En résumé
  • Une entreprise mobilisée sur les risques majeurs.
  • Une culture SST qui incite à la remontée d’informations.
  • Des réflexions pour pousser aux comportements les plus sûrs.

    Interview parue dans PréventionBTP n°290-Décembre 2024-Janvier 2025-p. 34.

290 Grand entretien - Sébastien Majoux, directeur Santé Sécurité de Suez Eau France

©DR

Portée par un objectif ambitieux de zéro accident grave et mortel, la politique santé sécurité de Suez a obtenu des résultats tangibles. Mais en santé sécurité, on ne se satisfait jamais des acquis et il reste toujours des progrès à réaliser. Sébastien Majoux explique les pistes explorées par son entreprise.

Parcours

Ingénieur en prévention des risques et diplômé de Polytech Grenoble, Sébastien Majoux est directeur Santé et Sécurité de Suez Eau France.
1997. Entrée chez Sita.
1999 et 2001. Responsable QSE de Suez (Ile-de-France puis Centre-Est). Activité déchets.
Depuis 2009. Auditeur et formateur dans les domaines QSE pour Suez.
2017. Responsable national de la prévention des risques des branches Infrastructures et Flux Spécialisés des activités Recyclage et Valorisation pour Suez en France.
2022. Directeur Santé Sécurité de Suez Eau France.
2024. Président de la commission SST de la FP2E (Fédération professionnelle des entreprises de l’eau).


Il y a deux ans, vous avez pris la direction Santé Sécurité de Suez Eau France (10 000 collaborateurs), après des années passées dans d’autres entités. Comment avez-vous vu évoluer la prise en compte de ce sujet?
Cela fait bientôt vingt-huit ans que je travaille chez Suez. Quand j'ai commencé en 1997, les taux de fréquence (TF) des accidents du travail s’élevaient à 78 et les taux de gravité (TG) à 4. Il y avait de nombreux décès chaque année. Aujourd’hui, le TF est à 5, le TG à 0,4. Le nombre d'accidents mortels a baissé de 81 % depuis 2011. Chez Suez Eau France, notre TF a diminué de 44 % depuis 2019. On est toujours frustrés en matière de SST, car nous visons toujours le « zéro accident », et chaque accident est un accident de trop, mais on peut dire qu’avec cette tendance, nous sommes dans la bonne direction. L’évolution majeure, rencontrée également dans d’autres entreprises, a consisté dans le passage d’une approche de la sécurité historiquement « technique » à une structuration via des systèmes de management et, enfin, plus récemment, nous nous sommes tournés vers une approche englobant les facteurs organisationnels et humains.


Vous êtes également engagés dans une politique zéro accident grave et mortel depuis quinze ans. Comment se traduit-elle concrètement?
Notre objectif « Zéro accident grave et mortel », vision portée et partagée par notre présidente directrice générale de Suez, Sabrina Soussan, s’articule autour de trois piliers. Le premier est la conscience partagée de nos risques et des moyens d’éviter les accidents ; le deuxième est la culture juste ; le troisième consiste en l’engagement et l’implication de tous, puisque chacun doit se considérer comme le premier responsable sécurité de l’entreprise. Cette ambition forte est partagée avec tous nos collaborateurs, sous-traitants, fournisseurs et clients. À ces principes sont associés des outils. Nous avons établi « dix règles qui sauvent », revisitées début 2023, qui sont des lignes rouges à ne pas franchir dans l’entreprise. Elles sont basées sur l’analyse de 93 AT mortels ayant eu lieu depuis de nombreuses années. Si ces règles avaient été respectées, nous aurions pu éviter 80 % de ces accidents. Exemples de règles qui sauvent : « Je m’assure que les énergies (électriques, mécaniques, hydrauliques, chimiques, pneumatiques, thermiques) sont consignées et contrôlées de manière sûre avant et pendant les opérations » ; « Je reste à l’écart des zones de levage, des zones de chute potentielle d’objets ou de charges » ; « Je ne travaille pas et ne conduis pas sous l’emprise d’alcool ou de stupéfiants ». S’y ajoutent une vingtaine de standards mondiaux exigés dans tous les pays, comme le standard relatif au risque routier fixant l’obligation du port de la ceinture de sécurité au volant, les caméras de recul ou l’air conditionné. Nous élaborons également des procédures opérationnelles précises d’intervention, par exemple dans les espaces confinés ou les accès et travaux en hauteur. De plus, chaque année des contrats d’engagement santé sécurité sont signés entre la direction HSE du groupe et chaque business unit, avec des engagements en termes d’actions notamment pour prévenir les AT-GM, diffuser la culture et renforcer le leadership en SST et atteindre des objectifs quantitatifs de performance. Bien entendu, cette politique est soutenue par la formation de toute la ligne managériale au leadership SST. De plus, les quelque 8 500 agents disposent de passeports sécurité individuels où sont mentionnées toutes les autorisations de travail nécessaires à leurs activités, comme les Catec, CACES®, AIPR, habilitations électriques…

