EPI innovants, quels apports pour la prévention des risques professionnels ?
Faute d’un référentiel commun, la pertinence des nouveautés régulièrement proposées par les fabricants d’EPI est difficile à évaluer.
Date de mise à jour : 27 mai 2024 - Auteur : Paul Falzon
©DR
- Faute de norme définissant les EPI intelligents, il faut être vigilant face aux arguments de vente.
- L’EPI intelligent peut apporter un plus, mais son rôle essentiel reste la protection individuelle.
Dossier paru dans PréventionBTP n°284-Mai 2024-p. 6
Des gilets haute visibilité dotés de LED pour être vu la nuit ou de capteurs de détection d’engins, des appareils de protection respiratoire à ventilation assistée intelligente pour améliorer la respirabilité lors de tâches pénibles, des casques qui modulent la protection auditive en fonction du niveau de bruit environnant, des chaussures connectées avec des détecteurs de verticalité… Ces dernières années, les fabricants d’équipements de protection individuelle (EPI) ont lancé de nombreuses innovations, souvent avec la promesse d’améliorer la sécurité des salariés sur les chantiers. Le marché des EPI innovants, évalué à 4,49 milliards de dollars en 2023, devrait atteindre 15,5 milliards de dollars d'ici à 2031, selon le Verified Market Research. Définir une terminologie commune et harmoniser le vocabulaire restent l'un des freins qui complique aujourd’hui leur appréhension par les acteurs du BTP.
Définir une terminologie commune
Alors qu’il existe une réglementation européenne et de nombreuses normes pour encadrer les EPI, aucun référentiel n’a été créé quand les termes « connectés », « intelligents », « innovants » leur ont été accolés. Au risque d’alimenter la confusion voire, chez des fabricants peu scrupuleux, la pratique du « smart washing » sur des produits onéreux et proposant au final peu de valeur ajoutée. « Se baser sur la même terminologie permettrait au contraire de garantir à la fois l’efficacité de l’évaluation et la clarté du discours commercial », souligne Mohamed Trabelsi, responsable de l’équipe Organisations, méthodes et équipements de l’OPPBTP. Ce dernier prépare une actualisation de son guide EPI avec, notamment, un lexique. Les EPI connectés sont une première famille : l’intégration d’une connexion à un réseau leur permet de proposer de nouvelles fonctionnalités ou de faire remonter des données transmises par leurs capteurs. Les EPI communicants y ajoutent la possibilité d’échanger avec d’autres systèmes pour obtenir ou fournir de l’information, par exemple avec l’intégration dans l’EPI d’un micro et d’un écouteur. Les EPI intelligents se distinguent en créant une interaction avec leur porteur ou son environnement, au bénéfice de la prévention ou de la protection et de la performance. Ce qui implique d’intégrer, en plus des capteurs, un composant électronique en capacité d’adapter le fonctionnement de l’équipement. Quand la valeur ajoutée de ces produits est avérée, l’OPPBTP propose d’utiliser le terme de système de protection individuelle intelligent (SPII).
Un long travail au niveau européen
S’il permet d’apporter aux utilisateurs un premier éclairage sur les EPI innovants, ce travail de définition peine à se traduire dans un cadre normatif européen. Au niveau français, il existe près de cinq cents normes sur les EPI, applicables chacune à une certaine typologie de produits, et ayant pour seul cadre commun le règlement européen 2016/425 sur les EPI. « L’élaboration de normes harmonisées sur les EPI intelligents devra elle aussi se faire au niveau européen : nous avons d’ailleurs déjà alerté le Comité européen de normalisation sur le sujet il y a plus de cinq ans », explique Wahib Ouazzani, président du groupe de coordination national EPI de l’Afnor. Cette instance réunit des représentants des différentes commissions techniques en charge d’élaborer les normes pour chaque famille de produits, dans l’objectif de faire émerger des problématiques communes. Les EPI intelligents font partie des sujets identifiés, avec la compatibilité des EPI et, plus récemment, les enjeux de développement durable.
« Actuellement, nos travaux portent toujours sur la définition du périmètre et des fonctionnalités que doivent apporter les équipements intelligents, sachant que ces sujets sont souvent déjà traités dans les commissions techniques de l’Afnor, précise Wahib Ouazzani. Ce travail prend du temps, car l’enjeu est de porter une position commune de la France dans les travaux qui doivent s’engager au niveau européen. » Une première avancée a eu lieu fin 2023, avec le lancement au niveau communautaire d’une commission technique transverse, dont le périmètre de travail intègre les EPI intelligents. Baptisée « Horizontal topics for PPE », cette commission sera rattachée au Comité européen de normalisation (CEN). En France, une commission miroir rattachée à l’Afnor suivra ses travaux. Par ailleurs, les vingt-sept viennent d’adopter le premier règlement européen sur l’intelligence artificielle, qui devrait éviter les abus de langage des fabricants sur cette thématique précise.
Des initiatives pour éclairer les utilisateurs
En attendant la normalisation, les acteurs s’organisent pour créer des référentiels communs. En complément des définitions proposées par l’OPPBTP et ses partenaires et de l’actualisation de son guide EPI, l’OPPBTP travaille à mettre au point une méthodologie d’évaluation des produits intelligents à disposition de la branche. Une journée technique nationale est prévue en 2025 sur le sujet. De son côté, le Syndicat national des acteurs de la prévention (Synamap) vient de publier un guide sur les EPI connectés, qui rappelle le cadre réglementaire et normatif, les impératifs de maintenance et d’entretien de ces produits, et les obligations des utilisateurs concernant la sécurité des données (RGPD, cybersécurité). « En l’absence d’un cadre normatif précis, l’un des enjeux est de rappeler que le composant électronique ne doit pas venir altérer la protection apportée par l’EPI, détaille Laure Crapard, manager général du Synamap. Les caractéristiques de protection sont toujours les plus importantes ! »
L’élaboration d’une norme harmonisée sur les EPI intelligents devra se faire au niveau européen.
Wahib Ouazzani, président du groupe de coordination national EPI de l’Afnor