Pour Bernard Cathelain, la sécurité est la première des priorités
Bernard Cathelain, membre du directoire de la Société des grands projets, expose l’approche retenue pour relever le défi de la sécurité sur les chantiers exceptionnels du Grand Paris Express.
Date de mise à jour : 24 févr. 2025 - Auteur : Virginie Leblanc
- Un conseil de la sécurité des chantiers associe de nombreux acteurs pour faire avancer la prévention.
- Une attention particulière est portée à l’intérim et à la sous-traitance.
Interview parue dans PréventionBTP n°292-Février 2025-p. 34.
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©Patrick Gaillardin
Bernard Cathelain, membre du directoire de la Société des grands projets, explique comment elle s’organise autour de la priorité accordée à la sécurité et comment elle fait travailler ensemble une multiplicité d’acteurs, pour tendre vers une culture de la sécurité partagée.
Bernard Cathelain est diplômé de l'École polytechnique et de l'École nationale des Ponts et Chaussées.
1986. Responsable du service des grands travaux (Val-d’Oise).
1992. Conseiller technique au conseil régional d'Île-de-France.
1993-2001. Directeur de la construction pour la Sanef puis directeur de l'ingénierie du développement et de l'environnement.
2001. Directeur de la maîtrise d'ouvrage déléguée pour Aéroports de Paris, puis directeur général adjoint, de 2008 à 2014.
2015. Nommé membre du directoire de la SGP.
Vous pilotez l'un des plus grands projets d’infrastructures en Europe avec le Grand Paris Express. Quelles sont les données clés de ce projet ?
Le projet du Grand Paris Express est souvent qualifié de hors norme par son ambition et son ampleur. Il porte des enjeux de transformation du territoire puisqu’il vise à relier entre eux des pôles qui, aujourd’hui, ne le sont qu’en passant par Paris. Il se caractérise également par un temps court entre sa conception et sa réalisation : nous sommes partis d’une feuille blanche en 2010 pour arriver à une mise en service en 2031, soit une vingtaine d’années de chantier. Ce projet, c’est 200 kilomètres de lignes nouvelles, soit un doublement du réseau historique parisien. C’est aussi 68 gares, avec des chantiers largement souterrains générant beaucoup de déblais, des gares qui descendent jusqu’à 50 mètres de profondeur. En valeur actuelle, c’est un projet de 40 milliards d’euros. Beaucoup de corps de métiers y interviennent, avec une mobilisation très forte des entreprises et sur la totalité du projet, jusqu’à 15 000 personnes qui travaillent en même temps dont 7 000 à 8 000 compagnons.
Vous affirmez votre priorité accordée à la sécurité et vous avez fait évoluer votre organisation dédiée à la gestion des risques. Pourquoi était-ce nécessaire ?
D’emblée, la sécurité a été la première des priorités sur ce chantier, avec un certain nombre de dispositifs mis en place. Pourtant, les résultats n’ont pas été au rendez-vous avec malheureusement des accidents mortels et des niveaux d’accidentologie trop élevés. Malgré tous nos efforts, ils n’étaient pas significativement plus bas que ce qu’on pouvait constater ailleurs. Après la phase du génie civil, relativement homogène, nous sommes maintenant dans une période où il y a aussi des aménagements de gares et les essais des systèmes. Les risques au niveau de la coactivité sont encore plus importants. Il est donc indispensable de renforcer la sécurité sur nos chantiers et de trouver d’autres méthodes pour aborder ce sujet. La mise en place du conseil de la sécurité des chantiers est une illustration de notre volonté d’associer plus fortement les parties prenantes de cette opération à notre action.
La mise en place du conseil de la sécurité des chantiers est une illustration de notre volonté d’associer plus fortement les parties prenantes de cette opération à notre action.
Quel est le rôle du conseil de la sécurité des chantiers ?
Cette instance, qui accueille différents experts en matière de sécurité, dont l’OPPBTP, des représentants des entreprises, de la maîtrise d’œuvre, de l’Inspection du travail, des entreprises de travail temporaire…, nous permet de disposer d’un regard plus large et critique sur nos différentes pratiques et ainsi renforcer l’ensemble de nos dispositifs. Six groupes de travail sur différents thèmes nous permettent d’échanger sur les voies d’amélioration des problèmes identifiés. Parmi eux, l’intérim est un sujet sensible avec une accidentologie supérieure pour ces intervenants. Nous avons donc exigé que le Pasi BTP (passeport sécurité Intérim, NDLR) se mette en place sur l’ensemble des chantiers depuis le 1er janvier 2024. Mais ce n’est pas suffisant en soi car ce passeport ne renvoie pas à la situation effective du chantier. C’est sur ces éléments que nous avons travaillé pour exiger de nos groupements d’entreprises une approche spécifique d’intégration identique à tous les compagnons, au travers de formations dédiées, d’accompagnement et d’une meilleure implication des entreprises de travail temporaire.