290 Grand entretien - Sébastien Majoux, directeur Santé Sécurité de Suez Eau France

Nous demandons à nos collaborateurs de dire “ Stop ! ” lorsqu’une situation leur semble dangereuse pour eux ou pour les autres et lorsqu’une “ Règle Qui Sauve ” n’est pas respectée. 

Sébastien Majoux, directeur Santé Sécurité de Suez Eau France

Vous avez parlé de culture juste. En quoi cela consiste-t-il?
Cette culture juste, profondément installée chez Suez, repose sur trois piliers : la reconnaissance positive, la remontée spontanée des événements (situations dangereuses, presqu’accidents…) et les sanctions justes avec les réactions proportionnées aux violations délibérées. Sur ce sujet, nous travaillons beaucoup avec l’Icsi (Institut pour une culture de la sécurité industrielle,NDLR). Il s’agit d’aller à l’opposé de ce qui se passe dans des organisations où règne le « silence organisationnel », où l’on se tait par peur de réprimandes ou parce qu’on pense que parler ne changerait rien ou encore parce que cela pourrait générer encore plus de travail.


Malgré tout, vous n’êtes pas à l’abri d’accidents graves, y compris avec des collaborateurs expérimentés. Comment analysez-vous cela?
En effet, malgré une organisation en prévention santé sécurité solide, malgré nos nombreuses barrières de sécurité, nécessaires car elles préviennent un grand nombre d’accidents, il nous arrive d’être confrontés à des accidents graves. Évidemment, nous nous interrogeons à chaque événement sur ce qui s’est produit. Comment, par exemple, onze barrières de sécurité ont pu être franchies lors d’un AT mortel ? Si on analyse une à une nos barrières de sécurité, on peut y voir des points qui s’affaiblissent avec le temps. Exemples : une personne expérimentée peut être remplacée par un nouvel arrivant moins aguerri à la gestion des aléas ; une autorisation de travail pour une tâche précise est devenue un acte administratif qui est moins contrôlé… Pour que les barrières demeurent efficaces dans le temps, elles doivent être régulièrement éprouvées et testées. Les accidents « d’experts » sont très complexes à analyser. René Amalberti, directeur de la Foncsi (Fondation pour une culture de sécurité industrielle, NDLR) dit que les experts sont en quelque sorte à double face, à la fois des icônes enviées et reconnues ; et des personnes qui peuvent parfois prendre plus de risques. L'une des voies pour prévenir les accidents d’experts peut consister à mettre leur expérience au service de la formation des novices, car c’est une manière de prendre du recul sur sa propre activité.

Chaque année des contrats d’engagements santé sécurité sont signés entre la direction HSE du groupe et chaque business unit.

