avant, conducteur comme passager, soit équipée d’airbags, ce qui n’était pas le cas.
Pour le tribunal, les salariés ne bénéficiaient donc pas du meilleur niveau disponible de protection en cas de chocs permettant de protéger leur santé et leur sécurité (articles L4321-1 et R4321-1 du Code du travail).
- Absence d’évaluation des risques liés au travail de nuit : le travail de nuit constituait en l’espèce un facteur aggravant du risque routier (somnolence, impact sur la qualité du sommeil, réduction du temps de sommeil total etc.). De plus, les horaires aléatoires, variant d’une journée à l’autre, des salariées victimes de l’accident, constituaient selon l’Inspection du travail un autre facteur aggravant du risque routier. Au regard de l’organisation du travail des salariées victimes de l’accident, l’Inspection du travail concluait à une forte présomption de statut de travail de nuit. Or, l’employeur n’avait en l’espèce respecté aucune obligation relative au travail de nuit, privant les salariées des durées de travail quotidiennes et hebdomadaires légales et du repos en principe dus.
Le tribunal conclut ainsi, au regard des éléments précités, que les manquements de l’employeur aux dispositions du Code du travail sur le travail de nuit ont eu pour conséquence directe l’accident dont ont été victimes les deux salariées. La fatigue de la salariée conductrice étant nécessairement en lien avec ses conditions de travail qui ne prenaient pas en compte son statut de travailleur de nuit.
Lorsque des salariés sont amenés à conduire des véhicules de service en équipe ou en covoiturage, l’évaluation du risque routier par l’employeur inclut la vérification par ce dernier de la présence d’airbags en état de fonctionnement au sein du véhicule.
De plus, si les salariés sont amenés à conduire pendant les horaires relevant du travail de nuit, l’employeur doit, dans le cadre de son évaluation des risques, prendre en compte le travail de nuit comme facteur aggravant du risque routier. L’employeur qui minimise les heures de nuit effectuées par des salariés auxquelles s’ajoutent des heures de conduite manque à son obligation de sécurité.