Salariés itinérants : temps de trajet domicile-client et temps de travail
Le temps de déplacement des salariés itinérants entre le domicile et le premier ou le dernier rendez-vous professionnel peut être reconnu comme du temps de travail effectif si le salarié reste à la disposition de son employeur. Il appartient au juge d’apprécier si ces temps de déplacement constituent du temps de trajet ou du temps de travail effectif.
Date du texte : 25 oct. 2023
Que s'est-il passé ?
Arrêt de la Cour de cassation, Chambre sociale, 25 octobre 2023, n°20-22.800
Le temps de déplacement des salariés itinérants entre leur domicile et leur premier ou leur dernier rendez-vous professionnel est en principe considéré comme du temps de trajet (article L3121-4 du Code du travail).
Il peut cependant être reconnu comme du temps de travail effectif si, durant ces temps de déplacement, le salarié reste à la disposition de son employeur et ne vaque pas librement à ses occupations au sens de l’article L3121-1 du Code du travail.
Un salarié engagé en tant qu’inspecteur régional réalise des missions de contrôle chez des clients impliquant une activité essentiellement itinérante.
Parmi les différends qui l’opposent à son employeur, le salarié réclame notamment la reconnaissance du temps de déplacement qu’il effectue entre son domicile et les sites des premiers et derniers clients comme du temps de travail effectif.
Pour soutenir sa demande, le salarié mentionnait notamment que son domicile devait être considéré comme un lieu de travail car il y effectuait, avant de partir ou en rentrant, des tâches pour lesquelles l’employeur lui allouait une indemnité mensuelle. Par conséquent, les trajets entre son domicile et les sites des premiers et derniers clients devaient être considérés comme des trajets entre deux lieux d’exécution du travail, et devaient donc être assimilés à du temps de travail effectif et rémunérés comme tel. Par ailleurs, le salarié considère qu’il ne pouvait pas vaquer librement à ses occupations personnelles durant ces trajets du fait de la présence d’un dispositif de géolocalisation sur son véhicule de service, de la mise en place de plannings mensuels et hebdomadaires indiquant les contrôles à effectuer et les dates des contrôles, l’approbation impérative de l’employeur pour la réalisation d’heures supplémentaires ou pour tout décalage ou annulation d’un contrôle, et enfin l’existence de soirées étapes imposées par l’employeur au-delà d’une certaine distance.
La cour d’appel ne retient pas les arguments du salarié et ne fait pas droit à sa demande. Elle considère que les temps de déplacement entre son domicile et le premier ou le dernier rendez-vous professionnel constituaient du temps de trajet et non du temps de travail effectif.
La Cour de cassation confirme la position de la cour d’appel et rejette le pourvoi formé par le salarié.
Pourquoi cette décision ?
Sur la qualification du domicile comme lieu d’exécution du travail :
Selon la Cour de cassation, la cour d’appel a souverainement retenu que le salarié ne démontrait pas l'importance effective des tâches accomplies à domicile qu’il évaluait à deux heures trente en moyenne par semaine. Par conséquent, l'accomplissement de ces tâches ne confère pas au domicile la qualité de lieu de travail, quand bien même son usage ponctuel justifiait le versement d’une indemnité mensuelle par l’employeur.
Sur la qualification du temps de déplacement comme temps de trajet :
Les juges ont retenu que le contrôle de l’employeur quant au respect des plannings, à l'optimisation des temps de trajets et au respect de la note de service relative aux soirées étapes ne suffisait pas à établir que le salarié se tenait à la disposition de l'employeur durant ses premiers et derniers trajets de la journée.
Ils constatent par ailleurs les éléments suivants :
- Le salarié prenait l’initiative de son circuit quotidien ;
- L'existence de soirées étapes imposées par l'employeur au-delà d'une certaine distance n'avait nullement pour objet ni pour conséquence de maintenir le salarié à disposition de l'employeur mais d'éviter de trop longs trajets ;
- La mise en place par l’employeur d’un dispositif d'indemnisation des trajets anormaux ouvrant droit à indemnisation au-delà de quarante-cinq minutes ;
- La présence d’un interrupteur « vie privée » sur le véhicule de service du salarié lui permettait de désactiver la géolocalisation.
Pour l’ensemble de ces raisons, la cour d’appel retient qu’en tant que travailleur itinérant, le salarié restait libre de vaquer à des occupations personnelles avant son premier rendez-vous professionnel et après le dernier.
Par conséquent, la Cour de cassation considère que « la cour d'appel a déduit à bon droit que les temps de trajet entre le domicile du salarié et les sites des premier et dernier clients ne constituaient pas du temps de travail effectif ».
Commentaire
Avec cet arrêt, la Cour de cassation confirme l’alignement de sa jurisprudence à celle de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) concernant les trajets domicile travail des salariés itinérants (voir à ce sujet notre analyse de l’arrêt Cass., Soc., 23 nov. 2022, n°20-21-924).
Les articles L3121-1 et L3121-4 du Code du travail doivent être interprétés à la lumière de la directive 2003-1988/CE : les juges du fond doivent vérifier si le temps de trajet du salarié itinérant entre son domicile et les sites des premiers et derniers clients répond ou non aux critères du temps de travail effectif.