Lean et BIM : Élite Constructions, une TPE dans la cour des grands
En associant Lean Management et BIM (plans numériques), Élite Constructions gagne en compétence, en qualité et en sécurité.
Date de mise à jour : 11 avr. 2023 - Auteur : Loïc Féron
Un planning qui détaille les besoins du chantier.
Le BIM libère du temps sur le chantier.
Reportage paru dans PréventionBTP n°260-Mars 2022-p. 22-25
Photo : 260 Elite Constructions BIM
Crédit photo : Frédéric Vielcanet
« Les compagnons ne savaient pas où ils devaient se rendre, ni ce qu'ils avaient précisément à faire sur le chantier. » Parti de ce constat, il y a trois ans, Stéphane Clerc, le dirigeant d'Élite Constructions (huit salariés), a lancé une première action à tout petit budget. Punaisé dans la salle commune, à côté des affiches de prévention, un calendrier sur trois semaines donne une visibilité sur les chantiers suivis par les équipes. Des codes couleur sont attribués par binôme de compagnons, par activité et par fournisseur. Tous les matins, l'heure du café est aussi celle de l'accueil des intérimaires, du rappel du planning et d'un point sur la sécurité. « Ce support détaille les besoins de chaque chantier en matériaux et matériels, explique le chef d'entreprise. Cela permet d'appeler les fournisseurs une semaine à l'avance pour la location d'un chariot élévateur ou d'une nacelle. » L'entreprise loue 90 à 95 % des engins ou matériels spécifiques, ce qui lui garantit une bonne adéquation à l'usage. « Le but est aussi d'avoir le moins de stock possible. »
La rencontre avec l'OPPBTP
Située à Dijon, Élite Constructions intervient en maçonnerie et gros œuvre sur des chantiers industriels, tertiaires ou de particuliers, sur recommandations de maîtres d'œuvre ou d'architectes. Sans grue ni banches, la structure à taille humaine fait appel aux systèmes préfabriqués, poutres, prédalles, prémurs et autres gaines d'ascenseurs. Sa rencontre avec l'OPPBTP date d'une quinzaine d'années, à la faveur d'un investissement dans une roulotte de chantier. « L'obtention de la subvention et du prêt par la banque était conditionnée à la mise en place d'un plan de prévention, se souvient Florence Marceau, cofondatrice de la société avec son mari. Nous nous sommes alors aperçus que l'OPPBTP avait tout un panel de formations et de services pour nous accompagner. » Florence, qui en plus des finances s'occupe aussi de la fonction RH, s'attache à tenir informés les compagnons de leurs droits et à faire remonter depuis le terrain les informations sur les conditions de travail.
Un cahier de vie de chantier
L'instauration d'un cahier de vie de chantier est d'ailleurs la deuxième idée inspirée à l'entreprise par le Lean Management. « Le Gemba, qui signifie “le vrai lieu”, donc pour nous le chantier, consiste à suivre en permanence ses équipes dans une perspective d'amélioration, explique Stéphane Clerc en autodidacte averti. Pendant un an, nous avons consigné tout ce qui allait bien et tout ce qui allait mal. » De cette observation vont être tirés de précieux enseignements. Les dysfonctionnements relèvent à 80 % de problématiques de communication liées aux plans d'exécution. Seulement 20 % des malfaçons sont le fait d'erreurs individuelles. Le constat est de nouveau sans appel. « Nous avons chiffré de 40 000 à 50 000 euros les pertes annuelles dues aux erreurs de plans, relate le dirigeant, ce qui représente 10 à 15 % de notre chiffre d'affaires et rejoint les standards de gaspillage généralement identifiés par le Lean Management avant sa mise en œuvre. »
Du temps libéré pour d'autres solutions
Pour s'assurer la maîtrise des plans, la solution est passée par le recrutement d'un dessinateur projeteur numérique. Avec ses huit salariés, secondés de quelques intérimaires, apprentis et stagiaires, Élite Constructions est bel et bien entrée dans l'ère du BIM. « Ce qui est fabuleux au regard du Lean Management et du BIM, c'est que nos équipes les intègrent naturellement, témoigne Stéphane Clerc. Savoir que les éléments constructifs vont être livrés en bon ordre et au bon moment leur libère l'esprit et du temps pour trouver d'autres solutions. » Le dirigeant a su aussi se remettre en question. « J'avais tendance à donner une ligne de conduite et à figer les choses. Aujourd'hui, je suis plus en retrait et les solutions techniques viennent du terrain. Je suis stupéfait de ce que les équipes arrivent à produire. L'autonomie et la responsabilisation constatées, y compris chez les intérimaires, sont la preuve qu'ils s'intéressent à ce qu'ils font. » Et de conclure : « Avec les moyens dont il dispose aujourd'hui, le bâtiment devrait avoir une meilleure image. Il faut inverser la tendance et attirer les jeunes. Le management repose avant tout sur la valeur des personnes. »
Les plans numérisés, intégrant des codes couleur sont imprimés pour être communiqués au grutier et utilisés directement sur le chantier.
