Pourquoi la « sécurité réglée » ne suffit-elle pas ? Réponse avec la sociologue Florence Osty
Date de mise à jour : 25 juil. 2022 - Auteur : Armelle Gegaden
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Pour la sociologue Florence Osty*, si les normes et le cadre sont nécessaires pour contenir les risques dans les organisations, ils sont insuffisants dans bien des situations de la vie réelle. Les entreprises ne peuvent donc s'exonérer d'un travail sur la diffusion d'une culture sécurité partagée. Un travail de longue haleine qui suppose d'ouvrir des espaces de discussion pour s'accorder sur une vision commune.
Pourquoi, malgré leurs efforts, les entreprises n'arrivent-elles pas à faire évoluer leurs indicateurs de sécurité ?
On a tendance à rentrer dans le sujet de la sécurité par sa dimension prescriptive, à travers des politiques, des protocoles, des règles à respecter et dont la promesse serait d'améliorer des indicateurs et d'installer une culture de sécurité. C'est ce que l'on appelle la sécurité réglée que l'on investit, en général, en premier. Tous ces dispositifs s'avèrent, en réalité, insuffisants. Car si ce cadre est utile et nécessaire, dans la vraie vie, les situations ne sont jamais totalement conformes à ce qui était prévu. Le vrai sujet, c'est de permettre aux personnes de terrain de pouvoir gérer les situations à risque, singulières et concrètes, en dehors du cadre générique prévu par la règle.
Faut-il laisser plus de place à la responsabilité individuelle ?
Attention à la dérive qui consiste à tout ramener à la responsabilité individuelle. En fait, dans beaucoup de situations, le comportement à risque n'est pas individuel mais collectif, car les individus sont interdépendants. La question est de savoir comment s'accorder. L'équipe est un espace de prise en charge des risques du travail qui me semble très pertinent.
Pourquoi faire évoluer sa culture sécurité est-il difficile ?
La sécurité, au fond, est une perception qui peut reposer sur des éléments objectifs et subjectifs. Un événement peut être jugé dangereux par l'un, quand, pour un autre, ce sont « les risques du métier. » À une époque, défier la peur faisait partie du bizutage. Changer les mentalités prend beaucoup de temps et suppose de travailler sur les perceptions, de se rendre compte qu'elles sont différentes et d'ouvrir des espaces de discussion pour s'accorder sur ce qui est acceptable.
Quel est le rôle du management ?
Élaborer une politique de sécurité envoie déjà un signal fort. Ensuite, au-delà d'un rôle un peu dogmatique, il est nécessaire d'être à l'écoute des signaux qui remontent pour réajuster le cours de la politique sécurité. Car si les règles sont absurdes ou empêchent de travailler, les gens ne les respectent pas ou trichent.
*Elle a copublié, avec Marc Uhalde et Renaud Sainsaulieu, « Les mondes sociaux de l'entreprise » (éd. La Découverte).
Il faut permettre aux personnes de terrain de pouvoir gérer les situations à risque, singulières et concrètes, en dehors du cadre générique prévu par la règle.