En résumé
    •  Les remontées d’informations servent à construire la politique prévention de l’entreprise.
    • L’attention portée aux conditions de travail des salariés est gage de réussite et de performance.

    Interview parue dans PréventionBTP n°289-Novembre 2024-p. 34.

    289 Grand entretien Christophe Ruas SRC

    ©DR

    À l’écoute de ses salariés, Christophe Ruas, P-DG de SRC, a fait progresser son entreprise en matière de prévention. L’importance donnée à la santé et la sécurité de ses salariés est aujourd’hui un réel facteur de performance pour son entreprise. Vice-président des Canalisateurs, président de sa commission Prévention, et chef de file du groupe de travail « Bien-être au travail » de la FNTP, il travaille également à faire avancer de nombreux sujets de prévention pour toute la profession.

    Parcours

    Christophe Ruas est P-DG de la Société régionale de canalisations (SRC). Il est également vice-président des Canalisateurs.
    1993. Christophe Ruas obtient un DESS de gestion des entreprises à l’IAE de Montpellier.
    1995. Il intègre SRC en tant que conducteur de travaux.
    2002. Il devient P-DG de SRC.
    2021. Président de la commission Prévention des Canalisateurs.
    2022. Vice-président des Canalisateurs.
    2023. Chef de file du groupe de travail de la FNTP « Bien-être au travail ».

    Vous dirigez SRC, une PME de 30 salariés, spécialisée en canalisations d’eau potable et d’assainissement basée dans le Gard. En tant que chef d’entreprise, comment appréhendez-vous les sujets de prévention ?
    Je suis P-DG de l’entreprise depuis 2002, et je dois dire que j’ai évolué dans ma façon de voir les choses au sujet de la prévention ! Il y a quinze ans, je me croyais bon. Mais quand j’ai adhéré au label Canalisateurs, je me suis rendu compte que je n’étais pas si bon que ça, ce qui m'a poussé à aller de l'avant. J’ai alors engagé des actions visant à faire remonter des situations de non-conformité en matière de prévention et de presqu’accidents. Au début, les salariés étaient frileux, craignant d’être en faute. Alors, j’ai changé de vocabulaire pour passer au concept de remontée d’informations. Comme cela ne suffisait pas, j’ai intégré le droit à l'erreur dans ma politique d'entreprise en considérant que si on voulait progresser, il fallait bien identifier les points faibles sur lesquels travailler. J’ai voulu le faire le plus simplement possible, c’est-à-dire par texto, voie orale, e-mail, téléphone… auprès de notre QSE. Il y a une quinzaine d'années, deux à trois situations dangereuses par an me remontaient. Ce n’est rien ! Aujourd’hui, c’est plus de quatre-vingt, et cela permet de construire une vraie politique de prévention. J’intègre ces éléments dans mon document unique et, en face, j’y associe une action. Je communique énormément sur ce sujet avec mes équipes. Et les collaborateurs se rendent compte que derrière leurs remontées, il y a des actions bien concrètes mises en place. La parole se libère dans ces conditions.

    Quels sont les exemples d’actions engagées à la suite de ces remontées d’informations ?
    Des salariés recevaient régulièrement des éclats dans les yeux, de la limaille de fer par exemple, à la suite d’interventions au marteau-piqueur ou à la tronçonneuse. Ce n’était pas la personne qui était en train d'agir – qui, elle, portait ses EPI – qui pouvait être blessée mais son collègue à proximité. Nous avons alors généralisé le port des lunettes de sécurité. Et pour un meilleur confort et usage par les salariés, nous avons prévu des modèles adaptés au soleil et à la vue des salariés. Autre exemple, un jour, nous avons eu un accident, sans arrêt, alors qu’un salarié déroulait un tuyau en polyéthylène. Ce salarié tenait le coupe-tube des deux mains pour couper le tuyau, et lorsqu’il s’est redressé, le tuyau l’a égratigné au visage. On s’est rendu compte que ces coupe-tubes n’étaient pas bien dimensionnés pour le diamètre des tuyaux. Alors, on a investi une dizaine d'euros pour des coupe-tubes plus gros pour nos huit équipes : depuis, on peut couper le tube d’une seule main et la deuxième main tient le tuyau pour éviter le rebond. Autre exemple sensible dans notre profession : l’usage de la tronçonneuse. Nous avons exigé le port des casques intégraux qui protègent complètement le salarié au niveau des rebonds. Des formations internes pour se servir d’une tronçonneuse sont aussi imposées. En tant que P-DG, je délivre une autorisation d’utilisation de la tronçonneuse une fois que j'ai eu la garantie que la personne maîtrise les risques liés à son usage. Je me suis inspiré d’une pratique de la Sade.

