Des actions testées sur le terrain pour la sécurité des intérimaires
Martial Barbarou détaille différentes voies de progrès pour que la sécurité des salariés intérimaires soit mieux prise en compte sur les chantiers.
Date de mise à jour : 11 mars 2024 - Auteur : Virginie Leblanc
Il est possible d’améliorer le déroulement de la mission d’intérim pour limiter les accidents.
Des solutions, de l’amont à l’aval de la mission, sont testées sur le terrain.
Interview parue dans Prévention n° 267-Novembre 2022-p. 38
©DR
Le BTP en est conscient : ses salariés intérimaires restent deux fois plus exposés aux risques d’accidents graves et mortels que les autres salariés. Quelles solutions trouver ? Martial Barbarou, directeur prévention des activités bâtiment et génie civil de Vinci Construction France, fait partie des acteurs qui participent, avec l’OPPBTP, à une étude-action sur ce sujet. Il livre quelques pistes d’action possibles, testées en grandeur nature sur ses chantiers.
Vous participez, avec Adecco, l’Anact, l’Aract Grand-Est et l’OPPBTP, à une étude-action sur le développement de l’efficience de l’acte d’intérim. Quel est son objectif et pourquoi vous êtes-vous impliqué sur le sujet ?
La proposition de l’OPPBTP de participer à cette étude a coïncidé avec le moment où nous menions notre propre analyse de l’accidentologie des salariés intérimaires chez Vinci Construction. Nous cherchions à comprendre pourquoi elle était deux fois plus importante que celle de nos permanents. Plusieurs éléments nous ont plu dans cette démarche. Elle a l’ambition, au-delà des comportements des individus, d’analyser la complexité de la relation tripartite entre l’entreprise de travail temporaire (ETT), l’entreprise utilisatrice et l’intérimaire. Avec Adecco, nous contribuons à son financement et nous mettons à disposition des terrains d’observation pour le diagnostic. De plus, des actions concrètes sont testées sur nos chantiers. Enfin, l’objectif est de partager les résultats à la branche du BTP afin d’éviter les accidents.
Quelles ont été les premières étapes de cette étude-action sur l’intérim, et où en êtes-vous aujourd’hui ?
Nous avons commencé les travaux en mars 2020, en plein Covid ! Mais les premières étapes consistaient en l’analyse de documents et données statistiques. En octobre 2020, nous avons pu lancer les entretiens et les observations. Aujourd’hui, nous avons fini la phase de diagnostic et nous mettons en test des solutions. Reste encore un groupe de travail sur l’intégration et l’accueil sur chantier, et les travaux doivent se conclure en 2023. La méthode utilisée est excellente. Chaque travailleur apprécie d'être écouté et que l’on passe du temps à observer son travail. Tous ont compris que l’objectif était d’améliorer leur travail quotidien et d’éviter les accidents. La relation tripartie entre entreprise utilisatrice, entreprise de travail temporaire et intérimaire est complexe, et tout est lié. C’est le cumul de nombreuses petites actions qui permettra de maîtriser les risques et de diminuer les accidents graves. De l’amont à l’aval de la mission.
Quels sont les enseignements du diagnostic ?
Le diagnostic a permis d’identifier les freins au bon déroulement de la mission d’intérim. Dès la phase amont, qui est cruciale, trois enjeux font que la recherche de mission ne se fait pas toujours en bonne adéquation avec le profil demandé par l’entreprise. Deux types de demandes existent. La première, quand nous avons besoin de compétences spécifiques, est souvent anticipable. Mais la plupart des recrutements sont réalisés en urgence pour des absences non prévues. Deuxième obstacle, la relation commerciale fait que lorsqu’elle reçoit la demande, l’ETT veut y répondre pour son intérêt économique. Enfin, la précarité de l’emploi du salarié intérimaire fait qu’il a besoin de travailler et qu’il fera tout pour remplir les conditions, y compris, par exemple, cacher certaines douleurs ou prendre des risques. In fine, sur le terrain, on se retrouve à gérer des difficultés d’inadéquation du profil et les équipes de chantier s’adaptent… Mais ce n’est pas une situation idéale, ni pour la qualité du travail, ni pour la sécurité.
Comment sécuriser davantage la mission d’intérim en amont ?
Nous avons profité du renouvellement de l’accord-cadre de Vinci Construction sur l’intérim pour lancer des actions sur ce sujet. C’est le cas par exemple de la formation des recruteurs des ETT au monde du BTP. Mais surtout, nous organisons la création d’un partenariat avec un pôle restreint d’ETT, afin d’être plus efficaces pour monter avec elles les actions décidées. Nous avons sélectionné ces ETT en fonction de leurs résultats sécurité, ce qui valorise leurs efforts sur le sujet, en leur donnant en contrepartie la garantie d’un chiffre d’affaires. C’est un partenariat gagnant-gagnant.
Vous êtes également en train de mettre en place un référentiel simplifié de compétences…
En effet, ce référentiel partagé avec l’agence d’intérim permettra au chef de chantier qui l’appelle de lui préciser, au-delà d’une qualification professionnelle, des compétences précises. On peut ainsi identifier si l’intérimaire doit être autonome ou pas sur certaines tâches, s’il doit disposer d’un CACES®, par exemple. Cela clarifie le besoin du chef de chantier, alors que tout le monde ne mettait pas les mêmes compétences derrière une qualification. Autre intérêt, ce référentiel pourrait être utilisé comme un outil d’évaluation à la fin de la mission pour réaliser un bilan avec l’ETT et affiner les prochains besoins.
C’est le cumul de nombreuses petites actions qui permettra de maîtriser les risques et de diminuer les accidents graves chez les intérimaires.