Sébastien Majoux


Et vous, comment travaillez-vous sur ce sujet?
L’an dernier, nous avons lancé une grande campagne « Speak up and Stop ». Nous demandons à nos collaborateurs de dire « Stop ! » lorsqu’une situation leur semble dangereuse pour eux ou pour les autres lorsqu’une « Règle Qui Sauve » n’est pas respectée. On dote ainsi chacun du droit et du devoir de dire « Stop ! » et ce, sans conséquence disciplinaire. Celui qui parle, nous en faisons un héros ! Lors d’une webconférence mondiale, notre présidente directrice générale a remercié deux techniciens du nord de la France qui s’étaient retirés d’une situation de travail dangereuse alors qu’ils avaient découvert une ligne électrique enterrée sous tension oubliée. C’est un énorme changement de culture à diffuser. Depuis début 2024, quarante « Stops » ont été reportés et ont fait l’objet de flashs de communication et de félicitations aux équipes. Parmi eux, un risque d’ensevelissement et des travaux en hauteur sans protection avec des sous-traitants, des balisages insuffisants sur la voie publique. Au total, via notre application digitale, 1 387 situations dangereuses et presqu’accidents ont été remontés depuis début 2024, ce qui montre que le système fonctionne bien.


Quelles sont vos pratiques pour favoriser les meilleurs comportements en santé sécurité?
Faire évoluer les comportements est un enjeu majeur pour Suez. Il faut déjà que l’exemplarité du chef soit visible et que ses actes soient alignés avec ses paroles. Nous utilisons différentes théories comportementales dont celle de « l’Engagement » du professeur Robert-Vincent Joule. Les comportements ne découlent pas directement des idées émises ou de la connaissance transmise lors d’une formation. Il est donc nécessaire de créer des liens entre les idées et les comportements. Quand on réalise un acte, par exemple de consignation, hydraulique ou électrique, en fait, on explique à nos collaborateurs qu’on est en train de sauver des vies. On identifie l’action à une ambition supérieure qui rend fier d’accomplir la mission. Doter ceux dont on recherche le concours d’un statut de décideur est également un levier très fort de changement de comportement. Exemple : on cherche à ce que des gants de sécurité soient portés. Si on dit : parmi ceux-ci, lesquels choisis-tu ? Le technicien devient alors décideur et cela crée un lien entre l’idée et le comportement.


Vous insistez sur l’importance de l’acte métier pour diffuser les comportements sûrs en SST.
Il faut le plus souvent possible partir des actes métiers pour analyser ce que l’on fait de bien, identifier les risques et les mesures de prévention et les difficultés éventuelles que l’on peut rencontrer pour appliquer certaines règles de sécurité qui pourraient conduire à des déviations normalisées. Dans le BTP, où les opérateurs sont très attachés à leur savoir-faire métier, rebâtir avec eux la règle de sécurité adaptée au cours, par exemple de quarts d’heure prévention orientés « métiers » tels que nous les avons développés dernièrement, pourrait être utile pour construire cet échange autour du travail réel en regard du travail prescrit. Ce sont souvent les compagnons au contact permanent du terrain qui ont certainement une grande majorité des solutions aux difficultés rencontrées.

Portrait chinois

Votre mot préféré? Impact.
Le mot que vous détestez? Fatalité. Ce mot n’existe pas en prévention des risques.
Le métier que vous auriez aimé exercer en dehors du vôtre? Médecin.
Le métier que vous n'auriez pas aimé faire? Charpentier à New York dans les années 1930.
Votre bâtiment préféré? Le Louvre pour le contenu, le Mont-Saint-Michel pour la beauté.
Le son, le bruit que vous aimez? Le son d’une guitare jouée par Mark Knopfler.
Le son, le bruit que vous détestez? Des clous sur un tableau noir !
Le livre que vous emporteriez sur une île déserte? Le Seigneur des Anneaux, de Tolkien.
Une personnalité pour illustrer un nouveau billet de banque? Thomas Pesquet.

Profil

Présent dans 40 pays avec 40 000 collaborateurs, Suez permet à ses clients de fournir l’accès à des services d’eau et de déchets, par des solutions innovantes et résilientes. En 2023, Suez a fourni de l’eau potable à 57 millions de personnes dans le monde et des services d’assainissement à plus de 36 millions de personnes. Le groupe a produit 7,7 TWh d’énergie à partir des déchets et eaux usées. En 2023, Suez a réalisé un chiffre d’affaires de 8,9 milliards d’euros.
Pour en savoir plus: www.suez.com

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