En résumé
    • Une charte sociale et une charte HSE pour promouvoir la santé, la sécurité et les conditions de travail des compagnons.
    • Une coordination SPS interchantier au cœur du dispositif.


    Interview parue dans PréventionBTP n°284-Mai 2024-p. 38

    284 - Nicolas Ferrand, directeur général exécutif de  la Société de livraison des ouvrages olympiques

    ©Stéphane Vasco

    Pilote de la Solideo, Société de livraison des ouvrages olympiques, Nicolas Ferrand présente l’organisation mise en place pour coordonner les multiples maîtres d’ouvrage, entreprises et compagnons mobilisés sur des chantiers d’exception. Avec en ligne de mire la priorité accordée à la sécurité.

    Parcours

    Diplômé de l’École Polytechnique, de l’École des Ponts ParisTech et du MIT, Nicolas Ferrand est directeur général exécutif de la Solideo depuis 2018.

    2004-2007: conseiller technique en charge de l’urbanisme, de l’aménagement et des transports urbains au cabinet du ministre de l’Équipement et des transports.

    2007 à 2011: directeur général de l’Établissement public d’aménagement de Saint-Étienne.

    2012 à 2014: directeur général de l’urbanisme de Rennes Métropole.

    2014-2017: directeur des entités publiques chargées du développement de la ville nouvelle de Marne-la-Vallée.


    La Solideo a en charge la supervision des chantiers des ouvrages olympiques. Quelle est la spécificité de l’organisation adoptée pour piloter cette opération exceptionnelle ?
    La Solideo, créée en 2017, supervise en effet un projet hors norme de 70 ouvrages pérennes réalisés pour les Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024, pour un coût d’environ 4,5 milliards d’euros. Ce sont 32 maîtres d’ouvrage qui sont présents – et non un seul comme pour les JOP de Londres –, dont des collectivités locales et la ville de Paris, des maîtres d’ouvrage publics, semi-publics, privés et des promoteurs. Le défi était de s’organiser pour faire arriver tous ces acteurs ensemble sur la ligne d’arrivée ! Le tout, en ne se substituant pas aux responsabilités de chacun. De plus, nous avions la volonté de construire des ouvrages vitrines du savoir-faire français, et qui démontrent que l’on peut construire un peu différemment. Nous avons agi sur trois grands axes : l’environnement, avec l’ambition de réduire les émissions de carbone de 50 %, l’accessibilité universelle, et la dimension sociale.

    Avec jusqu’à 37 grues, 25 opérations en parallèle, 3500 personnes travaillant sur les chantiers du Village des Athlètes en période de pointe, la coactivité était forcément un enjeu majeur…
    Les chantiers du Village des Athlètes étaient les plus compliqués en termes de coactivité, les plus visités et les plus risqués. Ils recouvraient 45 hectares effectifs, en plein centre-ville de Saint-Ouen, Saint-Denis et l’Ile Saint-Denis, avec autour un collège, une école d’ingénieurs, un lycée et des habitations. Très tôt, nous avons mandaté un CSPS interchantier pour prévenir tous les risques liés aux interférences. Il a été très clair dès le début qu’on ne pouvait pas se permettre le moindre incident, a fortiori avec un collège à proximité. Nous avons alors multiplié les hommes trafic afin d’assurer une gestion sécurisée de la circulation, nous avons mis en place un système de circulation en marche avant des camions, pour limiter les risques, et nous avons déporté une base logistique et contrôlé son accès. De plus, 10 % des compagnons étaient des personnels en insertion en voie de retour vers l’emploi, donc ils ne disposaient pas des réflexes sécurité. Il a fallu les former. Nous avons aussi innové avec une large utilisation du bois et du béton très bas carbone. Nous n’étions donc pas sur des chantiers classiques, et nous avions une forte pression temporelle, quatre ans, pour livrer les clés du village olympique au plus tard le 1er mars 2024. Tous ces facteurs ont encore augmenté les risques d’accidentologie dans des métiers du BTP, déjà plus exposés que d’autres.