Quelles sont les pistes retenues par l’étude-action s’agissant de la phase d’accueil et d’intégration des intérimaires ?
Chez Vinci Construction, nous n'avons jamais fait la différence avec nos collaborateurs permanents. Mais nous nous sommes rendu compte que si l’intégration a lieu en cours d’activité, les modes opératoires qui avaient été présentés à l'équipe qu'il intègre avant son arrivée ne sont pas toujours présentés aux intérimaires. Nous avons décidé de mettre en place un process pour leur faire un feedback en complément de l’accueil. Un grand tableau de pilotage dans la base vie de chantier permet de visualiser tous les modes opératoires et tous les collaborateurs, et d’identifier quel mode opératoire a été montré à tel collaborateur. C’est simple à mettre en œuvre, visuel et cela améliore la production en sécurité. Nous l’avons essayé dans différentes régions, et nous allons le généraliser. Nous avons prévu aussi de le déployer pour nos collaborateurs permanents arrivant dans une nouvelle équipe.
En matière de formation des intérimaires, quels progrès peuvent être faits ?
Vinci Construction est très proactif sur ce sujet. C’est d’ailleurs sa filiale Sud-Est qui est à l’origine du passeport sécurité intérim (Pasi) en 2014, puis la profession, sous l’impulsion d’EGF-BTP et de l’OPPBTP, a repris l’idée à plus grande échelle. Sur deux jours, les collaborateurs intérimaires sont initiés aux principaux risques du BTP. Même si cette formation ne règle pas tout, elle fait diminuer l’accidentologie de 40 %. Notre contrat-cadre sur l’intérim l’exige. De plus, notre organisme de formation interne, Cesame, propose aux ETT et aux intérimaires des formations techniques ou sécurité. Ces éléments pourront être partagés dans une réunion périodique organisée au moins une fois par an sur notre fonctionnement avec l’ETT. Nous pourrons également tirer les enseignements de l’analyse des événements s’étant produits sur le chantier. C’est aussi un bon moyen d’enrichir la formation ultérieure des intérimaires.
En France métropolitaine, Vinci Construction s’appuie sur un réseau de filiales de proximité pour concevoir, financer, réaliser et maintenir tout projet de construction dans les métiers du bâtiment, du génie civil, de la route et des réseaux. Présentes dans toutes les régions, les entreprises de proximité de Vinci Construction mobilisent les ressources de 43 000 collaborateurs.
Elles ont comme ambition le « zéro accident ». Pour les activités Bâtiment et Génie Civil, de nombreuses initiatives sont menées pour supprimer les risques sur les chantiers (préparation, organisation, technique) et instituer une véritable culture prévention.
Autre piste de progrès : vous avez décidé de limiter le recours à l’acte d’intérim.
C’est une décision organisationnelle. Nous accueillons en moyenne 15 % d’intérimaires sur nos chantiers, mais il existe une grande disparité de leur répartition. On a des compagnons intérimaires de grande qualité, néanmoins quand 80 % des effectifs ne se connaissent pas, le collectif fonctionne difficilement. Nous avons donc essayé de limiter la part d’intérimaires à 30 % sur un chantier. L’idée est de donner des indicateurs aux managers pour qu’ils s’interrogent sur des mesures organisationnelles à mettre en œuvre lorsqu’ils atteignent ce niveau.
Vos travaux sur l’efficience de l’acte d’intérim vont-ils comporter des éléments spécifiques aux TPE et PME ?
Le diagnostic n’a pas permis, à date, de travailler sur ces tailles d’entreprise, c’est une limite de notre exercice. Mais la campagne de communication de l’OPPBTP, qui démarre ce mois de novembre, est justement l’occasion d’échanger avec ces structures et de mettre en avant des solutions pour les accompagner sur ce sujet.
Vinci Construction en France
En France métropolitaine, Vinci Construction s’appuie sur un réseau de filiales de proximité pour concevoir, financer, réaliser et maintenir tout projet de construction dans les métiers du bâtiment, du génie civil, de la route et des réseaux. Présentes dans toutes les régions, les entreprises de proximité de Vinci Construction mobilisent les ressources de 43 000 collaborateurs.
Elles ont comme ambition le « zéro accident ». Pour les activités Bâtiment et Génie Civil, de nombreuses initiatives sont menées pour supprimer les risques sur les chantiers (préparation, organisation, technique) et instituer une véritable culture prévention.
Parcours
Martial Barbarou est diplômé de l’IUT génie civil de Toulouse et titulaire d’un Bachelor of sciences obtenu à Londres (Kingston University).
2001 à 2009 : après une licence professionnelle Environnement et Construction, il devient animateur environnement chez GTM Construction (région Grand-Est). Il coordonne ensuite les activités Qualité Prévention Environnement de la direction déléguée Grand-Est de Vinci Construction France.
2010 : il rejoint la direction prévention de Vinci Construction France.
En novembre 2012 : il est nommé directeur prévention de Vinci Construction France.
C’est le cumul de nombreuses petites actions qui permettra de maîtriser les risques et de diminuer les accidents graves chez les intérimaires.
Le mot que vous détestez ? Faute
Le métier que vous auriez aimé exercer en dehors du vôtre ? Paysagiste
Le métier que vous n'auriez pas aimé faire ? Je ne vois pas
Votre bâtiment préféré ? La Halle aux Grains, à Toulouse, pour mes souvenirs d’enfance
Le son, le bruit que vous aimez ? Les sons du bord de mer
Le son, le bruit que vous détestez ? Les cris
Le livre que vous emporteriez sur une île déserte ? Alerte sur la banquise, de John Kotter
Une personnalité pour illustrer un nouveau billet de banque ? Thomas Pesquet