La charte « Chantier franchement sûr » fait ses preuves à Évreux
L’agglomération d’Évreux est la première collectivité à avoir mis en œuvre la déclinaison locale de la convention nationale de partenariat instituée par le ministère du Travail et la FNTP pour intégrer la prévention en amont sur les chantiers de travaux publics. Retour d’expérience.
Date de mise à jour : 27 juin 2024
Auteur : Chloé Devis
C’est l’opération de rénovation d’un axe très emprunté de la ville, la route de Saint-André, que la communauté d’agglomération Évreux Portes de Normandie (EPN) a choisie pour appliquer l’approche des questions de santé et sécurité portée par la charte « Chantier franchement sûr ».
Ce document, à l’intention des maîtres d’ouvrage, relaie à l’échelle locale les objectifs inscrits dans la Convention nationale de partenariat pour l’amélioration de la santé au travail dans les travaux publics, signée par le ministère du Travail, la Cnam, l’INRS, l’OPPBTP et la FNTP.
Celle-ci vise à mieux prendre en compte la sécurité et les conditions de travail des intervenants dès la conception d’un ouvrage, avec un impact positif sur la performance économique et l’image du chantier. Trois thèmes prioritaires ont été définis : les travaux sous circulation, les travaux de fouille en tranchée et la mise à disposition d’équipements sanitaires. Les partenaires de la Convention s’engagent à mettre à leur disposition des outils et leur expertise. Des modalités de suivi doivent également être définies, et un retour d’expérience est systématiquement prévu.
La route barrée, une recommandation testée avec succès
Philippe Bulot, responsable d’opérations à l’OPPBTP, a été chargé d’évaluer la performance en prévention de l’expérimentation menée par l’EPN autour d’une problématique majeure : la circulation.
L’artère concernée est empruntée par 6 000 véhicules par jour, dont deux lignes de transport en commun, et dessert des logements, des commerces, des établissements scolaires, un édifice religieux, l’hôtel d’agglomération… Le chantier, confié à Eurovia Haute Normandie – Agence de Saint-André-de-l’Eure et impliquant ponctuellement d’autres entreprises, concernait la requalification de la voie existante avec des travaux de réseaux, la création de pistes cyclables, l’aménagement d’un îlot central, la réfection de trottoirs et de chaussées et la pose de mobilier. « Les principaux enjeux en termes de sécurité concernaient les risques de heurt entre les usagers et les engins des entreprises, ainsi que les nuisances du chantier pour les riverains », souligne Philippe Bulot.
L’opération a été découpée en trois phases, avec un mode opératoire différent à chaque fois, ce qui a permis de comparer les inconvénients et les avantages de chacun. Après une phase avec un sens unique, puis une phase avec un double sens de circulation et une gestion des flux par feu tricolore, la troisième phase s’est déroulée en route barrée, à l’été 2023. C’est celle qui a été concernée par la charte, signée en mars 2022 par l’agglomération d’Évreux avec les parties prenantes du projet. « Les élus pensaient qu’une approche satisfaisante pour les usagers du domaine public était l’alternat, alors que dans notre cas c’est cette solution qui a été la plus compliquée à gérer », note Émilie Guibert, directrice générale des Services techniques mutualisés Ville d'Évreux/Évreux Portes de Normandie.
Des panneaux d’information et des marquages au sol pour faciliter les déplacements
Un travail poussé d’information des riverains, prévu par Eurovia, a été mené en parallèle du chantier. Une réunion publique a permis de présenter les travaux, leur impact sur la circulation selon les phases et sous-phases, et les déviations planifiées à l’intention des piétons et des véhicules.
En lien avec la charte, la mise en place d’itinéraires conseillés s’est accompagnée de la pose d’une dizaine de grands panneaux de pré-information sur les axes alentour, pour « réduire le flux de véhicules aux abords des travaux », indique Philippe Bulot. Les recommandations de la charte ont également donné lieu, côté piétons, à la mise en œuvre d’une signalisation temporaire avec création de passages piétons provisoires. Un dispositif de « boîtage » a également facilité le déroulement des travaux, notamment pour le coulage du béton de la piste cyclable. Quant à la base vie, elle a été déplacée au fil de l’avancement du chantier, long de 500 mètres. Ces différents éléments ont fait l’objet de vérifications régulières, tandis que des réunions hebdomadaires permettaient à l’ensemble des intervenants de faire le point au fur et à mesure.
