Quand les matériaux participent à l’amélioration des conditions de travail
Fabricants et experts nous expliquent comment les matériaux peuvent eux-mêmes participer activement à l’amélioration des conditions de travail sur les chantiers. Outre la performance technique des matériaux, la R&D chez les industriels prend en compte un objectif de diminution de la pénibilité pour les utilisateurs, que ce soit par les caractéristiques intrinsèques du produit ou par son association à une mise en œuvre spécifique.
Date de mise à jour : 8 févr. 2024
Auteur : Franck Guidicelli
Diminuer le poids des matériaux, faciliter leur mise en œuvre… Cela sans diminuer la performance des solutions proposées. C’est le challenge qui s’offre aux industriels du bâtiment, qui prennent de plus en plus en compte le bien-être du poseur dans leur recherche et développement lors du lancement d’un nouveau produit. Lisa Chivelas, chargée de communication et de marketing opérationnel chez Beissier confirme cette volonté : « Les sujets de l’amélioration des conditions de travail sur chantier sont au cœur de notre démarche. Il est primordial de répondre aux besoins des utilisateurs. »
Enduits : des formules allégées
C’est ainsi que les enduits ont su évoluer pour proposer aujourd’hui des formules allégées qui vont dans ce sens. Cela permet dans un premier temps d’avoir des sacs moins lourds à manipuler, tandis que la texture de l’enduit, plus « légère », sera plus facile à appliquer. D’autant que les industriels mettent en avant des outils facilitant l’application, comme les pistolets Airless. « C’est un ensemble de choses qui vont dans le bon sens, précise Lisa Chivelas. Les produits sont allégés, les outils aussi, tout cela cumulé permet de diminuer la pénibilité. » Chez Saint-Gobain Weber, la démarche est la même, confie Céline Guéret, directrice marketing : « C’est un critère important pour nous, car les artisans ont un métier difficile, à nous de leur faciliter la vie. Ainsi avec notre colle Webercol flex confort, nous avons réduit de 40 % le poids à porter en passant d’un sac de 25 kg à un sac de 15 kg. Ceci en pouvant réaliser le même nombre de travaux. Elle est également plus facile à mettre en œuvre, car plus onctueuse grâce à une nouvelle formulation. »
Le poids, critère essentiel
Pour Manuel Martin, responsable du domaine Gros œuvre et structures porteuses de l’OPPBTP, de manière générale tous les matériaux dits « légers » ont un intérêt pour améliorer les conditions de travail « moins l’opérateur a de poids à porter, mieux c’est. » Il ajoute remarquer avec cette prise en compte plus courante des conditions de travail, un retour aux matériaux anciens : « Le béton de paille, de torchis ou de chanvre reviennent sur le devant de la scène, car ils affichent en complément de très belles caractéristiques techniques. » Pour autant, au-delà des matériaux plus « légers », Manuel Martin souligne qu’« il faut que ces nouveaux matériaux n’empêchent pas la mise en place de protections collectives, il ne s’agit pas de créer d’autres risques. »
Solution de coffrage plus légère
Même problématique pour les panneaux de coffrage habituellement réalisés avec du contreplaqué, qui a un inconvénient majeur, son poids. Thierry Chancibot, directeur marketing et formation chez Peri France, nous présente une alternative : « Avec le Peri Panel, nous avons une solution de coffrage beaucoup plus légère. Le panneau coffrant est en polymère, il peut également être recyclé et provient en réalité d’un concept utilisé dans l’emballage. Ses dimensions sont de 125 cm x 250 cm pour une épaisseur de 15 mm. » Une épaisseur similaire aux contreplaqués utilisés habituellement, ce qui permet de ne pas changer les habitudes des poseurs. Côté poids, le verdict est sans appel avec 10 kg au compteur, ce qui est trois fois moins qu’un contreplaqué. Un vrai plus pour l’utilisateur qui, surtout au moment du décoffrage, va apprécier la légèreté du produit. Thierry Chancibot précise tout de même quelques précautions à prendre dans l’utilisation du Peri Panel : « Il faut être plus précautionneux avec ce produit, car il est plus fragile qu’un contreplaqué et il faut aussi bien faire attention au stockage du produit surtout s’il y a du vent. » Pour répondre aux besoins du chantier, le Peri Panel va connaître une évolution majeure avec l’intégration de fermetures de rives pour éviter que le béton ne puisse déborder.
