Innovation : une « grue augmentée » dotée d'un poste de pilotage déporté
Comment intégrer les nouvelles technologies pour rendre le métier de grutier plus sûr ? Éléments de réponse avec l’expérimentation en cours de Bouygues Construction Matériel d’un poste de pilotage déporté.
Date de mise à jour : 2 févr. 2022
Auteur : Jeremy Debreu
©Bouygues Matériel
Il y a un an, le réseau Mase et l’Union française du levage (UFL) adressaient aux constructeurs de grues mobiles leurs doléances pour réduire l’accidentologie anormalement élevée dans les entreprises de levage. Le sujet de l’amélioration des conditions de travail des grutiers était également abordé concernant les grues à tour. La Cnam a fait évoluer la R459 de 2011 en la remplaçant par la R495, qui propose un ensemble de recommandations, notamment la présence d’un ascenseur pour les grues d’une hauteur supérieure à 30 mètres.
En attendant d’améliorer la conception des futurs modèles de grues, notamment avec la réforme de la norme EN 3000 relatives aux engins de levage, des innovations émergent. À Chilly-Mazarin (Essonne), la base technique et logistique de matériel de Bouygues Construction est équipée d’une grue bien particulière : elle se pilote depuis un site déporté. « L’objectif premier était de travailler sur les conditions de travail de ce métier bien particulier », affirme Delphine Basquin, cheffe de projet grue augmentée chez Bouygues Construction Matériel. « Aujourd’hui, nous sommes en phase d’expérimentation, les retours sont positifs et les perspectives d’utilisation se dessinent ».
Un poste de pilotage de la grue déporté au sol
Intitulé « grue augmentée », ce programme de recherche et développement est développé par Bouygues Construction en partenariat avec Bouygues Construction Matériel, le pôle R&D de Bouygues Construction, la start-up Lextan et la chaire 4.0 de Centrale Lille. Il est testé actuellement sur sa base logistique mais également sur un chantier dans le Nord de la France. S’il ne s’agit, pour le moment, que d’une grue dédiée à des tâches répétitives, l’expérience pourrait être étendue rapidement à une grue de production en cas de succès.
Et l'un des indicateurs clés, c’est l’acceptation du programme par les grutiers eux-mêmes. Delphine Basquin constate semaine après semaine des réactions globalement positives, même si, en fonction de l’âge, elles sont plus nuancées. « Les jeunes grutiers sont très enthousiastes avec le côté un peu "gamifié“. Les anciens grutiers sont satisfaits qu’on s’intéresse enfin à leurs conditions de travail. Entre les deux, l’attrait est parfois moins évident, car ce poste déporté demande de changer les habitudes, les repères et parfois aussi les sensations de conduite », admet la cheffe de projet. Plusieurs workshops ont permis de poursuivre l’amélioration des sensations, avec une adaptation du siège de conduite ou la reconstitution de l’environnement sonore de la cabine.
« Finalement, l’ensemble des innovations contribue à améliorer l’ergonomie de ce poste de travail. » Évidemment, la facilitation d’accès au poste de travail constitue un avantage majeur, supprimant ainsi le risque d’accident et de troubles musculo-squelettiques dus à l’accès en cabine par les échelles. Au-delà de cet avantage pratique, il s’agit aussi de sortir le grutier de l’isolement avec la possibilité d’accéder aux commodités (pause-café, sanitaires, pause repas) et faciliter les échanges avec les équipes.
Un condensé d’innovations technologiques
La cabine de pilotage de cette « grue augmentée » se compose d’un siège avec un télépod (un tableau de bord constitué de trois écrans), « au plus proche de l'environnement habituel du grutier pour éviter un effet simulateur », précise Delphine Basquin. Les écrans superposés restituent exactement ce que l'on verrait depuis la cabine de grue, entre le haut de la flèche et le sol. Une couche de réalité augmentée permet de faciliter la prise de décision, comme un point au sol qui simule le point de chute de la charge transportée ou encore la mise en évidence des collaborateurs au sol. « Nous avons alors ajouté un quatrième écran avec des caméras supplémentaires et des informations nécessaires à la conduite ou à la prise de décision, comme la donnée météorologique ou le rapport de charge ». Ce système est actuellement en test. Intitulé MAGI, il pourrait être rapidement déployé, grâce à une simple tablette donnée à tous les grutiers en cabine du Groupe Bouygues Construction.
Un autre débouché : la formation initiale et continue
Si l’essence de ce projet est d’améliorer les conditions de travail, l’aspect humain et l'acceptabilité des utilisateurs demeurent indispensables pour déployer cette solution. De nouvelles perspectives d’utilisation apparaissent comme la conduite à longue distance grâce à la 5G. Ces dernières semaines, une grue sur le site de formation d’un constructeur de grue (Manitowoc Potain) a ainsi été conduite depuis le poste de Chilly-Mazarin, ce qui constitue une solution de recours en cas de problème grave sur site pour faciliter la logistique chantier.
Autre débouché, selon Delphine Vancoppenolle, ingénieure prévention à l’OPPBTP : la formation. « Cette mise en situation concrète peut être un plus pour la formation initiale ou continue, et ainsi contribuer à diversifier les profils pour ce métier exigeant, y compris en incluant plus de femmes ou des personnes en reconversion. Les écoles et les instituts de formation s’avèrent intéressés pour intégrer cette machine au programme des futurs grutiers. » Et si l’innovation contribuait à rendre la profession de grutier plus accessible ?