    Nicolas Ferrand, directeur général exécutif de  la Société de livraison des ouvrages olympiques Nicolas Ferrand, directeur général exécutif de la Société de livraison des ouvrages olympiques.

    Sur le volet social, comment avez-vous procédé pour intégrer les enjeux de santé et sécurité ?
    Avec la charte sociale des JOP de Paris, signée en 2018 par les organisations syndicales et patronales, l’objectif était de garantir l’exemplarité de nos chantiers sur les sujets de conditions de travail, d’hygiène et sécurité, de prévention des risques et de lutte contre le travail illégal. Il s’agissait également de permettre l’accès aux marchés à toutes les entreprises, y compris les TPE-PME locales. Il faut se souvenir qu’en 2016-2017, nous étions dans un contexte particulier de la préparation de la Coupe du monde de football au Qatar, qui faisait figure de repoussoir. En interne, un responsable social et territorial ainsi qu’une référente HSE et une chargée de mission HSE ont porté ces sujets au quotidien. L’objectif était d’impliquer sur cet enjeu de sécurité tous les salariés de la Solideo, en contact avec des entreprises, tant les directions opérationnelles que les directions transverses. La coordination SPS interchantier a également eu un rôle clé : elle a permis de constituer un réseau de CSPS de tous les maîtres d’ouvrage avec la possibilité de partager des indicateurs terrain concernant l’état des protections collectives ou le port des EPI, les accidents, les signaux faibles… Des retours d’expériences ont été partagés pour savoir réagir en cas de presqu’accident et pour réinterroger les organisations à la suite d’un accident. Des visuels étaient également affichés sur les chantiers en ce sens.

    Avec l’OPPBTP, nous avons voulu actionner tous les leviers à notre portée pour faire de la santé et de la sécurité des compagnons une priorité.

    Nicolas Ferrand

    Vous avez aussi pris appui auprès de partenaires extérieurs…
    Paul Duphil, secrétaire général de l’OPPBTP, nous a sensibilisés sur ce qui s’était passé aux JOP de Londres, qui n’avaient connu aucun accident mortel. L’occasion pour nous de porter l’ambition de placer la France en position d’excellence. Avec l’OPPBTP, nous avons voulu actionner tous les leviers à notre portée pour faire de la santé et de la sécurité des compagnons une priorité. Pendant toute la durée des chantiers, nous avons aussi bénéficié d’une présence forte de l'Inspection du travail. Nous avions des réunions trimestrielles avec la Drieets* Ile-de-France. Nous avons également été accompagnés par la Cramif, et l’OPPBTP nous a particulièrement soutenus dans l’élaboration d’une charte HSE.

    Quel était l’objectif de la charte HSE ?
    La charte HSE est au cœur de notre dispositif en faveur de la santé, de la sécurité et des conditions de travail des compagnons. Les maîtres d’ouvrage et les principales entreprises engagées sur les plus grands chantiers, à savoir le Village des Athlètes et le cluster des médias, ont signé cette charte d’engagements en 2021. À cette période, tous les maîtres d’ouvrage avaient déjà contractualisé leurs marchés et disposaient de leurs propres plans d’action en matière de santé sécurité, il s’agissait donc de forger une culture de sécurité commune et spécifique aux ouvrages des JOP. À travers ce document, les maîtres d’ouvrage s’engageaient notamment à partager et valoriser les bonnes pratiques individuelles et collectives, à assurer un accueil individualisé de sensibilisation pour tous les salariés de ces chantiers, à évaluer la maîtrise d’un socle commun de compétences par tous les compagnons…

    Portrait chinois

    Votre mot préféré? Énergie.
    Le mot que vous détestez? « T’inquiète », quand mes ados prononcent ce mot.
    Le métier que vous auriez aimé exercer en dehors du vôtre? Médecin urgentiste.
    Le métier que vous n'auriez pas aimé faire? Sous-marinier, car je suis claustrophobe.
    Votre bâtiment préféré? Le centre aquatique olympique et sa charpente en bois.
    Le son, le bruit que vous aimez? Oscar Peterson au piano.
    Le son, le bruit que vous détestez? Le klaxon des voitures quand je suis à vélo.
    Le livre que vous emporteriez sur une île déserte? La Mort de Staline, de Fabien Nury.
    Une personnalité pour illustrer un nouveau billet de banque? Emmanuelle Charpentier, généticienne, prix Nobel de chimie 2020. Avec la technique de Crispr-Cas9, elle révolutionne l’ingénierie génétique, avec Jennifer Doudna.

