Dans la Roya, des ressources solidaires pour réparer la vallée
Un an et demi après le passage de la tempête Alex, la voirie de la vallée de la Roya a été presque entièrement reconstruite. La mobilisation des acteurs locaux est entière.
Date de mise à jour : 25 mai 2022
Auteur : Loïc Féron
©Frédéric Vielcanet
Aussi intense que brève, la tempête Alex a profondément meurtri la vallée de la Roya ainsi que deux autres vallées attenantes (la Vésubie et la Tinée). C’était en octobre 2020. Jusqu’à 200 brèches ont été recensées sur les 35 km de voirie départementale. Une dizaine de ponts ont été détruits, sans compter les habitations endommagées ou partiellement emportées par le flot. En ce printemps 2022, plus de 80 % des travaux de reconstruction ont cependant été réalisés grâce aux efforts conjugués du département des Alpes-Maritimes, des organisations professionnelles et des entreprises.
Les travaux de reconstruction concernent la voirie et les ouvrages maçonnés du 19e siècle emportés par le flot, mais aussi le confortement des murs, les canalisations, les réseaux…
Urgence, réactivité, solidarité pour désenclaver la vallée de la Roya
Les buses initialement installées pour les passages à gué (hors d’eau) ayant été emportées à leur tour, des ponts militaires tenus par des blocs de béton ont dû être mis en œuvre.
Pour Sandra Giordan, directrice d’exploitation au conseil départemental, l’évaluation des dommages a commencé dès le lendemain de l’événement par une randonnée sac à dos à travers la vallée de la Roya. « Nous sommes partis en binômes, depuis Breil vers l’amont pour faire de la reconnaissance, prendre des photos, évaluer l’état des routes et numéroter les zones sinistrées », se souvient-elle. Une cellule de crise s’est rapidement constituée. L’armée a apporté ses ressources en eau potable, en bucheronnage et en ponts provisoires tandis que les entreprises intervenaient sur le remblaiement des routes. « En charge de la mission de reconstruction, le conseil départemental a constitué le groupement d’entreprises avec une volonté de faire travailler des locaux, des compagnons impliqués ayant pour certains une bonne connaissance du terrain. Urgence, réactivité, solidarité, tout un maillage a été mis en place ».(1)
La mutualisation des moyens pour répondre aux difficultés d'accès
Rapides à mettre en œuvre, des écailles préfabriquées en béton interviennent dans le soutènement des nouvelles voies. Elles ont été fixées à la paroi rocheuse à l’aide de tirants prenant appui dans la falaise.
À partir de cette phase critique, les opérations se sont déroulées en plusieurs étapes. « Il a fallu créer une piste, rétablir une voie de circulation, avant d’entamer la reconstruction définitive et d’envisager de nouveaux projets, explique Guillaume Chauvin, responsable de la mission Reconstruction de la Roya. Dans ce contexte de difficultés d’accès, il faut insister sur l’importance de la mutualisation des moyens et, par conséquent, sur celle de l’encadrement. » Rencontré sur la base logistique, Boris Toulouse, directeur travaux chez Razel Bec, pilote l’ensemble des opérations pour le groupement : « Beaucoup de découvertes ont été faites en cours de chantier. Nous avons dû sécuriser certaines zones avant de commencer à travailler. » En mission à partir de décembre 2020 sur l’ensemble des travaux d’urgence, Olivier Destrée, CSPS de la société Degaine Ingeniering, a été amené à rédiger des PGC par type d’ouvrage, en fonction des risques particuliers. « Des explorations géologiques ont été menées au départ pour dévoyer les routes, explique-t-il. Pour ma part, je fais des visites hebdomadaires sur le terrain, je rencontre les chefs de chantier et, dans la majorité des cas, tout se passe bien. Après diverses observations, des mesures de prévention correctives sont mises en place immédiatement par les équipes. »
L'importance du rôle des QSE face au manque de moyens de communication
Depuis une rampe d’accès, la pose de blocs de béton (de 2 tonnes) sur des fondations de 2 à 3 mètres de profondeur nécessite le dévoiement de la rivière (technique de souilles).
Des ferrailleurs, des coffreurs, des engins, des pelles, tombereaux et camions… à l’exemple du chantier des brèches 2 et 3 de la RD91, c’est un ensemble de métiers et de matériels qui a été mobilisé(2). Vice-président de la Fédération du Bâtiment et des Travaux Publics des Alpes-Maritimes (FBTP 06) et président des TP au sein de cette fédération, Pierre Mario confirme : « Un marché d’urgence spécifique pour la vallée de la Roya a été créé par le Conseil départemental. » Dans les premiers jours, la FBTP a été force de propositions et d’actions pour coordonner et relayer les informations auprès de ses adhérents, aider à identifier les matériels disponibles et les acheminer sur place, « Dans un premier temps, faute de moyens de communication et de coordination, le rôle des responsables QSE des entreprises a été déterminant pour procéder individuellement à l’analyse des risques et prendre en charge les problématiques de qualité, de santé et de sécurité », explique Pierre Mario, lui-même dirigeant de l’entreprise Valtinée.
Le recours à l’insertion professionnelle et l'accueil renforcé à la sécurité
Vers Saint-Delmas, à des endroits plus large de la vallée, les entreprises utilisent des prémurs de 5 à 6 mètres de haut.
Confronté à de forts besoins en personnel, le groupement d’entreprises a eu recours à T’Plus, une entreprise de travail temporaire d’insertion (ETTI). « Les personnes concernées travaillaient localement dans la restauration ou le tourisme, explique Olivia Franceschi, responsable chez T'Plus du secteur Est des Alpes-Maritimes. Faute d’expérience dans les TP, il a fallu les sensibiliser, avec un accueil renforcé à la sécurité et à l’environnement de chantier. » Affectés dans un premier temps à la manutention, ces intérimaires ont pu ensuite suivre des formations, par exemple des CACES® pour la conduite d’engins. Certains ont été embauchés en CDI. « Sur les soixante-dix personnes recrutées la première année, une trentaine est restée, précise Olivia Franceschi, qui a particulièrement apprécié le tutorat mis en place par les entreprises et l’égalité de traitement entre les salariés et les intérimaires, auxquels un pack de vêtements chauds a été attribué pour l’hiver.
Un élan de solidarité à tous les niveaux
Maire de Breil-la-Roya, Sébastien Olharan résume à lui seul les différents états par lesquels sont passés ses administrés et la réaction de tout un département à cette catastrophe naturelle. « Après la sidération est venue l’évidence de rétablir les accès et les voies de circulation. Les entreprises locales sont intervenues spontanément pour dégager les pistes endommagées avant que les procédures règlementaires et les travaux techniques reprennent la main. Le département a investi 280 millions pour les routes, avec une priorité donnée au désenclavement, y compris dans notre commune où des ponts ont été endommagés. Il faut saluer l’élan de solidarité à tous les niveaux. Il y a surtout un parti-pris de mieux faire, de renforcer l’ancrage des ponts et le soutènement des routes. Cette reconstruction est une façon de nous projeter vers l’avenir. »
(1) Les sept entreprises du groupement sont : Tama (mandataire), Razel-Bec, Garelli, La Nouvelle Sirolaise de Construction, Masala, NTP et TP Spada.
(2) Pour en savoir plus, lire l’article « Comment désenclaver une vallée en sécurité » paru dans le magazine Prévention BTP d’avril 2022 - n°261.