JO Paris 2024 : un premier retour d’expérience de la Charte HSE
Alors que les chantiers olympiques viennent d’être livrés, la Société de livraison des ouvrages olympiques (Solideo) a réuni l’ensemble des signataires de la Charte HSE pour faire un état des lieux de la stratégie innovante en faveur de la santé, la sécurité et des conditions de travail, qui a contribué à la réussite des opérations sans accident mortel. Ce bilan est une première étape pour évaluer les actions mises en place sur les chantiers hors normes des JO et les appliquer plus largement aux autres chantiers du secteur BTP.
Date de mise à jour : 3 avr. 2024
Auteur : Jean Didier
©SCAU / NP2F
Une première victoire olympique… pour le secteur de la construction. La Société de livraison des ouvrages olympiques (Solideo) et l’ensemble des maîtres d’ouvrage ont été au rendez-vous pour livrer au Comité d'organisation des Jeux olympiques les soixante-huit ouvrages attendus. Parmi eux, l’emblématique Village des athlètes des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024 inauguré le 29 février par le président de la République. Avec 2 500 entreprises à l’œuvre sur la totalité des chantiers olympiques, de la TPE à la major, soit près de 30 000 compagnons mobilisés, le bilan est sans appel : zéro accident mortel, 179 accidents dont 29 accidents graves. « Il s’est produit quatre fois moins d’accidents que sur des chantiers standards. Ce résultat extraordinaire est le fruit d’un dispositif hors norme en matière de prévention, mené à bien avec l’OPPBTP qui a eu un rôle de pivot, sur lequel il faut désormais capitaliser pour le futur », se félicite Nicolas Ferrand, directeur général de la Solideo. C’est dans cet état d’esprit que l’établissement public a réuni, le 13 mars dernier, les parties prenantes engagées dans la Charte HSE depuis 2021 afin d’établir un premier retour d’expérience. En quoi les actions mises en place ont-elles contribué à la santé et la sécurité des compagnons ? Peuvent-elles être répliquées dans le secteur de la construction ?
« La sécurité était l’affaire de tous »
Cette Charte HSE appliquée pour le chantier du Cluster des médias et du Village des athlètes fixait des engagements en faveur de la santé, de la sécurité et des conditions de travail des compagnons pour créer une culture commune de la sécurité à l’ensemble des acteurs impliqués. « Fin 2020, quand on s’est attelé à la dimension opérationnelle des chantiers, le sujet de la sécurité a tout de suite été mis en haut de la pile, avant même que la première grue n’entre en action. C’est un sujet qui n’a pas été sous-traité, il a toujours été une priorité majeure de la Solideo », note Henri Specht, directeur du Village des athlètes pour la Solideo.
Situé sur les communes de Saint-Denis, Saint-Ouen et l'Île Saint-Denis, le chantier du Village des athlètes, avec ses 82 bâtiments réalisés sur une surface totale de 52 hectares était, au pic de son activité, le plus grand chantier urbain d’Europe : 40 grues, 3 500 compagnons et 400 livraisons chaque jour.
Un des douze maîtres d’ouvrage, Vinci Construction, était engagé dans deux opérations du Village des athlètes avec le projet Universeine (6 hectares) incluant plusieurs bâtiments neufs et la reconversion de la halle Maxwell. « Ce chantier m’a marqué, car la sécurité y était l’affaire de tous. On a commencé l’opération en parlant de sécurité et non des délais. Une grande première ! Chacun pouvait ouvertement évoquer la sécurité, le sujet n’était pas considéré comme un problème lié à une entreprise. Une avancée énorme ! », observe Sébastien Carminati, directeur du projet Universeine pour Vinci Construction France.
De son côté, la Direction régionale de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités d'Ile-de-France (Drieets), fortement engagée sur les chantiers olympiques, reconnaît également cette ambition commune : « Il est frappant de se dire que nous avons partagé la même réalité, les mêmes faits, le même vécu. Chacun dans son rôle, nous pouvons nous réjouir aujourd’hui des résultats obtenus », mentionne Gaëtan Rudant, directeur de la Drieets. Depuis le début des chantiers, la Drieets a procédé à 1 300 interventions, soit un inspecteur du travail mobilisé par jour, plutôt deux vers la fin, souligne-t-il.
Chacun dans son rôle, nous pouvons nous réjouir aujourd’hui des résultats obtenus.