    Quel bilan tirez-vous de ces actions mises en place au regard des résultats en termes d’accident?
    Pour l’heure, nous avons atteint notre objectif de n’avoir aucun accident mortel sur nos chantiers et zéro incident avec les collégiens. Au total, à fin mars 2024, nous avons connu 181 accidents du travail, dont 29 accidents graves, dont un seul avec des conséquences irréversibles. Un accident est toujours un accident de trop mais nous avons réussi à obtenir des résultats bien inférieurs à ceux de la moyenne du BTP. Si l’on compare à l’accidentologie moyenne sur les chantiers en France, les chantiers olympiques ont connu quatre fois moins d’accidents.
    À titre personnel, j’étais très présent et particulièrement vigilant au respect des règles de sécurité. Il est arrivé que je fasse exclure des compagnons qui ne portaient pas leurs EPI. Et cette intransigeance, appliquée aussi aux visiteurs extérieurs, permet aux équipes de se sentir fortes, car nous les soutenons pour limiter les risques. Rappelons-le, il n’y a pas de fatalité aux accidents et la sécurité est non négociable.

    Si l’on compare à l’accidentologie moyenne sur les chantiers en France, les chantiers olympiques ont connu quatre fois moins d’accidents.

    Nicolas Ferrand

    En complément, quelles ont été les initiatives pour fédérer les intervenants autour des sujets de sécurité ?
    Nous avons organisé des Trophées sécurité destinés aux entreprises intervenantes, y compris sous-traitantes, des Olympiades… Nous avons proposé des séances d’éveil musculaire à la prise de poste, des échauffements animés par des sportifs. C’était aussi l’opportunité d’avoir des moments de partage autour du sujet de la prévention des risques, qui est l’affaire de tous. Nous avons aussi valorisé l’implication des compagnons avec l’affichage de leurs portraits. Pour les acteurs de la sécurité, nous avons organisé des clubs CSPS, animés par nous avec l’appui de l’OPPBTP.

    Pour l’avenir, envisagez-vous de faire un retour d’expérience pour de prochains projets de cette ampleur ?
    Nous écrivons un document pour partager notre retour d’expérience et l’OPPBTP s’appuiera sur lui pour faire des recommandations. Je constate également que différents acteurs ont noué des liens personnels et qu’ils continuent à échanger entre eux. Cette dynamique créée va essaimer sur d’autres grands chantiers et ce sera un des beaux héritages de ces JOP 2024.

    La Solideo

    La Solideo est l’établissement public en charge de financer et de construire les 70 ouvrages olympiques nécessaires aux JOP et à vocation pérenne. Parmi ces ouvrages, la Solideo est maître d'ouvrage de la ZAC du Village olympique et paralympique et de la ZAC du cluster des médias et de différentes infrastructures et équipements publics. Elle accompagne également les autres maîtres d’ouvrage afin de garantir la livraison des projets dans le respect du programme, des coûts et des délais. Les ouvrages sont de natures variées : aménagements, espaces publics, construction ou rénovation d’infrastructures, équipements sportifs, équipements publics. 
    Durant l’été 2024, le Village des Athlètes accueillera14 500 athlètes et 9 000 para-athlètes et accompagnants puis deviendra dès 2025 un nouveau quartier avec 6 000 habitants et 6 000 salariés.


    *Direction régionale interdépartementale de l’économie, du travail, de l’emploi et des solidarités.

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