Des risques éliminés, au bénéfice de la qualité et des délais
« La fermeture totale du chantier a permis de supprimer les risques pour les usagers, tout en favorisant la qualité d’exécution des travaux et une optimisation des moyens matériels et humains, fait valoir Philippe Bulot. Le risque d’accident généré par une circulation riveraine à proximité des travaux ou les manœuvres d’engins et camions à proximité des voies circulées a également été éradiqué grâce à la fermeture de la route et la création de déviations ». Et d’ajouter : « Grâce à la nouvelle organisation temporaire des déplacements, stable le temps des travaux, chacun a pu s’adapter et trouver de nouveaux repères. » Enfin, les délais ont pu être tenus, grâce au rattrapage en phase 3 du retard pris en phase 1, un point clé à la fois pour les acteurs du chantier et pour les riverains ; au-delà de la solution retenue pour le bon déroulement du chantier.
Émilie Guibert, directrice générale des Services techniques mutualisés Ville d'Évreux / Évreux Portes de Normandie.
« Nous sommes devenus aujourd’hui de meilleurs ambassadeurs de la rue barrée vis-à-vis des élus, même si ce sont toujours des compromis à faire au cas par cas, relève Émilie Guibert. Par ailleurs, souligne-t-elle, les points de vigilance du chantier sont aujourd’hui devenus des automatismes pour nos chargés d’opération, et nous sommes plus ouverts aux problématiques des entreprises avec lesquelles nous travaillons et réciproquement. » Selon elle, une formation des CSPS et maîtres d’œuvre serait toutefois souhaitable car ce n’est pas le rôle du maître d’ouvrage de s’y substituer. Philippe Bulot rappelle en outre l’importance de la validation des mesures en phase APS, de la prise en compte de l’ensemble des commerces et services touchés, et l’évaluation des différents impacts financiers (compensation demandée par les sociétés de transport en commun, coût du balisage de déviation…). Des aspects auxquels l’agglomération d’Évreux sera attentive alors qu’elle s’apprête à appliquer la charte, cette fois dès la phase conception, sur un nouveau chantier de voirie.
Phase 1 : maintien d’un sens unique de circulation
- Intégrité humaine : circulation maintenue, interface engins/automobilistes, avec risque d’accident.
- Performance économique : trois semaines de retard, dont deux liées aux réseaux affleurants et une liée au sens unique de circulation, avec dégâts causés par un piéton sur le trottoir en béton, intervention en trois fois pour la création de l’îlot central, coûts de déviation de la ligne de bus.
- Image du chantier : bouchons, coups de klaxon, balisage à remettre en place en permanence.
Phase 2 : alternat par feux
- Intégrité humaine : circulation maintenue, interface engins/automobilistes avec risque d’accident – gestion des deux ateliers Eurovia.
- Performance économique : retard de trois semaines maintenu, reprise de bordures et trottoirs endommagés par les bus, intervention en trois fois pour création de l’îlot central, coûts de déviation de la ligne de bus.
- Image du chantier : riverains égarés, transport de bus perturbé, bouchons, coups de klaxons, balisage à remettre en place en permanence.
Phase 3 : rue barrée et déviation
- Intégrité humaine : absence de circulation externe dans le chantier et de risque de collision avec des engins et/ou le personnel du chantier.
- Performance économique : retard de trois semaines rattrapé avec date de fin de travaux respectée, coûts de déviation de la ligne de bus, pas de dégâts, îlot créé en une seule fois, enrobés mis en œuvre en une seule fois.
- Image du chantier : moins de riverains égarés, meilleure gestion du trafic, absence de bouchons, chantier rangé, meilleure identification des zones de travaux.
- Impact sur le chantier du mode d’exploitation en route barrée : réduction du coût du poste signalisation de 33 %, gain d’un à deux jours par semaine de temps d’exécution, gain de 0,20 % du montant du marché sur la qualité concernant la reprise des ouvrages.