D’autres solutions Peri ont également été étudiées pour diminuer la pénibilité sur chantier. Ainsi, le coffrage manuportable Peri Duo, qui se présente sous forme de petits panneaux en technopolymère. « Il est multi-utilisations, pour les murs, les poteaux, les dalles…, explique Thierry Chancibot. Recyclé et recyclable, il s’utilise sans marteau avec une simple clé qui est fournie. Ce qui évite le bruit, mais aussi les TMS. » Avec l’avantage de pouvoir être utilisé même dans des lieux à accès restreints, car il est très léger et s’assemble sur place tel un Lego.
Le coffrage manuportable Peri Duo se présente sous forme de petits panneaux en technopolymère.
Soudure sans plomb
Éliminer les composés nocifs est un enjeu dans de nombreux produits et matériaux, à l’image de la soudure dont la matière principale d'apport de soudage était historiquement le plomb, matériau classé CMR, qui peut aujourd’hui être réalisée sans plomb. Avec, là encore, un vrai bénéfice pour le soudeur, explique Isabelle Monnerais, responsable de domaine Risque chimique à l’OPPBTP : « 95 % des constituants des fumées de soudage proviennent des produits d’apport. Employer des matériaux d’apport moins émissifs et moins nocifs participe à la réduction de l’exposition aux fumées de soudage. »
Des recherches de substitution sont donc nécessaires pour éliminer le danger au maximum, et être capable de le supprimer à la source avant l’application du produit. Des évolutions existent dans le domaine de la soudure, Rheinzink a présenté un étain sans plomb qui évite un dégagement de plomb lors de la soudure. Dans ce type de solution, la différence se fait au niveau de la quantité d’étain dans l’alliage. Les alliages sans plomb contiennent généralement une proportion d’étain beaucoup plus élevée. En effet, au lieu de 63 % d’étain et le reste en plomb, on est plus proche de 95 à 99 % d’étain complétés par un peu de cuivre (ou de cuivre et d'argent).
L'étain sans plomb de Rheinzink évite un dégagement de plomb lors de la soudure.
Modifier la mise en œuvre
Une évolution majeure a eu lieu ces dernières années. Elle concerne la mise en œuvre de plus en plus de matériaux de construction, avec en perspective l’amélioration des conditions de travail dans les entreprises du bâtiment. Ainsi, dans l’univers du revêtement de sols souples, la pose libre (non collée) vient petit à petit se substituer à la pose traditionnelle (collée). Maeva Debrun, chef de segment santé chez Forbo, confirme cette évolution : « Il y a une dizaine d’années, la large majorité des sols souples étaient collés, aujourd’hui c’est clairement l’inverse, la pose libre s’est démocratisée. Chez Forbo, nous proposons des produits en pose libre depuis plus de dix ans, mais il fallait encore démontrer aux soliers l’intérêt de cette nouvelle façon de travailler. »
Forbo propose des produits en pose libre.
Ainsi, sans besoin de colles, les avantages sont multiples. Valérie Druart, chef de segment éducation chez Forbo, précise : « L’absence de colle assure un chantier avec moins de temps passé à genou et un temps d’installation plus rapide. De plus, quand nous sommes sur un chantier de rénovation, ces produits permettent de recouvrir directement les anciens sols, sans nécessiter de déposer les revêtements existants (carrelages, parquets…). Ce qui permet d’avoir un chantier plus propre avec zéro émission de poussières. » Par ailleurs, sur des problématiques amiante, cela peut être une solution très avantageuse. Dans le monde du revêtement de sols, le format des rouleaux a aussi évolué, avec un fort développement des rouleaux de deux mètres (au lieu de quatre), qui séduisent les poseurs notamment pour leur maniabilité. De même les lames et dalles connaissent un fort développement dans le résidentiel, du moins lorsque le classement du bâtiment autorise la pose de ce genre de produits.