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    Il y a un indicateur de résultat qui est essentiel : le bien-être au travail de mes collaborateurs.

    Christophe Ruas  

    Vous avez aussi eu des remontées d’informations nombreuses sur le sujet des TMS…
    En effet, il arrivait régulièrement que des situations dangereuses soient constatées, et parfois même qu’il y ait des accidents, en particulier l’hiver, le matin tôt au départ des chantiers. Nous avons alors organisé des séances de réveil musculaire avec un coach sportif, cela a été très positif. Autre sujet : nos salariés avaient énormément de mal à identifier le poids des pièces manutentionnées tous les jours. Nous avons donc réalisé une fiche pratique avec un code couleur depuis les pièces que l’on peut soulever (moins de 20 kg), jusqu’à celles qu’il est interdit de soulever sans engin de manutention (plus de 30 kg).

    Vous agissez en prévention, vous investissez… Quels sont les indicateurs que vous suivez pour évaluer vos résultats ?
    Pour moi, il y a un indicateur qui est essentiel : le bien-être au travail de mes collaborateurs. Un salarié qui vient la boule au ventre sur le chantier a plus de chances d’être malade que quelqu'un qui est content d'aller travailler le matin. Je suis donc le nombre de jours d’arrêt maladie et le nombre de jours d’arrêt de travail que je cumule, et je quantifie la perte pour l’entreprise quand quelqu’un est absent. En dix ans, ce chiffrage annuel est passé de 200 000 euros à 100 000 euros. En clair, toutes les actions de prévention que j'ai menées m'ont permis de gagner 100 000 euros, et sont donc largement amorties. Pour moi, la prévention c'est un gain, pas un coût.

    Toutes les actions de prévention que j'ai menées m'ont permis de gagner 100 000 euros, et sont donc largement amorties. 

    Christophe Ruas  

    Les Canalisateurs travaillent sur plusieurs sujets avec l’OPPBTP pour faire avancer des problématiques de prévention spécifiques à votre profession. Lesquels notamment ?
    En tant que vice-président des Canalisateurs et président de la Commission prévention, j’ai participé à un gros travail avec l’OPPBTP sur le risque d'ensevelissement et la nécessité de blinder nos tranchées. Ce travail a abouti à la publication d’un guide téléchargeable gratuitement. Il est très pertinent, car il identifie toutes les techniques et tous les risques liés aux tranchées et au blindage : n'importe quel conducteur de travaux peut permettre à ses équipes de travailler en sécurité. Autre sujet de la commission Prévention : nous avons fait une étude métiers il y a quelques années auprès de nos poseurs et aide-poseurs. Il en est ressorti environ soixante-dix pistes d’amélioration pour sécuriser au maximum nos salariés. Une synthèse de nos travaux devrait sortir début 2025. Je n’oublie pas non plus tout l’intérêt de la charte « Chantier franchement sûr » portée par la FNTP et dans laquelle s’inscrivent les Canalisateurs. Quand on parle de prévention, il faut envisager toutes les options qui s’offrent à nous. Si l’idée première est évidemment d’éliminer le risque et de barrer la route, d’autres solutions existent et peuvent être adoptées en fonction du chantier pour préserver la sécurité de nos collaborateurs.

