Chantier Notre-Dame de Paris

    ©Frédéric Vielcanet

    [Reportage publié dans le numéro 245 - novembre 2020 du magazine Prévention BTP]

    Une situation d’urgence aux risques multiples

    Avant de rebâtir, il faut continuer de sécuriser, retirer les vestiges calcinés, évacuer les gravois, démonter les tubes d’échafaudage enchevêtrés, délester l’édifice de toutes les scories de l’incendie (amas de bois et éléments métalliques). Cette énorme tâche est rendue plus complexe encore par l’instabilité de l’ouvrage (risques d’effondrement ou de chute de matériaux) et la présence de plomb due à la combustion de la couverture et de la flèche. Deux décisions fortes ont été prises par la maîtrise d’ouvrage : conserver les entreprises déjà en place – avec des cordistes en renfort – dans le cadre des travaux de restauration de la flèche et instaurer un dispositif exceptionnel de gestion du plomb. Sécurisation et consolidation doivent donc se faire en environnement pollué (pollution surfacique).

    Nomination d’un assistant maîtrise d’ouvrage « plomb »

    Afin de coordonner la gestion collective du risque de pollution, un assistant maîtrise d’ouvrage (AMOA) « plomb » a été désigné. Au-delà de la sensibilisation des entreprises par des modules de formation, c’est un protocole complet qui a été élaboré en concertation avec l’inspection du travail et la Cramif.

    Une convention portant sur l’accompagnement du chantier et de ses différents acteurs a été formalisée par l’APST BTP RP et l’OPPBTP avec la maîtrise d’ouvrage. Prises de mesures (métrologie), protection collective – via la création de deux zones séparées par des unités de décontamination – et port des EPI sont la base du dispositif de prévention. L’installation de modules de base avancée, avec point d’eau pour le lavage des mains, et la possibilité de rester en vêtement de travail plutôt qu’en combinaisons jetables participent à la sécurité et au confort des intervenants.

    La procédure, très stricte, de conditionnement et d’évacuation des déchets et vestiges réduit a minima les émissions de plomb vers l’extérieur du chantier. Comme il en a été décidé, le traitement du plomb fera partie de la phase de restauration de la cathédrale. Autant parler d’un autre chantier à venir, avec en ligne de mire 2024, pour la réouverture du lieu au public.

    Fiche d’identité du chantier
    • Maîtrise d’ouvrage : Établissement public chargé de la conservation et de la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris (EPRNDP).
    • Assistance à maîtrise d’ouvrage plomb : ING2E.
    • Maîtrise d’œuvre : Architectes en chef des Monuments historiques, Patriarche (MOE exécution), Antea (MOE plomb).
    • Entreprises : Pierre Noël (taille de pierre), Le Bras Frères (charpente), Europe Échafaudage (échafaudage), Jarnias (travaux sur cordes), ADNE France (nettoyage plomb, sas man, conditionnement et transport des vestiges).
    • CSPS : Apave.
    • Préventeurs : BTP Consultants.
    • OPC : Setec Planitec.
    • Durée de la phase de sécurisation et de consolidation : environ deux ans.
    • Coût : 165 millions d’euros.
    • Effectif en pointe : 180 à 200 compagnons, techniciens et chercheurs.
    • lngénieur de prévention OPPBTP : Aurélie Foreau (agence Ile-de-France).

    L'homme-clé : Général d'armée Jean-Louis Georgelin, président de l’établissement public chargé de la conservation et de la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris

    Général d’armée Jean-Louis Georgelin, président de l’établissement public chargé de la conservation et de la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris Général d’armée Jean-Louis Georgelin, président de l’établissement public chargé de la conservation et de la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris ©Patrick-Zachmann - MagnumPhotos

    « Dans le cadre de ce chantier patrimonial hors normes, nous avons pris des mesures particulières en termes de prévention. En premier lieu, il est important de souligner la présence physique de l’OPPBTP sur le site pour accompagner l’établissement public.

    Par ailleurs, nous nous sommes adjoints les compétences de préventeurs pour garantir la sécurité des compagnons, qui est notre priorité, et d’un conseil « plomb » afin de trouver le bon équilibre.

    Ces mesures permettent de répondre aux attentes des différents intervenants et parties prenantes de ce chantier : riverains, ville de Paris, préfecture, instances et corps de contrôles (inspection du travail)… »

    Un protocole complet de gestion du plomb

    Organisation du chantier, règles d’hygiène renforcées et suivi médical, évaluation des risques (mesures surfaciques et air), protections collectives et individuelles adaptées, unités de décontamination : un dispositif global a été mis en place pour intervenir sur l’édifice en présence de plomb.

