« La sécurité, c’est non négociable »
Jérôme Dezobry, président du directoire de la Société du Canal Seine-Nord Europe, explique l’engagement de ses équipes pour promouvoir la prévention sur ce chantier d’exception.
Date de mise à jour : 25 mars 2024 - Auteur : Virginie Leblanc
- La SCSNE, en partenariat avec l’OPPBTP, construit et partage une culture sécurité avec toutes les parties prenantes.
- La collecte de retours d’expérience innovants bénéficiera à toute la branche.
Interview parue dans PréventionBTP n°282-Mars 2024-p. 34
©SCSNE
La Société du Canal Seine-Nord Europe (SCSNE), maître d’ouvrage du chantier du canal, et l’OPPBTP ont signé une convention de partenariat en faveur de la prévention en décembre 2023. En tant que président du directoire de la SCSNE, Jérôme Dezobry détaille les objectifs de cette convention et les moyens mis en place au service de la sécurité de tous.
Jérôme Dezobry, ingénieur, diplômé de Sciences Po Paris et administrateur territorial, est président du directoire de la Société du Canal Seine-Nord Europe (SCSNE) depuis 2018.
1996. Diverses responsabilités au sein de Gaz de France/GDF Suez.
2007. Directeur du Stockage de gaz naturel, Storengy–Engie.
2010. Administrateur territorial, Institut national des études territoriales.
2011. Directeur général adjoint Aménagement durable puis directeur général du développement territorial, Conseil général du Nord.
2015. Responsable de la préfiguration de la SCSNE au sein de VNF.
Pouvez-vous nous présenter le chantier du Canal Seine-Nord Europe ?
Le Canal Seine-Nord Europe est un grand projet européen, il s’agit de réaliser un réseau fluvial grand gabarit entre la Belgique et la France, pour accueillir des péniches mesurant jusqu’à 185 mètres de long et 11,40 mètres de large, alors que l’actuel Canal du Nord dispose d’un gabarit plus faible et représente aujourd’hui un goulet d’étranglement. C’est un outil de décarbonation des transports de fret. Nous allons créer un canal de 107 km avec une soixantaine de ponts, sept écluses et des ouvrages remarquables, comme le pont-Canal de la Somme de 1 330 mètres de long. C’est un défi technologique. Beaucoup d’engins de travaux publics vont être utilisés, et jusqu’à 6 000 personnes mobilisées d’ici à 2030.
Pourquoi avoir souhaité formaliser des engagements en faveur d’une prévention de haut niveau sur ce chantier ?
On le voit, on va retrouver sur nos chantiers tous les risques liés à la circulation des engins, des risques de chutes de grande hauteur, la problématique de la coactivité… C’est la fonction de la maîtrise d’ouvrage publique de porter et d’animer une démarche de promotion de la sécurité et de faire progresser toute la profession. C’est encore plus vrai dans un grand projet avec des défis hors normes. Notre démarche sécurité a été engagée dès 2017. Nous avons connu malheureusement un accident mortel avec une épandeuse à chaux fin 2021, et l’enquête est encore en cours. Cela a été un choc pour toute l’équipe. Avec cette convention, nous saisissons l’occasion de faire un exemple d’engagement sans concessions sur la sécurité. Elle est forcément la première des priorités. C’est l’affaire de tous, à tous les instants. Et c’est non négociable. Le BTP conserve une sinistralité très importante : un salarié du BTP sur dix-huit est victime d’un accident du travail chaque année. Il faut absolument réduire ce chiffre. Je viens de l’industrie et je pense que l’on doit pouvoir se rapprocher davantage des standards de ce secteur. Seule la maîtrise d’ouvrage peut entraîner les CSPS, les maîtres d’œuvre, les entreprises…
C’est la fonction de la maîtrise d’ouvrage publique de porter et d’animer une démarche de promotion de la sécurité.
Comment expliquez-vous les difficultés du BTP à mieux maîtriser cette sinistralité ?
Ce n’est pas facile. Dans l’industrie, on dispose d’un environnement stable. Sur un chantier du BTP, les situations dangereuses changent tous les jours. La culture de prévention dans le BTP commence à s’ancrer. Ce que l’on veut faire en tant que maître d’ouvrage, c’est faire partager cette culture de prévention par tous.
Justement, comment formalisez-vous ce partage de la culture sécurité dans votre convention ?
Le conseil de surveillance de la SCSNE a délibéré d’une politique de prévention. Le partenariat avec l’OPPBTP est un outil de la mise en œuvre de cette politique. En interne, nous prévoyons un flash sécurité au début de chaque réunion importante, une minute dédiée à la sécurité, y compris au conseil de surveillance. On aborde tout sujet de prévention : le port du casque, la protection des pieds, les chutes de hauteur, le rôle du CSPS… La sécurité est aussi, bien entendu, au menu des réunions du CSE, des réunions du directoire et de celles avec les maîtres d’œuvre. Pour les équipes de la SCSNE, tous les premiers mardis du mois, nous organisons une demi-heure en visioconférence, obligatoire, où nous abordons en détail une problématique de sécurité. Le sujet est aussi au cœur de nos procédures de visite des chantiers. La maîtrise d’ouvrage se doit d’être exemplaire. À l’égard de nos partenaires externes, nous disposons d’un schéma directeur de la prévention. Dans les procédures de consultation des marchés publics et dans tous les contrats conclus avec les entreprises, nous indiquons nos souhaits en matière de prévention, notamment à travers des PGCSPS et des modes opératoires précisés. L’OPPBTP apporte son expertise en contribuant à la relecture du document de consultation des entreprises pour sa partie prévention. Cela nous permet d’effectuer un meilleur ciblage des entreprises au regard de leurs compétences et engagements en prévention. Par ailleurs, nous avons créé le passeport prévention du Canal Seine-Nord Europe.