Des matériaux qui s’adaptent aux process
Le monde du béton a également su évoluer en proposant des solutions techniques novatrices. Principal exemple, le béton autoplaçant ou autonivelant. Lucia Alarcon Ruiz, directrice marketing Europe de l’Ouest chez Cemex nous en dit plus : « Le béton autoplaçant diminue fortement la pénibilité sur le chantier, car il est beaucoup plus facile à tirer. Surtout, il n’a pas besoin d’être vibré, ce qui facilite grandement les choses, les opérateurs ne sont donc plus exposés aux vibrations mécaniques et au bruit. »
Un vrai plus, même si ce type de béton va être choisi avant tout pour des raisons techniques, car il peut adopter des formes très complexes et permettre aux architectes de laisser libre cours à leur imagination. Des limites peuvent cependant exister au niveau technique avec les bétons autoplaçants sur les applications verticales, reconnaît Lucia Alarcon Ruiz : « Sur une application verticale type voile, il faut s’assurer d’avoir des banches bien étanches, il faut donc souvent mettre une pression supplémentaire sur celles-ci. » Mais les cimentiers continuent de faire évoluer leurs gammes. Ainsi, Cemex, avec sa gamme Hydratium, propose un béton autoplaçant (ou non) intégrant directement la cure. Cela évite de devoir curer le béton, et supprime donc une phase de travail pouvant être sollicitante.
Cemex, avec sa gamme Hydratium, propose un béton autoplaçant (ou non) intégrant directement la cure.
Bétons fibrés
De même, les bétons fibrés ont un réel intérêt, en évitant la gestion (stockage et pose) des armatures en ferraille. Ils intègrent directement des fibres structurelles pour simplifier la mise en œuvre. Des évolutions de mise en œuvre qui se multiplient et ont une incidence sur les matériaux eux-mêmes, remarque Stéphanie Robic, responsable opérationnelle Gros œuvre et structures porteuses à l’OPPBTP : « On constate que l’offre aux entreprises augmente et que les matériaux s’adaptent au process et non l’inverse. Il reste toutefois important de bien accompagner les utilisateurs autour des innovations qui peuvent arriver sur le marché, car les conditions de chantier ne sont jamais des conditions idéales d’utilisation. Il est donc encore plus important de bien mettre en place les règles de prévention des risques aussi bien avec les fabricants que les utilisateurs. » C’est d’autant plus vrai que ces derniers mois ce sont très souvent les considérations environnementales qui dictent les innovations des industriels, ce qui n’est pas forcément toujours en accord avec les principes de prévention. « Il est primordial que les industriels intègrent également à la conception de leurs nouveaux produits ou équipements la prévention des risques pour les utilisateurs afin que celle-ci soit la plus efficace possible », ajoute Stéphanie Robic.
La construction hors-site, une solution ?
Autres solutions pour améliorer les conditions de travail, que penser de la construction hors-site, de la préfabrication voire de l’impression 3D ? Manuel Martin répond : « En ce qui concerne l’impression 3D, nous en sommes aux balbutiements, nous regardons donc avec attention ce qu’il se fait. Pour le hors-site, il existe un process industriel. À l’OPPBTP, nous souhaitons ne pas nous contenter de travailler sur le produit fini mais aussi, même si nous n’avons pas la main pour aller dans les usines, prôner le bon sens en demandant à ce que les procédés utilisés intègrent dès la fabrication la prévention et la sécurité. On parle alors de prévention et sécurité intégrées ce qui doit permettre à l’opérateur de ne pas avoir le choix de se tromper. N’oublions pas que les principes de prévention exigent de ne pas supprimer un risque pour en créer un autre. »
Projet de construction Viliaprint en impression 3D, à Reims. Crédit photo : Demathieu Bard.
Construction bois : intégrer directement les élingues
Une prise en compte de la sécurité dès la fabrication, c’est ce qui existe dans l’univers de la construction bois même si ce n’est pas encore généralisé. Deux risques principaux y sont récurrents : la chute de hauteur et le levage des matériaux avec élingage. Un risque souvent sous-estimé, remarque Adrien Gaudron, responsable opérations domaine Bois à l’OPPBTP : « Il y a une vraie méconnaissance du risque, car le bois est un matériau hétérogène, donc son élingage est différent par rapport à un mur béton. De plus, le bois peut se gorger d’eau ce qui peut engendrer une modification de sa masse. » Le développement du CLT (Cross Laminated Timber, bois lamellé croisé) pourrait être une solution, ajoute Adrien Gaudron, car il est en principe fabriqué en usine, et pourrait donc intégrer directement les élingues pour placer la prévention au cœur de ses éléments bois.