Vous avez également fait évoluer votre posture sur la prévention.
En effet, jusqu’à un passé récent, nous étions dans une posture de contrôle et de sanction, moins dans une posture de valorisation des éléments positifs pouvant être observés sur les chantiers, et de moteur d’une communauté d’acteurs réunis pour tendre vers un même objectif. C’est notamment l’un des points mis en lumière par le diagnostic culture sécurité qu’a réalisé l’OPPBTP avec l’aide de l’Icsi, au premier trimestre 2024. Ce que nous avons mis en place avec l’organisation d’une journée d’arrêt des chantiers, la remise de labels sécurité pour les chantiers les plus exemplaires, le lancement d’un concours pour mettre en avant les innovations, va dans le bon sens. Cela favorisera également le partage d’expériences et donc l’amélioration continue de nos pratiques.
La vision du risque doit être portée au plus près du terrain.
Comment travaillez-vous sur le déploiement d’une culture de sécurité commune à autant d’acteurs intervenants ?
Du fait de l’ampleur du chantier et de sa complexité, c’est l’enjeu majeur. On a notre rôle de maître d’ouvrage en tant qu’ensemblier, des maîtres d’œuvre avec des contrats différents, des CSPS, des interventions de spécialistes et des grands groupes ou entreprises plus petites… Il faut arriver à articuler l’ensemble de ces acteurs. S’agissant des entreprises, nous avons mis en place un gestionnaire par site. Mais suivant les phases de chantier, il peut changer et il peut y avoir des difficultés particulières à ce qu’il intègre complètement son rôle. On le voit quand on fait une visite de sécurité sur les chantiers, quand on s’adresse au gestionnaire de site en signalant qu’une installation ne va pas, il peut avoir tendance à dire que ce n’est pas de son fait ; parfois de bonne foi quand sa mission n’est pas assez claire pour lui. Or, en tant que responsable du site, il doit intégrer la prévention et notamment s’assurer de la présence des protections collectives adéquates sur l’ensemble du chantier, en lien avec le CSPS. Autre difficulté relevée à l’avancement des opérations, l’implication de la maîtrise d’ouvrage ou la présence sur le terrain du CSPS et des équipes de Bertrand Masselin, responsable de la sécurité et de la sûreté des chantiers à la SGP, ont eu un effet de démobilisation des maîtres d’œuvre, qui ont pu avoir tendance à considérer qu’il y avait d’autres acteurs pour endosser ce rôle. Or, la vision du risque doit être portée au plus près du terrain. Le conseil de la sécurité a justement veillé à réimpliquer la maîtrise d’œuvre et chaque acteur dans leur rôle.
Qu’en est-il de vos exigences au regard de la sous-traitance ?
C’est un sujet compliqué car, aujourd’hui, la réglementation ne nous permet pas, en tant que maître d’ouvrage, de limiter la sous-traitance autant qu’on le voudrait. Heureusement, la maîtrise d’ouvrage agrée les sous-traitants, et il y a quelques cas dans lesquels nous avons refusé ou demandé de changer un sous-traitant lorsque nous considérions que la sécurité n’était pas assurée. Mais nous n’avons pas les moyens d’interdire la sous-traitance en cascade. Notre seule marge de manœuvre est d’exiger de l’entreprise titulaire du marché qu’elle assure un contrôle complet de ses sous-traitants et d’insister sur la responsabilité qui est la sienne, comme pour l’intérim, sur la formation des sous-traitants et leur préparation aux conditions spécifiques des chantiers. Face à la complexité de ce sujet, le conseil de la sécurité a créé un groupe de travail dédié dans lequel les entreprises ont un rôle majeur à jouer. Objectifs : que l’ensemble des sous-traitants dispose du même niveau de connaissance de nos référentiels de sécurité que leurs donneurs d’ordre et que le démarrage de leurs travaux ne se fasse pas tant que la procédure d’agrément n’a pas été menée à son terme.
