Les dermatologues documentent les cas de surexpositions aux UV
À l’instigation des professionnels de la santé au travail du grand Est, les dermatologues s’attellent à nourrir un observatoire national des cancers cutanés et à établir un lien avec les secteurs d’activité. Objectif : que ces cancers soient reconnus comme maladie professionnelle.
Date de mise à jour : 20 nov. 2024
Auteur : Hubert Heulot
©Lipsum
« Pour mettre en place des règles de prévention applicables à tous, éviter les disparités selon les secteurs et les entreprises, la reconnaissance comme maladie professionnelle est maintenant essentielle », estime Luc Sulimovic, président du Syndicat national des dermatologues-vénéréologues (SNDV).
Depuis juin dernier, il anime l’Observatoire des cancers cutanés favorisés par l’exposition professionnelle aux UV solaires (OCC-EXPRO).. Une plate-forme sur laquelle les dermatologues – ils sont 3 400 en France – sont invités à remplir un questionnaire caractérisant chaque nouveau cas de cancer de la peau, et à renseigner en parallèle l’éventuel lien avec l’activité professionnelle.
Réflexion sur le vêtement de protection
Le secteur du BTP figure parmi les principaux concernés par la surexposition aux UV. Comme les agriculteurs, les cueilleurs, les éboueurs, les jardiniers, tous les animateurs d’activités en extérieur, les coursiers à vélo, les guides de montagne…
L’association Santé Solaire estime qu’en France au moins 1,5 million de personnes sont concernées par le risque de développer un cancer cutané du fait de leur activité professionnelle. En Europe, dans un chiffrage datant déjà de 2009, l’Agence européenne de sécurité et de santé au travail (European Agency for Safety and Health at Work) comptabilisait 14,5 millions de travailleurs exerçant leur métier à l’extérieur pendant plus de 75 % de leur temps de travail. Facteur aggravant, les UV sont discrets. Si les rayons infrarouges brûlent, on ne sent pas les UV. On ne s’en méfie pas.
Le nombre de nouveaux cas explose dans les cabinets médicaux. À l’avenir, le réchauffement climatique fera que l’on aura tendance à se dévêtir davantage. « La meilleure protection contre les UV est pourtant le vêtement, sombre pour les repousser et ample pour que l’air circule et rafraîchisse. Il y a sûrement une réflexion à avoir sur les tenues de travail au soleil », suggère Luc Sulimovic.
Exposition aux UV : inscrire le risque dans le DUERP
La création de l’observatoire répond à un souci de mobilisation des acteurs de la prévention de l’Est de la France. Jean-Michel Wendling, médecin inspecteur du travail de Strasbourg, alerte sur le sujet depuis plusieurs années. C’est devenu l'un des axes du Plan Régional de Santé au travail 2021-2025. Une quarantaine de médecins, de préventeurs, d’acteurs de la santé au travail, réunis en groupe de travail, l’animent, en tenant webinaires, réunions, colloques de sensibilisation des salariés et des entreprises. Notamment, dans le but qu’elles inscrivent ce risque dans leur document unique d'évaluation des risques professionnels (DUERP).
Première recommandation du Haut conseil de la santé publique
Avec l’observatoire, ces acteurs visent une nouvelle étape pour rendre visibles ces cancers, parce qu’ils sont grandement sous-estimés. Le Réseau national de vigilance et de prévention des pathologies professionnelles (RNV3P) ne relève qu’environ 80 nouveaux cas par an, dans le cadre de l’observation des maladies à caractère professionnel (MCP). En comparaison, l’Allemagne recense 4 000 cas en 2023, rien que dans le BTP. Mais l’Allemagne, comme la Suisse, reconnaissent la maladie professionnelle.
« Il faudrait explorer les données de l’assurance maladie pour retracer le parcours professionnel des personnes atteintes, interroger l’échantillon démographique permanent (EDP) de l’Insee sur ces parcours professionnels », suggère Nadia Honoré, de l’observatoire régional de la santé du Grand Est.
Le Haut conseil de la santé publique a déjà recommandé l’inscription au tableau des maladies professionnelles. L’objectif est que ce soit effectif en 2026.
« Il y a urgence parce que c’est ce qui empêche aujourd’hui la prévention systématique dans toutes les entreprises, grandes comme petites. Que les moyens de protection, vêtements, chapeaux, lunettes, gants, écrans solaires, prennent place dans leur quotidien, même si cela coûte un peu d’argent », ajoute Luc Sulimovic.
Les dermatologues libéraux sont 10 % à avoir débuté les signalements. Le SNDV relance régulièrement. La collecte dure jusqu’à la fin 2025.
Pour Pierre Cesarini, directeur délégué de l’association Sécurité Solaire, mettant à la disposition du public nombre d’outils de communication et de sensibilisations (vidéos, affiches…), « il faudra aussi modifier les habitudes de travail pour éviter les expositions au soleil, ce qui coûtera aussi un peu d’argent. »