« Pour autant, une ambition partagée ne signifie pas un mélange des genres. L’Inspection du travail a œuvré sans complaisance mais avec des manières de travailler parfois différentes de ce qui se faisait habituellement. Avant chaque conseil d’administration de la Solideo, je communiquais aux représentants de l’État les résultats obtenus et les enjeux que nous avions identifiés. Il ne m’est pas souvent arrivé d’écrire à un représentant de l’État en lui expliquant que “Ça serait bien de passer un message sur la marche en avant des chantiers”. Ce pragmatisme à chaque étape du chantier s’est révélé une clé de succès importante », ajoute Gaëtan Rudant.
L’enjeu de la planification du chantier
Les travaux de la ZAC du village olympique se sont déroulés dans un tissu urbain dense et saturé par les véhicules. L’espace était contraint et les voiries rapidement encombrées. La prévention des accidents tout au long du chantier a été une préoccupation majeure nécessitant une organisation planifiée des flux. La logistique du dernier kilomètre a représenté un véritable enjeu de sécurité pour les riverains et l’ensemble des compagnons. « Un maître d’ouvrage qui s’attelle pleinement à la question de la planification génère de facto de la sécurité. Programmer l’organisation du chantier sur toute sa durée nous a aidés à structurer notre approche, en particulier sur la mise en place du système de marche en avant des livraisons. Le fait de planifier la présence des hommes-trafic sur les points clés du chantier est l'un des exemples concrets du traitement des questions de sécurité. Nous avons appliqué à un tissu urbain une méthode industrielle, et une fois que nous avions posé ce schéma, cela nous a permis de rendre très concrètes chacune des problématiques de cette marche en avant. Nous sommes passés du schéma conceptuel à la mise en œuvre pragmatique. Cet aspect m’a particulièrement marqué par son efficacité », détaille Henri Specht.
Un maître d’ouvrage qui s’attelle pleinement à la question de la planification génère de facto de la sécurité.
Des dispositifs d’organisation de la sécurité sur les sites
Les Cotech, le club SPS, le Collège HSE Interchantier, les réunions OPCIC, les visites des protocoles de concertations des MOA, les visites d’inspections communes… Cette culture partagée de la sécurité s’est bâtie autour d’une comitologie à tous les niveaux du chantier afin d’impliquer l’ensemble des acteurs. À l’OPPBTP, une équipe de quatre personnes s’est investie sur le chantier du Village des athlètes. « Avec plus de cinq cents jours de travail sur le terrain, l’OPPBTP s’est engagé de manière inédite sur ce chantier. La Solideo nous a permis d’intervenir lors de tous les rendez-vous. Nous avons pu accéder à des niveaux d’intervention que nous n’avions pas l’habitude d’assister. Ces différentes réunions nous ont permis de connaître l’ensemble des acteurs, de comprendre leurs compétences et d’évaluer leurs expériences en matière de prévention. Nous avons pu ainsi intervenir à tout moment en leur posant des questions ou en les sensibilisant à un problème éventuel. Face à une situation dangereuse, nous pouvions contacter les bonnes personnes. Cette organisation d’ensemble s’est révélée très efficace », relate Séverine Hanriot-Colin, ingénieure en prévention à l’OPPBTP.
Avec plus de cinq cents jours de travail sur le terrain, l’OPPBTP s’est engagé de manière inédite sur ce chantier.
La Solideo a placé la coordination SPS au cœur du dispositif de prévention des ouvrages olympiques en créant un Club SPS. Celui-ci devait anticiper les risques liés à la co-activité inter MOA, suivre en continu les interventions de co-activité à risque, réaliser le suivi d’indicateurs de terrain, et permettre de partager les difficultés et les réussites entre coordonnateurs. « En règle générale, le coordonnateur SPS est très peu mis en avant ou consulté sur les chantiers. Nous étions présents au quotidien à toutes les réunions de phasages, de concertation, y compris celles qui étaient improvisées. Notre travail se faisait en concertation avec l’OPPBTP, les maîtres d’ouvrage, l’Inspection du travail… Nous avions à chaque fois notre mot à dire, j’avais l’impression de faire partie des équipes de la Solideo, c’est une des forces de cette mission », note Ibrahim Konca, directeur de la performance chez Qualiconsult.