    Vos métiers sont également confrontés aux risques d’exposition à l’amiante et à la silice…
    Sur l'amiante, il existe d’ores et déjà un cadre bien défini, et des actions de prévention bien en place. Pour la silice, c’est plus complexe, et aujourd'hui la FNTP travaille avec l’OPPBTP sur Carto silice(1). Ce travail n’est cependant pas encore abouti. En attendant, dans mon entreprise, une fois par an, je fais une analyse complète en mettant des capteurs sur des salariés d’une équipe pour vérifier le respect de la VLEP. Les résultats me permettent de sensibiliser le personnel au port des EPI et à l’importance du sciage humide.

    La FNTP porte un objectif zéro accident mortel dans les TP en 2028. Comment l’appréhendez-vous ?
    Que le président de la FNTP prenne ce sujet à cœur et porte cet indicateur très ambitieux, cela donne la volonté à tout le monde d'aller dans la même direction. C’est très important.

    Vous êtes également chef de file du groupe de travail « Bien-être au travail » de la FNTP. Sur quels sujets travaillez-vous ?
    Dans le cadre de la convention de partenariat avec la DGT, la Cnam, l’INRS et l’OPPBTP, nous avons monté un groupe de travail sur le bien-être au travail. La première thématique abordée a été celle des fortes chaleurs, un sujet de plus en plus d’actualité. Pour aider nos dirigeants d'entreprise, nous souhaitions partager toutes les mesures de prévention pouvant être déployées avant l’arrêt de chantier(2). Pour cela, nous avons bâti un rétroplanning détaillé de toutes les tâches à accomplir. On y traite aussi bien de la responsabilité du maître d’ouvrage que des EPI et vêtements de travail à porter ou de l'information et de la sensibilisation des collaborateurs mais aussi, de tout l’aspect réglementaire, comme de la notion d’eau fraîche devant être fournie aux salariés. Nous avons eu plus de deux mille vues cet été sur la page rétroplanning du site de la FNTP, et le webinaire conjoint avec l’OPPBTP a eu un grand succès avec près de six cents inscrits. Aujourd'hui, on s'attelle à un sujet très sensible : celui des addictions, particulièrement aux drogues. Il faut expliquer à quel point fumer un joint le samedi soir peut avoir des conséquences dramatiques pour toute une vie le lundi matin. C'est un drame humain, c'est un drame pour l'entreprise. Il faut trouver le juste milieu entre la liberté personnelle et l'intérêt collectif, et agir en sensibilisant au sujet, en accompagnant la personne sous addiction pour l’aider à s’en sortir, et en sanctionnant. Nous allons travailler sur un modèle de règlement intérieur qui sera mis à disposition dans quelques mois.

    Portrait chinoix

    Votre mot préféré ? Consensus.
    Le mot que vous détestez ? Nivellement par le bas.
    Le métier que vous auriez aimé exercer en dehors du vôtre ? Pasteur.
    Le métier que vous n'auriez pas aimé faire ? Chirurgien.
    Votre bâtiment préféré ? Le Pont du Gard.
    Le son, le bruit que vous aimez ? Le bruit de l’eau dans une rivière.
    Le son, le bruit que vous détestez ? Le bruit de la fraise chez le dentiste.
    Le livre que vous emporteriez sur une île déserte ? Nymphéas noirs, de Michel Bussi.
    Une personnalité pour illustrer un nouveau billet de banque ? Simone Veil.

    Les Canalisateurs

    Les Canalisateurs* est une organisation professionnelle, membre de la Fédération nationale des travaux publics. Elle fédère 330 entreprises de toutes tailles spécialisées dans la pose et la réhabilitation de canalisations d'eau potable, d'eaux usées, d'irrigation et de gaz. Son objectif est de défendre les intérêts de la profession et de promouvoir le métier de canalisateur.
    *En savoir plus sur canalisateurs.com
    Télécharger le rétroplanning de la prévention des risques liés aux fortes chaleurs sur : fntp.fr

    (1)L’objectif de Carto silice est d’obtenir une cartographie de référence des procédés les plus courants et/ou les plus émissifs en poussières de silice cristalline, afin de fournir aux entreprises des solutions opérationnelles.
    (2)Le décret du 28 juin 2024 ajoute la canicule dans la liste des conditions atmosphériques ouvrant droit à indemnisation en cas d’arrêt du chantier.

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