Le chemin est encore long, car la multiplication de nouveaux matériaux répond, la plupart du temps, à des critères économiques ou techniques, avant de répondre à des critères de prévention. Adrien Gaudron regrette cet état de fait : « Dans la préfabrication, l’intégration des élingues par exemple n’est pas assez réalisée. C’est encore trop souvent aux entreprises de trouver les solutions, alors qu’en industrialisant les process, il y aurait facilement la possibilité d’intégrer les futurs éléments de prévention, comme les élingues ou les dispositifs pour recevoir les protections collectives. » Certains industriels, comme Manubois, ont pris la mesure de ces enjeux, notamment sur des systèmes poteaux poutres en lamellés collés de hêtre, qui intègrent directement les ancrages pour faciliter le levage. « Nous sommes vraiment à la croisée des chemins pour généraliser les bonnes pratiques et les connaissances des principes de prévention et de la manière dont on travaille le bois », estime Adrien Gaudron.
« Les mentalités évoluent peu à peu, et il y a aujourd’hui une prise de conscience des acteurs pour placer l’homme au centre de tout, atteste Manuel Martin, responsable du domaine Gros œuvre et structures porteuses à la direction technique de l’OPPBTP. Différentes problématiques se rejoignent : les TMS, la pénibilité, l’environnement ou le risque chimique. La productivité n’est plus forcément essentielle, le curseur a bougé. Il faut de toute façon offrir d’autres conditions de travail pour accompagner les jeunes et les attirer vers le monde du bâtiment. À travers ces nouveaux procédés, nous sommes capables de leur offrir des conditions de travail moins difficiles. »
Dix solutions à suivre
Nous avons sélectionné dix solutions d'intérêt pour améliorer les conditions de travail sur les chantiers.
1. Colle à carrelage Webercol flex de Weber.
Le plus prévention : avec un sac de 15 kg, il permet de réaliser autant de chantiers qu’avec un sac de 25 kg. Soit une baisse de 40 % du poids à porter. Son onctuosité lui permet également une mise en œuvre plus facile.
2. Enduit Prestonett MJ Light de Beissier.
Le plus prévention : multifonctions, il limite le nombre de seaux à gérer. Étiqueté A+, il peut s’appliquer au rouleau ou au couteau à enduire. Gras et souple, il est léger sur la lame pour une mise en œuvre facilitée.
3. L’étain sans plomb de Rheinzink.
Le plus prévention : optimisé pour la réalisation de raccords métalliques fiables, il contient une forte proportion en étain qui facilite la coulée pour améliorer la mise en œuvre. De plus, il apporte une réelle contribution à la sécurité au travail, car son utilisation ne dégage pas de plomb.
4. Panneaux de coffrage Peri Panel.
Le plus prévention : trois fois moins lourd que le contreplaqué, il permet de diminuer le poids manipulé sur les chantiers et par la même occasion les TMS.
5. Coffrage manuportable Peri Duo.
Le plus prévention : un coffrage universel et léger en polymère conçu pour être utilisé pour les fondations, les voiles, les dalles, les poutres et les poteaux. Aucun élément ne pèse plus de 25 kg. Il ne nécessite pas l'utilisation d'une grue ou autres aides mécaniques de transport et de montage lors de la construction. Technique de montage sans marteau, donc sans bruit.
6. Béton autoplaçant de Cemex.
Le plus prévention : bétonnage en position debout (mise en place, débullage, produit de cure) permet la suppression du travail d'étalement du béton en position "dos plié" et talochage en position à genoux.
7. La chape fluide Technis R de Bostik.
Le plus prévention : mise en œuvre en position debout, pas de ponçage, aucun produit de cure, absence d’armatures et de fibres.
8. Sol Modul’Up de Forbo Floorings Systems.
Le plus prévention : la mise en œuvre sans colle réduit la pénibilité du travail en diminuant la manutention et les étapes en position accroupie, et participe aussi à l’amélioration de la qualité de l’air intérieur. Permet un recouvrement des anciens sols, même amiantés (selon les cas).
9. Produit de protection des surfaces Polyasim Y.
Le plus prévention : produit liquide non solvanté en base aqueuse contenant une résine naturelle (latex), utilisée pour la protection des surfaces et la réalisation d’étanchéités provisoires pour des travaux de désamiantage. L’utilisation d’un système de pulvérisation Airless diminue les manutentions par rapport à des rouleaux de films de propreté classiques. Il supprime les risques de chute et réduit considérablement les déchets.
10. L’impression 3D béton de XtreeE.
Le plus prévention : les murs étant préfabriqués en usine, l’assemblage sur site est plus rapide et moins pénible pour les opérateurs avec moins de nuisances sur le chantier.