Un climat de confiance
Les quatre-vingt-douze visites croisées organisées avec une personne de la maîtrise d’ouvrage, l’entreprise concernée et l’OPPBTP ont été particulièrement saluées par tous les acteurs. Elles se faisaient dans une démarche bienveillante d’écoute et d’échanges pour mieux concevoir cette culture sécurité recherchée. « Ces visites ont créé un climat de confiance entre les interlocuteurs. Elles ont favorisé les rencontres avec les entreprises, qui spontanément ne seraient pas venues nous parler de leur problématique chantier. Face à une difficulté, nous réfléchissions ensemble pour faire émerger une solution viable. Les visites croisées permettaient de stimuler la prise d’initiative en laissant au terrain la capacité de développer des solutions », ajoute Séverine Hanriot-Colin. L’OPPBTP a également pris une part active dans l’animation des Club HSE. Réunis tous les deux mois, les différents préventeurs faisaient part des risques rencontrés, de leurs difficultés et anticipaient les travaux à venir : « Ils rencontraient les mêmes problématiques au même moment, ils pouvaient ainsi comparer la façon dont ils étaient organisés et construire ensemble des solutions. Je me souviens d’un problème d’interférence de grue qui a été réglé grâce aux préventeurs. Cette dynamique se poursuit aujourd’hui sur d’autres chantiers, les préventeurs ont créé un groupe, “le réseau des HSE”, sur WhatsApp et continuent de solliciter l’OPPBTP », complète-t-elle.
Cette vigilance accrue sur les risques partagés s’est également concrétisée par des animations qui s’adressaient à l’ensemble des compagnons, mais aussi aux sous-traitants, aux intérimaires, pour que chaque acteur sur les chantiers bénéficie du même niveau d’information et de formation. Que ce soit les Olympiades de la prévention, les Trophées de la prévention, ou encore les rites d’échauffement, toutes ces initiatives ont rythmé la vie des chantiers pour permettre une sensibilisation ludique et bienveillante aux enjeux de santé et sécurité. « 5 280 livrets d’accueil sécurité, en six langues, ont également été distribués. Cela a permis de toucher ces compagnons qui ne l’auraient pas été autrement. Cet outil s’est révélé efficace pour faire prendre conscience que la sécurité est un sujet pour soi-même », conclut Henri Specht.
Que retenez-vous de ce premier rendez-vous consacré au bilan de cette charte HSE pour le Cluster des médias et le Village des athlètes ?
Il ne faut pas nous priver de nous réjouir du succès de ces opérations hors normes. C’était un challenge fort, qui a été mené dans le respect de la performance opérationnelle : sécurité, délai, qualité, production. Cela n’est pas dû au hasard. Il y avait dès le départ la volonté de la Solideo, en tant que maître d’ouvrage et aménageur, de co-construire avec l'OPPBTP une démarche de prévention inédite. Le mot que je retiens, c’est la bienveillance. Chacun était dans son rôle, avec un état d’esprit commun. L’ensemble des acteurs impliqués l’étaient dans une approche collective avec une exigence partagée et l’ensemble des défis, dont celui de la santé-sécurité, ont été remarquablement relevés.
Qu’est ce qui a été déterminant parmi toutes les actions en matière de santé sécurité ?
Je retiens l’engagement du maître d’ouvrage, qui a manifesté ce besoin fort et exigeant d’accompagner les maîtres d’ouvrage pour les faire monter en compétences et en organisation sur les questions de santé sécurité. L’OPPBTP a travaillé étroitement avec la Solideo, en mettant d’abord en place des actions de sensibilisation/formation pour leurs équipes et celles de la maîtrise d’ouvrage, puis des animations et des routines tout au long du chantier afin de toucher l’ensemble des acteurs et des compagnons. Les visites croisées, où des spécialistes de l’OPPBTP se rendaient régulièrement sur le chantier pour aiguiser l’œil des représentants de la maîtrise d’ouvrage sur les aspects de sécurité, ont été particulièrement appréciées.
Comment jugez-vous la volonté de la Solideo de reproduire ces actions de prévention à l’ensemble du secteur BTP ?
Je trouve très important cette volonté exprimée par la Solideo et les moyens qui seront déployés pour faire ce retour d’expérience et en tirer les enseignements. Que ce soit en chantier public ou privé, cette démarche n’est pas si fréquente. Constater les points forts à développer, les points faibles à améliorer, c’est quelque chose d’inédit. À l’OPPBTP, nous serons bien entendu présents pour accompagner ce travail. Il y a beaucoup d’enseignements à tirer de cette expérience hors normes. Des savoir-faire et des bonnes pratiques devront être répliqués sur les chantiers. Certaines réflexions mériteront d’être portées au niveau des pouvoirs publics, car nous avons besoin de mieux structurer certaines approches réglementaires autour de ce type d’opération d’envergure.