Une ligne haute tension déposée par héliportage
Comment déposer sans dommages une ligne haute tension au-dessus d’un parc photovoltaïque ? Cette opération exceptionnelle d’héliportage, réalisée sous maîtrise d'ouvrage d'Enedis, a été orchestrée en octobre 2023 par l’entreprise E.P.E.G.
Date de mise à jour : 1 déc. 2023
Auteur : Loïc Féron
©Christophe Clarysse
L’hélicoptère est posé du côté de Saint-Nicolas-de-la-Grave (Tarn-et-Garonne), au milieu d’un champ de maïs fraîchement récolté. La parcelle d’à côté est occupée par un parc photovoltaïque que traverse une ligne à haute tension (HTA), hors tension depuis un an. L’opération d’hélitreuillage va consister à déposer les trois conducteurs de la ligne sur une longueur de 465 mètres, sans toucher les panneaux solaires. « En quinze ans de carrière, c’est la première fois que j’assiste à une telle opération, témoigne Olivier Brugel, chargé de projet chez Enedis. En temps normal, les trois conducteurs qui prennent appui sur les poteaux électriques auraient été simplement déposés au sol. » Trop tard. Le parc photovoltaïque flambant neuf occupe le terrain et son propriétaire interdit tout contact entre les câbles et les panneaux. D’où la présence de l’hélicoptère qui va devoir lever successivement chacun des trois brins et les déposer dans le champ attenant.
Un mode opératoire maintes fois répété
Maître d’ouvrage de ces travaux héliportés hors normes, Enedis s’est adressé au propriétaire du champ et aux riverains pour mettre à disposition l’espace situé sous la zone d’évolution de l’hélicoptère et le baliser pour en interdire l’accès. Le jour J est arrivé. L’entreprise E.P.E.G Réseaux est mobilisée au grand complet. Spécialisée dans les travaux en grosse section, la PME installée à Cahors (Lot) a été retenue pour son expertise sur ce type de commandes spécifiques, faisant appel à l’héliportage. Juste avant le lancement de l’opération, Cédric Raynal, le dirigeant, fait un dernier briefing. La dépose des conducteurs a été minutieusement préparée en amont avec la société Jet System Hélicoptères Services, et répétée la veille sur le terrain. « Je suis venu quatre ou cinq fois sur le site au préalable pour bien intégrer toutes les données, élaborer un mode opératoire et le chiffrer », explique le chef d’entreprise. Les rôles ont été ensuite distribués, chaque intervenant ayant une tâche bien définie à exécuter. Le mode opératoire est connu de tous, sur le bout des doigts. En plus du pilote de l’hélicoptère, l’opération mobilise deux opérateurs dans chacune des nacelles positionnées au niveau des poteaux (pour le décrochage des conducteurs), ainsi qu’un homme au sol. Son rôle est tout aussi essentiel.
Le transfert progressif de la tension du câble
« Au moment du décrochage, le câble tire 1 500 kg en tension, explique Cédric Raynal. Si on lâche d’un coup ou si un ancrage cède, l’hélicoptère va prendre une forte secousse et le crash est inévitable. Les poteaux béton risquent de rompre sous la torsion, avec un risque majeur pour les compagnons situés dans la nacelle. » Pour l’éviter, tous les points d’ancrage ont été doublés à l’aide de filins pouvant retenir dix fois la traction maximale que l’hélicoptère peut engendrer. De plus, la gueuse suspendue par une élingue à l’hélicoptère – et à laquelle le conducteur va être fixé – est également équipée d’une corde tenue au sol par un opérateur. « Ce dispositif dit de moulage consiste à donner du mou au câble pour le lâcher progressivement, sans qu’il ne touche les panneaux en dessous, et à accompagner le levage sur les premiers mètres », commente le chef d’entreprise. « La préparation avec Cédric est essentielle, notamment ce transfert progressif de la tension du câble à la machine, confirme Antoine Fontaine, le pilote de l’hélicoptère. Le tirage de câble n’est pas le plus dangereux des travaux héliportés mais c’est le plus pointu. Déposer des câbles, on sait faire, mais cette intervention est très particulière, car nous devons constamment garder la tension des câbles et l’hélicoptère vole avec une inclinaison. »
Formation : connaître les risques en vol et au sol
« Depuis avril 2017, toute personne qui travaille en présence d’un hélico doit être formée à l’héliportage, y compris le client avec lequel nous travaillons », explique Michel Mozziconacci formateur OTS (opérateur en travaux et services) pour Jet System Hélicoptères Services. Dispensée le matin même, sur site, aux collaborateurs d’E.P.E.G, cette formation porte sur plusieurs points : la préparation de la DZ (Drop Zone), l’élingage de charges, des informations sur les coefficients de sécurité (selon les angles d’inclinaison de l’hélicoptère), la connaissance des risques en vol, au sol, le port des EPI adaptés… « Ce module illustré par des photos et vidéos fait partie intégrante de notre manuel d’exploitation, c’est un référentiel que nous suivons à la lettre », précise le formateur.
Sécuriser la phase de décrochage
Les personnes dans la nacelle ne disposant pas de zone de repli, la première opération consiste à sécuriser le câble avec un filin au cas où l’axe lâche. La communication par talkie-walkie avec les hommes au sol est très importante pour faire remonter tout type d’information au pilote de l’hélicoptère. Pour sécuriser la phase sensible de déconnexion du conducteur central, Cédric Raynal a inclus un autre dispositif technique dans le mode opératoire. « Fixé en tête du poteau électrique, un système de liaison composé d’une gaine en TPC permet de maintenir le conducteur lorsqu’il est sorti de son ancrage afin qu’il ne se coince pas entre le poteau béton et l’armement en métal. »
Des débriefings entre chaque dépose
Découpées en trois temps (décrochage, levage et dépose des conducteurs au sol), les trois rotations successives de l’hélicoptère (une par conducteur) sont entrecoupées de débriefing au sol. Ces intermèdes sont l’occasion pour Cédric Raynal et Michel Mozziconacci, qui assistent le vol depuis le sol, d’apporter des améliorations au mode opératoire, en tenant compte des conditions changeantes. Après deux heures d’intense activité, les trois brins ont été décrochés et déposés dans le champ. Mission accomplie. L’équipe est félicitée par les collaborateurs restés à distance pour suivre cette opération qui restera dans les annales de l’entreprise. Cédric Raynal aura le dernier mot : « Ce genre de chantier est très intéressant, car chaque situation est différente et demande un mode opératoire spécifique avec une préparation ne laissant aucune place à l’improvisation. »
EPI spécifiques
En complément des EPI habituels, les salariés de l’entreprise engagés dans cette opération portent des sur-lunettes et des masques antipoussières.