286 Dossier - Usure professionnelle : comment travailler différemment ?

©Luc Maréchaux

En résumé
  • Pouvoir agir sur sa situation de travail préserve des TMS et de l’usure professionnelle.
  • Il faut impliquer les salariés pour analyser finement le travail réel et trouver les solutions.


    Dossier paru dans PréventionBTP n°286-Juillet-Août 2024-p. 6

C’est inéluctable : le vieillissement de la population va engendrer une part croissante des plus de 50 ans dans les effectifs des entreprises du BTP. En prolongeant la durée de la vie active, la loi sur les retraites nécessite de repenser la manière de concevoir le travail. Car certaines études pointent une réalité : en fin de carrière, une partie des effectifs cesse de travailler pour des raisons de santé et de handicap. Alors que faire pour prévenir cette situation ? Le sujet est étroitement corrélé à celui des troubles musculo-squelettiques, responsables de 88 % des maladies professionnelles, selon l’Assurance maladie. C’est d’ailleurs l’orientation prise par le fonds d’investissement pour l’usure professionnelle (Fipu), lancé le 18 mars dernier, qui finance des projets destinés à améliorer la prévention des expositions aux facteurs de risques professionnels dits « ergonomiques ».

Des aides techniques

Pour aider les collaborateurs dans la réalisation des tâches difficiles, il existe de nombreux équipements : des aides à la manutention (poignées, ventouses), du matériel roulant… Ils permettent de soulager les salariés et aident particulièrement les plus âgés. Le groupe Roulliaud (250 salariés), spécialiste du second œuvre implanté en Touraine, expérimente ainsi des exosquelettes sur un chantier physique qui nécessite la participation des seniors de l’entreprise, seuls à disposer d’un savoir-faire rare : le ponçage de la pierre de tuffeau en façade. « Le ponçage exige le port d’une machine de 2,5 kg, les bras en l’air, témoigne Bruno Da Silva, 45 ans. À la fin de la journée, on a l’impression qu’elle est beaucoup plus lourde. L’exosquelette nous soulage. »

Une démarche globale

Ces aides techniques, si elles peuvent être utiles, ne sont néanmoins pas suffisantes. Pour être efficaces, ces équipements doivent s’inscrire dans une démarche globale d’amélioration continue dans la durée. « Avant de se précipiter vers des solutions technocentrées, il faut analyser le travail. On obtiendra de meilleurs résultats. L’une des premières mesures organisationnelles à prendre, c'est d'amener les équipes à échanger sur leur travail et la manière de le réaliser avec un maximum de sécurité et de confort », martèle Pascal Girardot, ergonome et expert en charge de la prévention de l’usure professionnelle à la direction technique de l’OPPBTP. Cette approche nécessite de comprendre les déterminants de l'activité. « Il ne sert à rien de dire à une personne de cesser de se pencher en avant pour préserver son dos. Il faut trouver des solutions dans le travail réel qui lui permettront de ne pas le faire », poursuit-il. De ces analyses émergent des adaptations : planifier une diversité de tâches, réfléchir à l’organisation intelligente des approvisionnements, prévoir des binômes pour les charges lourdes… C'est dans ce but, qu'au cours du programme Adapt-BTP de l’OPPBTP, les équipes de Combles d'en France ont analysé leur manière de travailler et ont rédigé des règles de sécurité incontournables.

Travail coopératif et anticipation

286 Dossier : Usure professionnelle : comment travailler différemment ? Au sein de la SNIE, dès que des signaux d'alerte liés à la pénibilité du travail apparaissent, un dialogue est amorcé.

L’entreprise doit aussi s’appuyer sur le médecin du travail et les organisations professionnelles pour chercher des solutions en amont, afin d’éviter les inaptitudes. « Au sein de la SNIE, le médecin du travail connaît très bien nos métiers et nos collaborateurs, depuis parfois trente ans. Il participe aux réunions de la CSSCT*, mais se rend également sur les chantiers pour observer les salariés en coactivité », témoigne Joël Chêne, directeur QSE et RSE de cette entreprise de conception et réalisation d’installations électriques courants forts et faibles. Dès lors que des signaux d'alerte ou des restrictions liées à la pénibilité du travail apparaissent, un dialogue est amorcé pour orienter éventuellement le salarié vers un autre métier. Des électriciens chantier sont ainsi devenus acheteurs.
Le maître-mot ? L’anticipation. Cela passe par un travail commun des préventeurs et des ressources humaines, pour croiser les indicateurs et détecter les signaux faibles, mais aussi par un dialogue avec les salariés. L’employeur de Roland Marlot, 59 ans, a ainsi anticipé son aménagement de poste il y a huit ans. Maçon et chef d’équipe pendant des décennies chez BEC Construction Champagne (Groupe Fayat), il est content d’avoir évité un départ précoce. « J’ai été placé en mi-temps thérapeutique pendant trois mois, avant d’être déclaré travailleur handicapé il y a six ans, à la suite d’opérations aux cervicales. Je suis en invalidité à 30 %. Je ne travaille plus que le matin. Pendant un moment, un jeune m’a aidé et je lui ai transmis mon savoir. C’est important pour moi, psychologiquement, de rester jusqu’au bout. Je pars à la retraite en décembre, à 60 ans. » 

Des structures dédiées dans les groupes

Dans les grands groupes, ces sujets sont abordés de longue date et certaines structures dédiées accompagnent les salariés. Ainsi le groupe Vinci a mis en place depuis 2008 l’association Trajeo’h, qui propose un accompagnement personnalisé ayant pour objectif le maintien de l’employabilité du collaborateur. Le travail des ergonomes, internes ou externes, est également précieux pour agir sur la pénibilité de certaines tâches. Chez Bouygues Bâtiment France, l’existence d’un réseau « Relais Ergo », constitué de préventeurs des différentes entités, facilite la cartographie des postes pénibles et la recherche de solutions adaptées. Une façon d’acculturer chacun pour qu’il puisse être acteur de la transformation du travail.
*Commission santé, sécurité et conditions de travail.

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