    Organisation

    Avant la prise de poste, un briefing animé par Sébastien Baudry, assistant maîtrise d’ouvrage plomb, et les préventeurs de BTP Consultants, réunit les encadrants des entreprises (Le Bras, Europe Échafaudage, Jarnias, Pierre Noël, ADNE…) présentes sur le site chaque matin. Cet échange permet notamment d’identifier les postes de travaux émissifs et d’échanger sur les zones de coactivité plomb pour le choix des EPI respiratoires adaptés (avec ou sans masque, avec ou sans ventilation assistée). La désignation des opérateurs, dont l’activité va être mesurée dans l’air respiré, se fait également à ce moment.

    Briefing qui réunit les encadrants des entreprises présentes sur le site chaque matin. Briefing qui réunit les encadrants des entreprises présentes sur le site chaque matin.

    Dès notre arrivée sur le chantier, en mai 2019, la priorité a été donnée à la sensibilisation aux entreprises ainsi qu’à la définition d’un protocole de gestion du risque plomb. Le dispositif se traduit par la matérialisation d’une zone « sale », celle du chantier, et d’une zone « propre » dédiée à la base vie. La communication entre ces zones hermétiques s’effectue par des unités de décontamination comprenant deux vestiaires, un pour les vêtements pollués et un pour les propres. Les douches font office de sas. Les protections collectives et les procédures plomb globalisées, aident les entreprises à se concentrer sur la sécurisation. La bonne maîtrise du risque plomb sur le chantier est confortée par une métrologie et une évaluation en continu des sources émissives permettant d’assurer la protection des travailleurs, du public et de l’environnement.

    Sébastien Baudry, Assistant maîtrise d'ouvrage plomb

    Métrologie

    Des mesures d’air ambiant sont effectuées en continu par L3A. Environ 150 mesures par « tests lingettes » par semaine donnent lieu à une cartographie plomb transmise à l’ensemble des intervenants. Cette surveillance de la pollution surfacique permet d’analyser l’évolution des taux en fonction des actions du chantier, de contrôler le respect des seuils en zone propre et d’agir en cas de hausse des taux.

    Des mesures d’air ambiant sont effectuées en continu par L3A. Des mesures d’air ambiant sont effectuées en continu par L3A.

    Grâce à une douzaine de mesures d’air sur opérateur au poste de travail, les entreprises peuvent évaluer l’exposition des travailleurs aux particules de plomb et affiner les mesures de prévention en fonction du lieu d’intervention et des tâches réalisées. Dans l’esprit des groupes d’exposition similaire (GES), le récolement de la totalité des mesures d’air sur opérateurs constitue une base de données partagée, qui protège les travailleurs en amont dans un chantier en constante adaptation.

    L’APST-BTP a été très tôt impliquée dans la gestion du risque plomb. La démarche est basée sur la compréhension globale du chantier et des risques professionnels. Nous avons diffusé aux entreprises une note explicative sur les mesures à adopter avant de venir sur le site. Un protocole de suivi médical des plombémies a aussi été mis en place et proposé à l’ensemble des médecins du travail pour l’adapter à la situation individuelle des salariés et coller à la réalité du terrain.

    Florine Dumont, médecin du travail de l'APST-BTP-RP

    Santé-hygiène

    Dans les bases avancées, disposées à l’intérieur du chantier, les compagnons (ici des cordistes) viennent régulièrement se laver les mains, se désaltérer, utiliser des sanitaires ou décontaminer leurs appareils de protection respiratoire. Le lavage des mains étant un élément clé dans la gestion du risque plomb, une animation a été organisée sur ce thème dès le mois de février, avec le concours d’Allison Mehdi, infirmière à l’APST BTP RP.

    Des cordistes viennent se laver les mains, se désaltérer dans les bases avancées. Des cordistes viennent se laver les mains, se désaltérer dans les bases avancées.

    « Cette opération de sensibilisation au bon lavage des mains a été suivie par une soixantaine de participants de dix-sept entreprises différentes, explique Mireille Loizeau, médecin du travail et toxicologue, qui intervient sur les questions d’hygiène et la mise en place des protocoles de décontamination. Tout le monde a joué le jeu, ce qui a permis de prendre une longueur d’avance sur les mesures de protection contre le Covid-19. »

    Choix des EPI

    Le port des équipements de protections individuelles s’effectue en concertation avec les entreprises au moment du briefing matinal. Il dépend de la métrologie des zones concernées, des situations de travail et de la coactivité. Les masques FFP3 antipoussières sont proscrits. La ventilation assistée est utilisée lors de tâches émissives, par exemple lors de l’aspiration du sol de la cathédrale pour le débarrasser des poussières de plomb. Le protocole de décontamination impose une douche obligatoire en sortie pour toute personne ayant circulé sur le chantier.