Selon les phases du chantier, le dessinateur projeteur numérique étudie les plans avec l'équipe de deux compagnons qui doit y intervenir.
Le briefing du matin est l'occasion de revoir le planning des chantiers en cours et à venir, et de programmer les livraisons.
Grâce aux plans numériques mis à sa disposition, le grutier connaît à l’avance le plan de pose, ce qui simplifie et sécurise le levage et le positionnement des éléments numérotés dans un ordre préétabli.
L'utilisation d'une ligatureuse électrique d'armatures facilite les travaux de ferraillage.
Utilisée sur smartphone, la messagerie de groupe permet de faire remonter des informations du terrain et d'échanger avec les compagnons.
Pour Élite Constructions, le recours au BIM et la réalisation de plans 3D comporte de nombreux avantages dans l'exécution des travaux de maçonnerie. Les plus-values résident dans la méthode et l'organisation globales du chantier, dans la mise en place des équipements de protection collective, mais aussi dans le calcul du calepinage des petits massifs de béton coulés sur place pour la stabilisation des prémurs. Grâce à l'optimisation des découpes et à la réduction des déchets, le coût de ceux-ci a été diminué de 30 % en une année.
Focus
Pour s'assurer une meilleure maîtrise des plans d'exécution, l'entreprise s'est lancée dans le BIM. Les résultats sont spectaculaires.
Depuis un an et demi, Robin occupe le poste de dessinateur projeteur numérique. Stéphane Clerc explique sa pratique du BIM et les bénéfices retirés pour l'entreprise.
Comment avez-vous effectué le recrutement à ce poste clé ?
Je recherchais un profil d'informaticien, qui maîtrise la partie logicielle. De mon côté, j'apporte l'expérience technique du métier du bâtiment. En plus de sa formation sur Revit, Robin a fait du terrain pendant un mois et demi pour comprendre l'environnement du chantier et la mise en place des éléments. L'utilisation du BIM est un challenge que nous relevons à deux.
Comment le numérique participe-t-il à la performance ?
Il ne s'agit pas seulement de produire de jolis plans pour le client, mais bien de répondre au besoin fondamental de planification et d'organisation du chantier. Le BIM fournit aux équipes des plans explicites comprenant toutes les données – couleur, numérotation, poids – associées par exemple à un plan de poutres préfabriquées. Le découpage des murs en usine s'effectue en fonction de ce qu'un camion peut contenir. L'avantage du BIM est de faire le chantier à blanc, de le décortiquer depuis les fondations jusqu'à la pose des voiles en y incluant les accès et les circulations. Nous parvenons même à dessiner le volume de terre extrait lors d'un décaissement, et donc à anticiper la solution pour traiter ces terres par aspiration et stockage.
Quels sont les changements induits par le BIM ?
Au bout d'un an, nous sommes montés en gamme de chantier. L'entreprise avait déjà une solide expérience technique, mais le BIM nous a permis de nous approprier le chantier, de trouver tout de suite la solution à une problématique donnée, comme la mise en œuvre d'une poutre de grande taille, de tours d'étaiement, d'une grue… Auparavant, quand je réalisais ce travail manuellement, j'avais peur de faire une erreur de jugement sur la mise en œuvre des éléments qui nuise à la sécurité des compagnons. L'utilisation de plans numériques nous fait monter en compétence et rend certains chantiers plus accessibles à une TPE comme la nôtre.
Le BIM nous a permis de nous approprier le chantier.
Stéphane Clerc et Florence Marceau, cofondateurs et dirigeants de l'entreprise
Après dix ans comme conducteur de travaux, Stéphane Clerc a créé Élite Constructions en 2006 avec son épouse, Florence. Fidèle des rencontres Cap Prévention organisées en région par l'OPPBTP, elle est aussi déléguée du groupe Femmes à la FFB Côte-d'Or.
Photo : 260 Elite Constructions Stéphane Clerc et Florence Marceau
Crédit photo : Frédéric Vielcanet
S'inspirant du Lean Management, le chef d'entreprise a d'abord mis en place un planning visuel de type Last Planner System (LPS) grâce auquel il peut définir puis anticiper « ce qui doit être fait » par ses équipes sur chaque chantier.
La planification visuelle hebdomadaire améliore la préparation des livraisons et réduit la manutention. Les éléments de construction sont conditionnés et livrés en fonction de la capacité de charge des camions. Chaque pièce est étiquetée pour faciliter son implantation sur le chantier sur la base des plans numériques.
Mis en œuvre pendant une année à titre d'observation, le cahier de vie du chantier a été remplacé par une messagerie de groupe accessible sur smartphone. L'outil permet de faire remonter des informations du terrain et d'échanger avec les compagnons. (