Quelles actions avez-vous mises en place pour un meilleur partage des retours d’expériences entre entreprises intervenantes ?
Nos activités dans le cadre du conseil de la sécurité se nourrissent du partage des retours d’expérience tout comme les journées d’arrêt de chantiers. La première avait été réalisée à la suite d’événements dramatiques, en mai 2023. En 2024, nous avons renouvelé l’exercice avec une forte participation des entreprises. Cet événement nous permet de montrer à tous les niveaux de l’entreprise, depuis les patrons de chantiers jusqu’aux compagnons, l’importance que la maîtrise d’ouvrage attache à la sécurité, qu’elle est la priorité et qu’elle passe avant les délais et toute autre chose. S’agissant des accidents du travail et des presqu’accidents, ils font l’objet d’une remontée systématique. Les analyses des plus graves font l’objet d’une diffusion à l’ensemble des entreprises. En outre, nous donnons rendez-vous une fois par an à toutes nos entreprises contractantes, tous les CSPS et maîtres d’œuvre à l’occasion des Rencontres de la sécurité, un moment central de partage, de bilan, de retours d’expériences, dans l’idée de maintenir la vigilance et de mobiliser les énergies vers des objectifs communs.
Quels seront les temps forts en matière de sécurité en 2025 ?
Nos Rencontres de la sécurité se tiendront en mars avec un bilan global de l’année. Nous organiserons la remise des labels aux chantiers exemplaires et lancerons un appel à projets pour récompenser les pratiques les plus innovantes et surtout réplicables pour améliorer la sécurité. Nous avons également jugé utile de mener des actions de sensibilisation sur le rôle du compagnon face à une situation dangereuse, dont le devoir est de marquer un temps d’arrêt dans l’exécution de sa tâche s’il est confronté à une situation non conforme à celle qui a été planifiée. Une journée de sensibilisation sur ce sujet est prévue en mai. Nous-mêmes à la SGP, nous avons formé nos équipes pour qu’elles sachent le faire dans les bonnes conditions. En effet, les opérationnels SGP sont formés à la réalisation en autonomie de visites de sécurité de leurs chantiers, de manière à déceler d’éventuelles situations dangereuses et de les stopper avant la survenue d’un accident. Nous allons également poursuivre le renforcement de la culture de sécurité commune à l’interne, car nous avons réalisé, notamment grâce au diagnostic culture sécurité de l’OPPBTP et de l’Icsi, qu’il nous fallait affermir cette appropriation.
Qu’est-ce que le regard extérieur de l’OPPBTP vous apporte ?
L’OPPBTP est un partenaire. Le partage des rôles est clair : nous avons une position d’autorité et d’impulsion en tant que maître d’ouvrage et, de son côté, l’OPPBTP a une position de neutralité, la combinaison de ces deux positionnements permet l’efficacité. Notre relation s’approche d’ailleurs d’une forme de coanimation. Cette collaboration n’est pas nouvelle puisque nous disposons d’une charte de la sécurité sur les chantiers qui en est à sa douzième édition et nous préparons la treizième. Nous y intégrons les retours d’expériences et les problématiques nouvelles qui apparaissent avec l’avancement des chantiers, comme celle des phases essais.
La Société des grands projets réalise de nouvelles solutions de mobilité du quotidien. Des grands projets de transport décarbonés au service des territoires et des habitants.
Elle pilote depuis 2010, la réalisation du Grand Paris Express, dont les quatre nouvelles lignes de métro (15, 16, 17 et 18) ainsi que les prolongements de la ligne 14 vont révolutionner les déplacements de banlieue à banlieue. À l’échelle nationale, elle accompagne les collectivités pour mener à bien les projets de services express régionaux métropolitains.
Votre mot préféré ? Optimisme.
Le mot que vous détestez ? Résignation.
Le métier que vous auriez aimé exercer en dehors du vôtre ? Chanteur d’opéra.
Le métier que vous n'auriez pas aimé faire ? Grutier car j’ai le vertige.
Votre bâtiment préféré ? La gare Saint-Denis Pleyel.
Le son, le bruit que vous aimez ? Le son du hautbois.
Le son, le bruit que vous détestez ? Les pleurs.
Le livre que vous emporteriez sur une île déserte ? Les Rougon-Macquart d'Émile Zola.
Une personnalité pour illustrer un nouveau billet de banque ? Napoléon III, pour l’évolution de la société à cette époque et les travaux d’Haussmann.