    Aspiration du sol de la cathédrale Aspiration du sol de la cathédrale

    Évacuation des vestiges

    L’ensemble des pièces de mobilier, débris et vestiges (pierre, bois, métal) extraits de la cathédrale sont stockés, identifiés et conditionnés sous quatre barnums installés sur le parvis avant d’être acheminés vers deux centres de stockage extérieurs. Identique pour toutes les entreprises, le protocole de décontamination prévoit que le chauffeur-livreur ne descende pas du véhicule. Des rotoluves sont installés à chacun des portails de sortie placés sous la surveillance d’une personne dédiée.

    Entretien des vêtements de travail

    Les vêtements de travail sont déposés dans des paniers à la sortie des unités de décontamination. Les vêtements de travail sont déposés dans des paniers à la sortie des unités de décontamination.

    Avec ING2E, le maître d’ouvrage organise et finance le nettoyage des vêtements de travail des salariés présents sur le site. Déposés dans des paniers à la sortie des unités de décontamination, les sacs de vêtements étiquetés sont collectés deux fois par semaine par la société Georges, qui les remet à disposition la semaine suivante. « Sur ce chantier comportant un risque d’exposition au plomb, l’utilisation de vêtements de travail entretenus améliore les conditions de travail des intervenants », commente Mathieu Faure-Gignoux, conducteur de travaux chez ADNE France, en charge de la gestion des unités de décontamination.

    D’après une première évaluation effectuée par l’OPPBTP, le dispositif ne génère pas de surcoût par rapport à l’utilisation de vêtements jetables. Il réduit les émissions de déchets pollués et garantit l’indépendance du chantier vis-à-vis des fournisseurs d’EPI en période de Covid-19.

    Protection contre les risques, confort thermique et physiologique, praticité, meilleure image…, en termes de prévention, le port des vêtements de travail textiles est vecteur de nombreux gains.

    Aurélie Foreau, ingénieur de prévention à l’OPPBTP

    La gestion des levages de charges et de personnes

    Une première mondiale : des nacelles équipées de capteurs

    Tous les engins sont équipés d’un système anticollision et sont dotés, a minima, d’un automate de sécurité, d’un modem radio avec fréquence dédiée et d’un ensemble de capteurs de mesures. Pour les nacelles, la pose de capteurs, permettant de repérer les engins (en 3D) dans l’espace, constitue une première mondiale. Engin de sécurité prioritaire sur le chantier, la nacelle doit être libre de tout mouvement pour évacuer si besoin les personnes en urgence. A contrario, le moufle de la grue à tour est maintenu à distance des nacelles, qu’il ne peut en aucun cas survoler.

    Les engins sont équipés d'un système anticollision - contrôle des grues - briefing quotidien levage-adéquation Les engins sont équipés d'un système anticollision - contrôle des grues - briefing quotidien levage-adéquation

    La grue à tour, engin pivot du chantier

    Capable de déplacer jusqu’à 8 tonnes en bout de flèche, la grue à tour (GT1) de 26 tonnes est équipée de capteurs en fréquence radio qui permettent de gérer les interférences avec les autres moyens de levage, grues mobiles et nacelles. Une caméra AGS placée sur le moufle renvoie en temps réel les images des levages sur l’écran de supervision. Les grues mobiles, elles-mêmes dotées de GPS RTK, disposent, tout comme la grue à tour, d’un écran de contrôle grutier. Les grutiers ont suivi une formation spécifique avec le monteur de la grue sur site. Chaque équipe au sol compte un chef de manœuvre, identifiable par un baudrier vert, formé à l’élingage et aux gestes de commandement des grues.

    Le + prévention

    Une grue à tour (80 mètres de haut), trois grues mobiles et trois nacelles sur porteur (70 et 90 mètres de haut) : ainsi se présente le dispositif de levage de charges et de personnes sur le chantier de sécurisation de Notre-Dame. Les déplacements permanents des sept engins nécessitent une gestion pointue pour fluidifier les opérations de levage, empêcher le survol des zones interdites et éviter les collisions.