En quoi consiste ce passeport prévention ?
C’est une action phare de notre partenariat. Il consiste en une sensibilisation proposée par l’OPPBTP et souhaitée par la SCSNE, auprès de l’ensemble des compagnons du chantier. Si la sécurité relève de la responsabilité de l’employeur, nous sommes là pour impulser la démarche. Ce passeport vise à leur faire adopter une posture de culture de prévention : « Ce que je fais est potentiellement dangereux donc je dois respecter les règles, me protéger. » On en appelle à la responsabilité des entreprises pour exiger ce passeport. Il doit être passé le premier mois de la présence sur le chantier, ou même avant. Au niveau de la région, dans la formation des demandeurs d’emploi, nous avons obtenu l’intégration du passeport. C’est un avantage pour les personnes formées afin de leur permettre d’intégrer les autres chantiers de la filière.
Le passeport prévention du Canal Seine-Nord Europe est une action phare de notre partenariat avec l'OPPBTP.
La formation et le développement des compétences sont au cœur de votre action pour promouvoir la sécurité…
En effet, s’agissant du passeport prévention, l’OPPBTP devrait animer des sessions pour 2 000 personnes durant la convention. De plus, avant même la conclusion du partenariat, nous avons formé la filière technique de la SCSNE – une cinquantaine de nos opérationnels – avec le programme Prév’Action de l’OPPBTP « maîtrise d’ouvrage/maîtrise d’œuvre – organiser la prévention sur les chantiers », adapté en formation intra : deux jours en salle et un jour sur site.
Dans le cadre de la convention, vous avez aussi prévu de vous engager dans la charte « Chantiers franchement sûrs » avec la FRTP des Hauts-de-France. Qu’est-ce que cela implique ?
Le ministère du Travail, la Cnam, l’INRS, l’OPPBTP et la FNTP ont signé une convention nationale de partenariat pour l’amélioration de la santé au travail dans les Travaux publics. La cible des maîtres d’ouvrage est prioritaire, et la charte « Chantiers franchement sûrs » en est une illustration. Les signataires s’engagent à prendre en compte la sécurité et les conditions de travail des intervenants dès la conception d’un ouvrage pour mieux maîtriser les temps et les coûts de réalisation des ouvrages, mieux prendre en compte les conditions de travail et favoriser la réduction des risques professionnels. Il était donc naturel pour nous, maître d’ouvrage du plus important chantier de la région, de nous associer avec la FRTP Hauts-de-France pour participer à son déploiement.
Le chantier du Canal Seine-Nord Europe va être un terrain d’expérimentations et de retours d’expérience pour la branche
du BTP. Comment cela se concrétise-t-il ?
Dès aujourd’hui, notre direction QHSE, pilotée par Jean-Charles Marzin, anime un club CSPS pour partager des retours d’expérience. En transversalité, nous diffusons des bonnes pratiques innovantes. Nous voulons tester et réutiliser des dispositifs qui marchent. Nous soutenons par exemple le projet « Stop collision » piloté par l’OPPBTP, sur le risque heurt engins-piétons, pour lequel notre chantier sera un terrain d’observation, de tests d’équipements et d’interrogations des opérateurs. D’autres pratiques jugées performantes pour la prévention seront aussi l’objet de livrables à partager avec toute la branche du BTP. C’est un point essentiel pour nous.
Société de projet et maître d’ouvrage du Canal Seine-Nord Europe, la Société du Canal Seine-Nord Europe (SCSNE) est un Établissement public local. Le président du Conseil de surveillance est Xavier Bertrand, président de la Région Hauts-de-France. Le Canal Seine-Nord Europe est un grand projet d’aménagement du territoire qui va relier Compiègne, dans l’Oise, à Aubencheul-au-Bac, dans le Nord, d’ici à 2030. Ce canal à grand gabarit de 107 kilomètres de long et de 54 mètres de large connectera le réseau français aux 20 000 km de voies européennes. Il permettra ainsi le développement du fluvial, solution écologique de transport de marchandises. Ce chantier représente un investissement de plus de 5 milliards d’euros, financé par l’Union européenne, la France et les collectivités territoriales qui pilotent la Société du Canal Seine-Nord Europe (SCSNE).
En savoir plus : www.canal-seine-nord-europe.fr.
Votre mot préféré ? L'équipe.
Le mot que vous détestez ? « ça ne va pas être possible. »
Le métier que vous auriez aimé exercer en dehors du vôtre ? Professeur d’université.
Votre bâtiment préféré ? Le musée du verre à Sars-Poteries, dans le Nord.
Le son, le bruit que vous aimez ? Les concertos pour piano de Mozart et Chopin.
Le son, le bruit que vous détestez ? Les ragots.
Le livre que vous emporteriez sur une île déserte ? Du Contrat social, de Jean-Jacques Rousseau.
Une personnalité pour illustrer un nouveau billet de banque ? Jacques Delors.