    Développé par la société AGS, représentée par Fabrice Reynaud, suivant l’analyse de risque établie par le chantier, le système anticollision intègre les grues mobiles et les nacelles. Davy Bemba Matondo, de la société Epitech, gère toutes les activités de levage et vérifie chaque matin l’adéquation des grues (suivant l’arrêté du 1er mars 2004 relatif aux vérifications des appareils et accessoires de levage). Joignable à tout moment pour coordonner levages et interférences, il dispose d’un écran géant tactile intuitif pour afficher les grues et nacelles en mouvement sur fond de plan de chantier. Des talkies-walkies sont mis à disposition des élingueurs et deux fréquences radio dédiées aux communications sur le chantier.

    Briefing quotidien avant la prise de poste

    Au moment de la prise de poste, Davy Bemba Matondo (société Epitech) anime un briefing quotidien levage-adéquation en présence des grutiers et conducteurs de nacelles.
    Objectifs : faire le point sur les activités de chacune des grues et des nacelles et les immobilisations pour vérifications-entretien, sur les levages sensibles ou prioritaires, les positions en lien avec les études de sol et les possibilités de manœuvre selon la proximité des zones de travail et les conditions météo (abonnement météo PréviExpert).

    Ce briefing fait l’objet d’un rapport quotidien diffusé à l’ensemble des acteurs du chantier. Dans le bureau, le superviseur de chantier AGS retransmet sur l’écran ViewSonic IFP8650-2 la vision en temps réel des positions des différents engins.

    3 questions à… Aurélie Foreau, Ingénieur de prévention OPPBTP en charge du suivi spécifique du chantier de Notre-Dame de Paris

    Sa réactivité et son approche positive de la prévention permettent à l’OPPBTP d’être un acteur de la prévention reconnu sur le chantier de Notre-Dame.

    À quel moment l’accompagnement de l’OPPBTP sur ce chantier s’est-il mis en place ?

    À la suite de l’incendie de la cathédrale, l’OPPBTP a proposé à la Direccte et à la Cramif de mettre en commun ressources et expertises. La première demande était d’aider les entreprises dans la gestion du risque plomb. Rapidement étendu à tous les acteurs du chantier, maîtrise d’ouvrage, OPC et MOE, notre accompagnement s’est porté sur l’ensemble des problématiques prévention du chantier. Nous sommes sollicités sur des points de réglementation, des solutions techniques, d’organisation et d’animation de la prévention. Selon les sujets, les ressources internes de l’agence Ile-de-France ou de la direction technique sont sollicitées. Les volontaires ne manquent pas !

    Comment avez-vous travaillé avec les autres préventeurs, avec l’AMO plomb et la médecine du travail ?

    L’OPPBTP travaille de longue date avec la médecine du travail APST-BTP-RP. Nos compétences sont complémentaires et notre collaboration naturelle. Le positionnement vis-à-vis de l’AMO plomb et des autres préventeurs a été plus délicat. L’investissement de l’OPPBTP dans un tel projet est nouveau. Il fallait veiller à ne pas marcher sur les plates-bandes des acteurs déjà en place. Nous avons favorisé la complémentarité, en partageant nos ressources et en soutenant leurs actions dans un fonctionnement gagnant/gagnant.

    Quels sont les principaux apports de l’OPPBTP dans le dispositif de prévention mis en place sur ce chantier ?

    Comme nous le disons en interne, nous sommes les « couteaux suisses » de la prévention. L’OPPBTP a su réagir rapidement aux problématiques rencontrées sur ce chantier imprévu et peu commun tout en anticipant sur les travaux à venir. Très rapidement, nous avons préconisé 70 actions autour des risques majeurs, travaux en hauteur et chute d’éléments, de la logistique et du risque plomb. Par exemple, la sécurisation des accès et circulations dans la cathédrale, une préconisation sur les modes opératoires des cordistes, la mise en place d’un système de gestion des interférences des équipements de levage, etc. Autant de dispositifs qui ont ensuite dû être adaptés à la Covid-19.

    La chronologie de l’accompagnement OPPBTP
    • Début mai 2019 : première visite de chantier avec l’APST-BTP-RP et les entreprises.
    • Juin : première réunion de coordination avec les organismes institutionnels (Direccte Ile-de-France, Cramif)
    • Juillet 2019 : visites de chantier et établissement avec l’APST-BTP-RP de 70 préconisations présentées à la maîtrise d’ouvrage, aux Architectes en chef des Monuments historiques (ACMH) et au coordonnateur SPS.
    • Octobre 2019 : début d’un suivi spécifique du chantier par un ingénieur de prévention pour répondre aux demandes des entreprises et des ACMH.

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